Le monde de Nem’os. Les otolithes sont des os situés dans l’appareil auditif des poissons. Les scientifiques s’en servent depuis des années pour connaître avec exactitude l’âge de ces animaux marins. Aujourd’hui, l’analyse 3D de leur forme et de leur composition permet d’en apprendre encore bien davantage. Explications.
«Cet os, c’est la boîte noire des poissons», confie Kélig Mahé, chercheur à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) à Boulogne-sur-Mer et co-auteur du guide d’«Identification des poissons par leurs otolithes en 3D Manche et mer du Nord» paru en juillet 2024. Dans ce livre, les scientifiques mettent en valeur les nouvelles études en trois dimensions des otolithes, ces petites structures calcifiées présentes dans l’oreille interne des poissons. Ces nouvelles données, fournies en collaboration avec les universités d’Artois et de Dijon, ouvrent de nouvelles perspectives en biologie marine et en écologie.
«Ces pièces, composées de carbonate de calcium, grandissent tout au long de la vie du poisson, enregistrant des informations précieuses sur son environnement et son état physiologique, un peu à la manière des cernes de croissance des arbres», indique le chercheur. Chaque strie visible sur les otolithes peut ainsi indiquer des périodes de stress, des changements environnementaux ou encore des métamorphoses importantes.

Pourquoi étudier les otolithes ?
L’une des principales raisons d’étudier les otolithes est d’évaluer l’état de santé des stocks de poissons. «Comme la taille d’un poisson ne correspond pas toujours à son âge – contrairement aux êtres humains – il est nécessaire de prélever ces os pour déterminer l’âge exact d’un poisson et évaluer son taux de reproduction», détaille Kélig Mahé. En 2022, l’Ifremer, estime que 56% des volumes de poissons débarqués dans l’hexagone (347 000 tonnes) proviennent de populations exploitées durablement, contre 54% en 2021.
En observant la structure de ces os, les scientifiques peuvent par exemple effectuer une forme de recensement des populations d’anchois ou de sardines. Ces informations sont cruciales pour réguler la pêche et assurer la durabilité des ressources marines. «On prélève les otolithes sur les poissons issus de la pêche commerciale, renseigne le chercheur. Vous ne le savez sans doute pas, mais quand vous achetez un turbot, un scientifique est peut-être passé avant vous pour prélever cet os !» Selon l’Ifremer, chaque année dans le monde, c’est plus d’un million d’otolithes qui sont prélevés et analysés.

Reconstituer les modes de vie des poissons
Les otolithes sont des structures uniques dans le corps des poissons. Contrairement à d’autres pièces calcifiées comme les écailles ou les vertèbres, elles ne peuvent ni se détruire ni se recomposer. Elles constituent donc une réserve inerte de calcium qui enregistre fidèlement toutes les informations sur la vie du poisson. «Outre l’âge, l’analyse des otolithes permet de retracer les différents milieux traversés par le poisson, de déterminer l’estuaire où il a vécu, et même de suivre l’accumulation de polluants dans l’environnement», révèle le spécialiste.
Une fois analysés en 3D, toutes les variations de forme et de composition de ces petits os sont quantifiés par morphométrie géométrique. Cette discipline étudie la géométrie et les variations statistiques des otolithes pour appréhender les causes des variations morphologiques et leur évolution dans le temps.
Avant, les scientifiques n’avaient à disposition que les images de coupe 2D qui n’offraient pas une vue d’ensemble et donc beaucoup moins d’information. «Cette avancée permet de mieux distinguer les différentes espèces de poissons, de comprendre si un poisson a évolué en eaux profondes ou en surface. Elle permet aussi de reconstituer son régime alimentaire et son mode de vie», souligne Kélig Mahé.

Un outil puissant pour étudier les stress environnementaux
Cette nouvelle application est encore à ses débuts et d’autres paramètres pourront être ajoutés aux analyses morphologiques dans le futur. «Elle promet d’être un outil puissant pour comprendre la biodiversité marine et les effets du changement climatique, souligne Kélig Mahé. L’imagerie 3D des otolithes ouvre de nombreuses questions et perspectives pour l’avenir.»
Les scientifiques souhaitent étendre l’analyse fournie sur la Manche et la mer du Nord aux poissons de toutes les eaux françaises pour accumuler des connaissances qui permettront de mieux comprendre le stress environnemental et physiologique auquel les poissons sont confrontés.
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