Madame la Première ministre,
Nous, signataires de cette tribune, mesurons les efforts que vous faites pour relancer l’action du gouvernement après la crise des retraites qui a secoué notre société, ses institutions et l’ensemble de nos concitoyens.
La colère de nombreux habitants de notre pays est à prendre très au sérieux. En effet, l’histoire enseigne que les régimes autoritaires, qui ont tant fait souffrir les populations, se sont presque toujours installés de la même manière : une colère sociale qui désorganise le pays, puis l’arrivée d’un « sauveur » qui sait parler à la colère du peuple et promet de tout régler… en commençant par détricoter la démocratie. Nous vous proposons de travailler ensemble pour éviter ce scénario et plus généralement pour rendre notre pays meilleur.
Cette colère nous semble motivée par trois causes principales :
- La diminution du pouvoir d’achat, liée à l’augmentation des coûts de l’énergie et des matières premières et des produits alimentaires, associée à l’augmentation des inégalités.
- L’angoisse climatique : le GIEC nous dit que la survie de l’humanité est engagée si l’on continue à utiliser autant d’énergies fossiles. La population, et en particulier les jeunes, est de plus en plus inquiète. Les chiffres montrent que les gouvernements successifs ont échoué, nous ne sommes pas sur une bonne trajectoire.
- Les carences de notre démocratie : les gens sont globalement éduqués et informés. Ils veulent participer mais ils ne le peuvent pas, ou ils ne sont pas entendus, nos institutions ne sont pas prévues pour une telle demande. Face à leur colère, l’usage de la force est un mauvais remède. La spirale provocation-répression mène à l’autoritarisme. L’amélioration du fonctionnement de notre démocratie est une voie difficile mais c’est la solution.
Notre proposition concerne ces trois causes. Il s’agit d’expérimenter une nouvelle voie démocratique, pour répondre à l’angoisse climatique, avec des modalités de “pouvoir d’achat” acceptables par toutes et tous.
L’action climatique du gouvernement appelle plusieurs remarques :
– Le gouvernement actuel innove avec la création du Secrétariat général à la Planification écologique (SGPE) directement rattachée à la Première ministre. Ses travaux, fixés sur un objectif de réduction des émissions de 50 % entre 1990 et 2030, semblent sérieux et bien structurés. Ils ont déjà engendré quelques retombées législatives. Mais l’ensemble des mesures prévues secteur par secteur, outre une technicité qui les rend arides, suppose des modifications profondes du mode de vie des Français. Comment s’assurer qu’elles seront acceptées socialement ?
– Le gouvernement est mis en cause juridiquement, le Conseil d’État a adressé une nouvelle injonction au gouvernement, en lui demandant de prendre, d’ici au 30 juin 2024, toutes les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de – 40 % en 2030 par rapport à 1990.
Tenir l’objectif 2030, et au-delà l’objectif de neutralité carbone en 2050, suppose un engagement de l’ensemble de la société qui ne va pas de soi. Trois voies d’action sont possibles pour piloter nos émissions de carbone.
- Des aides et des interdictions, ciblées dans chaque secteur (logement, transport, agriculture, etc.), démarche sur laquelle débouchait la convention citoyenne de 2019 et que vous poursuivez.
- La limitation par les prix, c’est la voie de la taxe carbone, et elle ne sera acceptable en termes de pouvoir d’achat que si elle est redistributive.
- La limitation par les volumes, qui implique de définir des quotas pour les entreprises (les EU ETS) ou pour les particuliers (compte carbone / crédit carbone / allocation climat / etc.).
Le choix – ou le dosage – entre ces voies est stratégiquement essentiel. Or il n’y a pas eu de débat public sur la limitation par les prix ou par les volumes.
Nous proposons à cette fin un nouvel outil démocratique, l’Assemblée de codécision.
Elle tire parti des succès de la convention citoyenne pour le climat de 2019 (représentativité du panel, appui d’experts, animation, écho médiatique…) et en corrige les insuffisances (lien inexistant et hiatus avec les parlementaires) en impliquant ceux-ci dès la phase des débats.
Cet outil a fait ses preuves dans une grande ville puis dans une métropole françaises et mis en évidence un important pouvoir de décision dans l’apaisement, grâce à la richesse des débats avec toutes les parties prenantes (agents, associations, entreprises, experts) et à la “codécision par consentement” entre élus et citoyens participants : 100 % de consentement, puis 100% des propositions adoptées en instance légale, cela avec presque la totalité des votes. Les élus participants ont été satisfaits par la méthode, qui les a mis en confiance.
Le 11 mai 2023, Les Décarbonautes, un collectif de citoyens et de 70 organisations, soutenu par l’ADEME et que chaque lecteur de cette tribune est appelé à rejoindre, a demandé aux ministres de l’écologie, de la transition énergétique et de la démocratie, d’expérimenter l’Assemblée de codécision à propos de l’urgence climatique.
Nous, signataires de cette tribune, vous demandons, Madame la Première ministre, de soutenir cette proposition et de lui apporter l’appui concret du gouvernement et de son administration.
L’utilisation de l’outil Assemblée de codécision sur le thème de l’urgence climatique permettra à la fois d’immenses progrès dans la mise en application des objectifs de décarbonation de notre économie, une redynamisation du fonctionnement de notre démocratie et un apaisement des tensions qui déchirent notre société.
Signataires :
Mélanie Berger-Tisserand, présidente du CJD France
Corinne Lepage, avocate et femme politique française
Margaux Fabre, nageuse championne de France et d’Europe, médaillée des championnats du monde
Jérôme Bertin, journaliste et comédien français (Plus belle la vie)
Patrick Viveret, philosophe français
Dominique Bourg, professeur honoraire de l’université de Lausanne
Jo Spiegel, auteur du livre “Nous avons décidé de décider ensemble”
Charlotte Marchandise, autrice (lauréate de la primaire populaire 2022)
Armel Le Coz, citoyen engagé, cofondateur de Démocratie Ouverte
Jean-Claude Devèze, cofondateur du Pacte civique
Pierre Guilhaume, coordinateur national du Pacte civique
Julien Mast, délégué national du mouvement e-graine
Maxime de Rostolan, fondateur de La Bascule et DG de Sailcoop
Arthur Moraglia, co-président de Démocratie Ouverte
Pauline Véron, co-présidente de Démocratie Ouverte
Lydia Pizzoglio, co-fondatrice de l’Université du Nous
Audrey Fortassin, Directrice de Tous Élus
Aurélie Gros, présidente de La France Vraiment-Le Ministère des Citoyens
Armel Prieur, coordinateur des alliés du compte carbone
Jérôme Bétrancourt, président de l’association Nos vies, nos avis
Didier Raciné, rédacteur en chef de la revue Alters Média
Jacqueline Louiche, LVN Personnalistes et citoyens
Christophe Mandereau, expert en résilience industrielle et territoriale
Philippe Kuhn, entrepreneur
Louis-Marie Blanchard, coordinateur des Décarbonautes et coprésident de l’association Les CRD
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