Analyse

Un an de guerre en Ukraine et des dégâts irréparables sur l’environnement

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Le gou­verne­ment ukrainien estime à près de 35,3 mil­liards de dol­lars les dom­mages causés à l’en­vi­ron­nement par la Russie. Der­rière ce chiffre, des boule­verse­ments majeurs, et par­fois irréversibles, pour la pop­u­la­tion et les écosys­tèmes.

Les incendies en première ligne

En l’absence d’accès au ter­rain, les incendies sont les dégâts les plus facile­ment vis­i­bles par satel­lite. 200 000 hectares de forêts sont déjà par­tis en fumée, selon les autorités ukraini­ennes. En plus des émis­sions de car­bone et de l’impact sur la bio­di­ver­sité, ces feux mas­sifs men­a­cent l’un des derniers poumons verts d’Europe. «Vous pou­vez replanter une forêt brûlée, mais vous ne pou­vez pas élim­in­er toute la pol­lu­tion : ni de l’eau, ni du sol, ni de l’air, vous ne pou­vez pas ren­dre les ani­maux morts, les plantes, l’é­cosys­tème détru­it», se lamente Tetiana Sham­i­na du Groupe ukrainien de con­ser­va­tion de la nature.

Une guerre «toxique»

Les attaques touchent aus­si les infra­struc­tures indus­trielles très présentes à l’Est du pays, sous occu­pa­tion russe. Les explo­sions dis­sémi­nent un cock­tail de com­posés chim­iques qui provoque d’importantes pol­lu­tions. Près de 4,6 mil­lions d’Ukrainien·nes peinent à avoir accès à l’eau potable, selon les autorités ukraini­ennes. «Dès main­tenant, les pri­or­ités sont d’i­den­ti­fi­er les sites les plus à risque et d’es­say­er d’as­sur­er les pre­miers assainisse­ments», demande Doug Weir, directeur de recherche à l’Ob­ser­va­toire des Con­flits et de l’Environnement. Sans que l’on puisse encore avoir des don­nées pré­cis­es sur la sit­u­a­tion, la direc­trice du pro­gramme des Nations unies pour l’en­vi­ron­nement (PNUE) évoque cette semaine une «guerre lit­térale­ment tox­ique».

Green­peace et l’ONG ukraini­enne Ecoac­tion ont réper­torié sur cette carte les prin­ci­pales atteintes à l’environnement causées par la guerre en Ukraine (cliquez pour faire appa­raître). © Green­peace, Ecoac­tion

La biodiversité, «victime oubliée de la guerre»

En plus des pop­u­la­tions touchées, les com­bats ont boulever­sé les écosys­tèmes du pays. Près de 30% du ter­ri­toire ukrainien est miné, faisant fuir les grands mam­mifères qui se retrou­vent en com­péti­tion avec les humains pour l’accès aux ressources. «Comme cet été avec les incendies en Gironde, on observe une aug­men­ta­tion du nom­bre d’accidents de cir­cu­la­tion avec la faune sauvage», illus­tre Céline Sissler-Bien­venu, respon­s­able française du Fonds inter­na­tion­al pour la pro­tec­tion des ani­maux (IFAW). «Les petits mam­mifères, eux, ne peu­vent pas fuir et cer­taines espèces de rongeurs, comme le lem­ming des steppes, auraient déjà dis­parus à cause de la guerre.» Le boule­verse­ment de la bio­di­ver­sité risque d’impacter la pop­u­la­tion ukraini­enne pour des dizaines d’années. «La bio­di­ver­sité et la faune sauvage sont les vic­times oubliées de cette guerre», appuie Céline Sissler-Bien­venu. Le prési­dent ukrainien, Volodymyr Zelen­sky, avait demandé la recon­nais­sance d’un «éco­cide» per­pétré par la Russie, après la décou­verte de mil­liers de dauphins morts dans la mer Noire en décem­bre dernier.

Les regards se tournent déjà vers la reconstruction

Si aucun crime envi­ron­nemen­tal n’existe encore en droit inter­na­tion­al, l’attention se porte tout de même sur les répa­ra­tions après le con­flit. «La Con­ven­tion de Genève stip­ule que l’en­vi­ron­nement ne peut pas être endom­magé pen­dant les hos­til­ités», assure Tetiana Sham­i­na. «Nous devons main­tenir l’en­vi­ron­nement à l’or­dre du jour, pour éviter qu’il ne s’en­fonce dans la liste des pri­or­ités», appuie Doug Weir. Aucune procé­dure de jus­tice n’a pour le moment été ini­tiée. Mais l’environnement pour­rait bien revenir à l’agenda par le biais des émis­sions de gaz à effet de serre. Une étude de l’ONG Cli­mate Focus mon­tre que plus de la moitié de la pol­lu­tion liée à la guerre inter­vien­dra lors de la recon­struc­tion des infra­struc­tures civiles et non pen­dant le con­flit. Les auteur·ices pointent notam­ment le risque d’effets rebonds, en recon­stru­isant des bâti­ments plus grands, car plus proches des normes mod­ernes. «À l’issue d’une cat­a­stro­phe, il y a tou­jours un mot d’ordre : recon­stru­ire mais mieux», rap­pelle Céline Sissler-Bien­venu. Recon­stru­ire l’irréparable, le défi s’annonce immense pour le pays et pour l’Europe.