Coup de chaleur sur Brest (Finistère), en cette belle journée de la mi-juin. La plage du Moulin Blanc est pleine et, au milieu des parasols et des serviettes, un petit groupe d’hommes détonne. Jeans, baskets, gants, sacs-poubelle et pinces à la main, ils arpentent la plage sous un soleil de plomb. Sous le regard amusé ou interrogateur des baigneur·ses, ils ramassent mégots et bouts de plastique.
Ce ne sont pourtant pas les bénévoles d’une association de protection de l’environnement, loin de là. Ces onze hommes ont tous commis un délit portant atteinte à l’environnement. Et, ce jour-là, ils participent à une action citoyenne, organisée par le parquet de Brest, dans le cadre d’un stage de citoyenneté environnementale auquel ils ont accepté de prendre part. En jeu : le classement sans suite de l’infraction qu’ils ont commise. Alors, ils mettent la main à la pâte, sans rechigner. «Maintenant qu’on est là, autant s’y mettre», glisse Renaud, l’un des stagiaires, la pince à la main.

Sur la plage, la température dépasse les 30°C, mais la journée a commencé dans une ambiance glaciale. Dans la salle d’audience du tribunal judiciaire de Brest, alors que débute le stage, les visages sont fermés et les bras croisés. Accueillis par Solenn Briand, la substitut du procureur, les onze hommes se murent dans le silence le temps de sa présentation du fonctionnement de la justice. Quelques langues se délient, un peu forcées, lorsque les agentes de l’Office français de la biodiversité (OFB) Lisa Briot et Anne Royer, qui présentent leurs missions, les interrogent. Elles ont axé leur intervention sur les règles qui entourent la pêche à pied et sur les conséquences environnementales des dépôts sauvages, infractions pour lesquelles plusieurs participants sont poursuivis.
Les échanges sont poussifs, parfois tendus, notamment lorsqu’il est question de la taille réglementaire des ormeaux qu’il est possible de pêcher. Même les études menées sur le terrain pour évaluer la ressource, en déclin, utilisées pour appuyer le propos, sont remises en cause par certains. «Ça fait 50 ans que je pêche : les ormeaux, il y en a, mais il y a de plus en plus de gens qui viennent et font n’importe quoi, c’est ça le problème», répond sèchement Serge*, pourtant présent pour avoir ramené plus d’ormeaux que la quantité autorisée, dont des mollusques plus petits que la taille réglementaire.
«Si je suis honnête, j’ai peut-être mérité d’être ici»
«C’est toujours comme ça, comme d’autres font pire, ils relativisent leur infraction», analyse Thomas Bassoulet, coordinateur pédagogique au sein du Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) du pays de Morlaix (Finistère), qui encadre la journée. Lui, anime un temps d’échange sur la biodiversité. Le loup, les salamandres… alors qu’il explique leur importance pour la préservation des milieux, les échanges se débrident et dérivent sur les normes qui concernent les agriculteur·ices.
Avec patience, Lisa Briot et Thomas Bassoulet répondent aux revendications portées par deux stagiaires exploitants agricoles. Quand les autres les encouragent avec des sourires connivents. «Vous, vous feriez comment à notre place ?», demande l’un des agriculteurs à Lisa Briot. La question piège n’en est pas une, l’agente de l’OFB explique pourquoi la prise en compte de l’environnement peut être une contrainte – qui ne doit pas pour autant être ignorée, afin de faire perdurer le métier. À force de dialogue, l’atmosphère se détend. Tous s’accordent finalement à dire que le sujet, au-delà des normes, c’est la trop faible rémunération des agriculteur·ices. «Finalement, le vrai problème, c’est le capitalisme», conclut Renaud, patron-pêcheur, qui se plaint de la concurrence déloyale des bateaux étrangers dans les eaux françaises, avant que n’arrive la pause méridienne.

Si, il y a deux ans, le parquet de Brest a pu mettre en place ces stages de citoyenneté environnementale, qui n’existent que dans quelques tribunaux en France, c’est grâce à sa collaboration avec le CPIE du pays de Morlaix. «Thomas, l’animateur, rend le stage moins solennel. Le but est d’améliorer la qualité de la réponse de la justice à ces infractions, souligne Solenn Briand. Les amendes de quelques centaines d’euros, c’est bien ; mais, pour éviter la récidive, on essaie de les sensibiliser à l’importance de la biodiversité, de les amener vers une réflexion plus globale que l’infraction commise.»
Elle espère que le message sera diffusé par les stagiaires. La substitut du procureur insiste : même si ce stage reste une sanction, la dimension pédagogique prime sur l’aspect punitif. Pourtant, sur le terrain, certains ont l’impression d’une punition. Sur la plage, Gilles, agriculteur d’une quarantaine d’années, confie : «On passe pour des délinquants, alors qu’on bosse toute l’année.» Il admet malgré tout avoir commis un délit : il a brûlé des déchets plastiques sur son exploitation. Deux fois. Lui aussi minimise et se déresponsabilise, mais avoue : «Si je suis honnête, j’ai peut-être un peu mérité d’être ici.»
Des retours encourageants
Solenn Briand le reconnaît, la plupart des participants sont là par pur intérêt : en assistant à cette journée, ils échappent aux poursuites et voient leur affaire classée sans suite. «On ne propose ce stage et ces conditions qu’à des délits que l’on juge de gravité moyenne», précise la substitut du procureur. L’amende qui punit l’infraction, en revanche, reste due par les participants au stage. Étienne, 75 ans, a écopé de la plus lourde : 1 200 euros pour une pêche aux ormeaux qui ne respectait pas les règles. «J’ai fauté, je le reconnais, mais je suis dégoûté, souffle le retraité. À ce prix-là, autant acheter directement les ormeaux… Je n’irai plus à la pêche à pied.» Comme les autres, Étienne a aussi dû payer le stage, 50 euros.
Pourtant, à la fin de la journée, le petit groupe semble satisfait. C’est d’ailleurs ce qui ressort des questionnaires distribués pour évaluer les retours des stagiaires. Les sacs-poubelle se sont remplis – «Je ne pensais pas ramasser autant de déchets», s’étonne même Gilles – et les échanges avec les intervenant·es ont permis de faire passer quelques messages. «On vit dans un monde écolo, il faut faire avec, sourit Renaud, le patron de pêche, qui est venu parce que son mécanicien a été pris par la brigade maritime en train de dégazer du gazole en mer. Ce qui me frustre, c’est que mon mécanicien, qui a fait la faute, n’est pas convoqué aujourd’hui. J’aurais une discussion avec lui au sujet du stage, mais ce n’est pas pareil.» Lui et Gilles affirment faire attention à l’environnement dans leur métier. «On a conscience de l’importance de la biodiversité, mais c’est parfois compliqué de mêler écologie et rendement», poursuivent les deux hommes, qui dénoncent «le système».
Alors que la journée se termine, Thomas Bassoulet sourit. «Je suis assez surpris par leur changement d’attitude entre ce matin et cet après-midi. C’est positif de voir qu’ils se sont ouverts à la discussion. Je pense qu’ils ont compris certaines choses.» Pour le moment, aucun des participant·es aux quatre stages déjà organisés par le parquet de Brest ces deux dernières années n’a récidivé.
*Le prénom a été modifié.