Tribune

«Climat et démocratie, il nous faut répondre aux attentes des Français»

Face à l’urgence climatique et à la crise de défiance des Français·es vis-à-vis de leur gouvernement, un collectif d’organisations et de citoyen·nes, dont Dominique Bourg, Corinne Lepage et Maxime de Rostolan, propose l’expérimentation d’un nouvel outil participatif : une assemblée de codécision sur les sujets climatiques. Dans cette tribune à Vert, les Décarbonautes expliquent en quoi cela favoriserait la décarbonation de la société tout en redynamisant la démocratie.
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Madame la Pre­mière min­istre,

Nous, sig­nataires de cette tri­bune, mesurons les efforts que vous faites pour relancer l’action du gou­verne­ment après la crise des retraites qui a sec­oué notre société, ses insti­tu­tions et l’ensemble de nos conci­toyens.

La colère de nom­breux habi­tants de notre pays est à pren­dre très au sérieux. En effet, l’histoire enseigne que les régimes autori­taires, qui ont tant fait souf­frir les pop­u­la­tions, se sont presque tou­jours instal­lés de la même manière : une colère sociale qui désor­gan­ise le pays, puis l’ar­rivée d’un « sauveur » qui sait par­ler à la colère du peu­ple et promet de tout régler… en com­mençant par détri­cot­er la démoc­ra­tie.  Nous vous pro­posons de tra­vailler ensem­ble pour éviter ce scé­nario et plus générale­ment pour ren­dre notre pays meilleur.

Cette colère nous sem­ble motivée par trois caus­es prin­ci­pales :

  1. La diminu­tion du pou­voir d’achat, liée à l’augmentation des coûts de l’énergie et des matières pre­mières et des pro­duits ali­men­taires, asso­ciée à l’augmentation des iné­gal­ités.  
  2. L’angoisse cli­ma­tique : le GIEC nous dit que la survie de l’hu­man­ité est engagée si l’on con­tin­ue à utilis­er autant d’én­er­gies fos­siles. La pop­u­la­tion, et en par­ti­c­uli­er les jeunes, est de plus en plus inquiète. Les chiffres mon­trent que les gou­verne­ments suc­ces­sifs ont échoué, nous ne sommes pas sur une bonne tra­jec­toire.
  3. Les carences de notre démoc­ra­tie : les gens sont glob­ale­ment éduqués et infor­més. Ils veu­lent par­ticiper mais ils ne le peu­vent pas, ou ils ne sont pas enten­dus,  nos insti­tu­tions ne sont pas prévues pour une telle demande. Face à leur colère, l’usage de la force est un mau­vais remède. La spi­rale provo­ca­tion-répres­sion mène à l’au­tori­tarisme. L’amélioration du fonc­tion­nement de notre démoc­ra­tie est une voie dif­fi­cile mais c’est la solu­tion. 

Notre propo­si­tion con­cerne ces trois caus­es. Il s’agit d’expérimenter une nou­velle voie démoc­ra­tique, pour répon­dre à l’angoisse cli­ma­tique, avec des modal­ités de “pou­voir d’achat” accept­a­bles par toutes et tous.

L’action cli­ma­tique du gou­verne­ment appelle plusieurs remar­ques :

- Le gou­verne­ment actuel innove avec la créa­tion du Secré­tari­at général à la Plan­i­fi­ca­tion écologique (SGPE) directe­ment rat­tachée à la Pre­mière min­istre. Ses travaux, fixés sur un objec­tif de réduc­tion des émis­sions de 50 % entre 1990 et 2030, sem­blent sérieux et bien struc­turés. Ils ont déjà engen­dré quelques retombées lég­isla­tives. Mais l’ensemble des mesures prévues secteur par secteur, out­re une tech­nic­ité qui les rend arides, sup­pose des mod­i­fi­ca­tions pro­fondes du mode de vie des Français. Com­ment s’assurer qu’elles seront accep­tées sociale­ment ? 

- Le gou­verne­ment est mis en cause juridique­ment, le Con­seil d’État a adressé une nou­velle injonc­tion au gou­verne­ment, en lui deman­dant de pren­dre, d’ici au 30 juin 2024, toutes les mesures néces­saires pour attein­dre l’objectif de réduc­tion des émis­sions de — 40 % en 2030 par rap­port à 1990.

Tenir l’objectif 2030, et au-delà l’objectif de neu­tral­ité car­bone en 2050, sup­pose un engage­ment de l’ensemble de la société qui ne va pas de soi. Trois voies d’action sont pos­si­bles pour pilot­er nos émis­sions de car­bone.

  • Des aides et des inter­dic­tions, ciblées dans chaque secteur (loge­ment, trans­port, agri­cul­ture, etc.), démarche sur laque­lle débouchait la con­ven­tion citoyenne de 2019 et que vous pour­suiv­ez. 
  • La lim­i­ta­tion par les prix, c’est la voie de la taxe car­bone, et elle ne sera accept­able en ter­mes de pou­voir d’achat que si elle est redis­trib­u­tive.
  • La lim­i­ta­tion par les vol­umes, qui implique de définir des quo­tas pour les entre­pris­es (les EU ETS) ou pour les par­ti­c­uliers (compte car­bone / crédit car­bone / allo­ca­tion cli­mat / etc.).  

Le choix — ou le dosage — entre ces voies est stratégique­ment essen­tiel. Or il n’y a pas eu de débat pub­lic sur la lim­i­ta­tion par les prix ou par les vol­umes.

Nous pro­posons à cette fin un nou­v­el out­il démoc­ra­tique, l’Assemblée de codé­ci­sion.

Elle tire par­ti des suc­cès de la con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat de 2019 (représen­ta­tiv­ité du pan­el, appui d’experts, ani­ma­tion, écho médi­a­tique…) et en cor­rige les insuff­i­sances (lien inex­is­tant et hia­tus avec les par­lemen­taires) en impli­quant ceux-ci dès la phase des débats.

Cet out­il a fait ses preuves dans une grande ville puis dans une métro­pole français­es et mis en évi­dence un impor­tant pou­voir de déci­sion dans l’a­paise­ment, grâce à la richesse des débats avec toutes les par­ties prenantes (agents, asso­ci­a­tions, entre­pris­es, experts) et à la “codé­ci­sion par con­sen­te­ment” entre élus et citoyens par­tic­i­pants : 100 % de con­sen­te­ment, puis 100% des propo­si­tions adop­tées en instance légale, cela avec presque la total­ité des votes.  Les élus par­tic­i­pants ont été sat­is­faits par la méth­ode, qui les a mis en con­fi­ance. 

Le 11 mai 2023, Les Décar­bo­nautes, un col­lec­tif de citoyens et de 70 organ­i­sa­tions, soutenu par l’ADEME et que chaque lecteur de cette tri­bune est appelé à rejoin­dre, a demandé aux min­istres de l’écologie, de la tran­si­tion énergé­tique et de la démoc­ra­tie, d’expérimenter l’Assemblée de codé­ci­sion à pro­pos de l’urgence cli­ma­tique. 

Nous, sig­nataires de cette tri­bune, vous deman­dons, Madame la Pre­mière min­istre, de soutenir cette propo­si­tion et de lui apporter l’appui con­cret du gou­verne­ment et de son admin­is­tra­tion.

L’utilisation de l’outil Assem­blée de codé­ci­sion sur le thème de l’urgence cli­ma­tique per­me­t­tra à la fois d’immenses pro­grès dans la mise en appli­ca­tion des objec­tifs de décar­bon­a­tion de notre économie, une redy­nami­sa­tion du fonc­tion­nement de notre démoc­ra­tie et un apaise­ment des ten­sions qui déchirent notre société.

Signataires : 

Mélanie Berg­er-Tis­serand, prési­dente du CJD France

Corinne Lep­age, avo­cate et femme poli­tique française

Mar­gaux Fab­re, nageuse cham­pi­onne de France et d’Europe, médail­lée des cham­pi­onnats du monde

Jérôme Bertin, jour­nal­iste et comé­di­en français (Plus belle la vie)

Patrick Viveret, philosophe français

Dominique Bourg, pro­fesseur hon­o­raire de l’u­ni­ver­sité de Lau­sanne

Jo Spiegel, auteur du livre “Nous avons décidé de décider ensem­ble”

Char­lotte Marchan­dise, autrice (lau­réate de la pri­maire pop­u­laire 2022)

Armel Le Coz, citoyen engagé, cofon­da­teur de Démoc­ra­tie Ouverte

Jean-Claude Devèze, cofon­da­teur du Pacte civique

Pierre Guil­haume, coor­di­na­teur nation­al du Pacte civique

Julien Mast, délégué nation­al du mou­ve­ment e‑graine

Maxime de Ros­tolan, fon­da­teur de La Bas­cule et DG de Sail­coop

Arthur Moraglia, co-prési­dent de Démoc­ra­tie Ouverte

Pauline Véron, co-prési­dente de Démoc­ra­tie Ouverte

Lydia Piz­zoglio, co-fon­da­trice de l’U­ni­ver­sité du Nous

Audrey For­t­assin, Direc­trice de Tous Élus

Aurélie Gros, prési­dente de La France Vrai­ment-Le Min­istère des Citoyens

Armel Prieur, coor­di­na­teur des alliés du compte car­bone

Jérôme Bétran­court, prési­dent de l’as­so­ci­a­tion Nos vies, nos avis

Didi­er Rac­iné, rédac­teur en chef de la revue Alters Média

Jacque­line Louiche, LVN Per­son­nal­istes et citoyens

Christophe Man­dereau, expert en résilience indus­trielle et ter­ri­to­ri­ale

Philippe Kuhn, entre­pre­neur

Louis-Marie Blan­chard, coor­di­na­teur des Décar­bo­nautes et coprési­dent de l’association Les CRD