Journaliste d’investigation, Sophie Roland a travaillé pendant près de 20 ans pour les journaux télévisés et les magazines d’enquête de France Télévisions. En 2016, après avoir enquêté sur les perturbateurs endocriniens, elle prend la mesure des liens entre santé et environnement. Elle réalise aussi à quel point le traitement de ces questions dans la presse est déficient. Après plusieurs formations sur les enjeux climatiques, elle embrasse le journalisme « de solution », qui veut traiter les problématiques autant que les réponses qui peuvent leur être apportées. Elle passe aujourd’hui la majeure partie de son temps à former étudiant·es et rédactions.
Pourquoi le sujet des enjeux climatiques n’est-il pas mieux pris en compte dans les journaux télévisés ?
Je crois que les rédacteurs en chefs manquent de connaissances sur ce thème. Pendant longtemps, l’environnement était vu comme une rubrique à part, réservée à des spécialistes. Aujourd’hui, les enjeux climatiques irriguent l’ensemble des sujets de société ‒ économie, politique, etc. Mais ni les rédacteurs en chef, ni les journalistes des services associés n’ont été formés à ces thématiques : ils n’ont pas conscience de l’urgence de les traiter à l’antenne ‒ et ne savent pas non plus comment le faire.
Aujourd’hui, des collectifs citoyens estiment que la couverture médiatique des questions liées au climat est inexistante, partagez-vous leur point de vue ?
Pas vraiment, car même si cela reste insatisfaisant, la situation a progressé ces dernières années. Prenons France télévisions, que je connais bien : l’équipe Web de France info fait un travail formidable, comme ce gros plan sur l’empreinte carbone des transports. France 3 Bordeaux a créé l’émission « Se réinventer en Nouvelle-Aquitaine », sur les solutions au dérèglement climatique.
France Télévisions a aussi créé NOWU, un site à destination des jeunes, dédié à ces enjeux, avec des questions concrètes, des quizz, des solutions qui rendent cela moins anxiogène ‒ surtout pour cette génération qui va être confrontée de plein fouet au dérèglement climatique.
Autre signe très révélateur des progrès effectués : il y a dix jours, Université France Télévisions [l’organisme de formation de France télévisions, NDLR] m’a sollicitée pour préparer un débat « médias et climat » à destination des salariés du groupe et y participer. Cet organisme va aussi lancer à la rentrée des formations sur les enjeux climatiques. Il y a une prise de conscience en interne de la nécessité de mieux s’emparer de ces questions.
Malgré ces avancées, cela infuse encore trop peu. Comment les journalistes peuvent-elles et ils progresser ?
Il est indispensable de former journalistes et rédacteurs en chef aux enjeux climatiques. Les sujets d’actualité doivent être systématiquement éclairés en faisant le lien avec le dérèglement climatique. Quand une vague de chaleur survient, comme à la fin de l’année 2021 en France, on ne peut pas se contenter de filmer les Français en maillot de bain. Il faut s’interroger : cette vague de chaleur est-elle normale ? Va-t-elle être suivie d’autres vagues de chaleur dans un monde à +2, voire +3 degrés [de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, NDLR] ?
Il est également crucial de ne pas traiter le climat sous un angle uniquement catastrophiste, au risque de décourager tout le monde. Il faut aussi parler des solutions face au dérèglement climatique, et notamment des solutions collectives qui doivent être mises en place par les politiques et les entreprises. On ne peut plus se contenter de filmer des citoyens qui se mettent au vélo, il est aussi nécessaire de filmer les villes qui ont mis en place des plans vélos pour passer à l’échelle supérieure. Ces solutions doivent être questionnées, leur efficacité doit être mesurée et leurs limites soulignées, comme sur la question de la compensation carbone, par exemple [qui consiste à stocker du CO2, notamment en plantant des arbres, pour compenser une partie des activités d’un établissement, NDLR]. Devenue une solution de facilité pour de nombreuses entreprises, cette contrepartie leur permet d’éviter de remettre en cause leur modèle de fonctionnement.
Autre exemple de traitement médiatique à soigner : les rapports du Giec, qui fournissent des faits majeurs à décrypter. Aujourd’hui, les scientifiques jouent davantage le jeu de l’interview, et il est important de montrer des exemples concrets. Mais fin février, à la sortie du second volet du sixième rapport du Giec [notamment consacré à l’adaptation des humains et des écosystèmes à la crise climatique, NDLR], un JT a osé montrer l’exemple de citoyens refusant de s’adapter à la montée des eaux. C’était pourtant l’occasion de mettre en lumière les communes qui ont déjà commencé à s’adapter…
Pensez-vous qu’un quota de traitement médiatique serait la solution ?
Je n’en suis pas convaincue. Imposer un sujet dans un journal ne correspond pas à ma vision du métier. Chaque journal a sa ligne éditoriale, elle doit rester dans les mains de professionnels qui décident librement de la hiérarchie de l’information. Tout l’enjeu, selon moi, est de former ces professionnels à la compréhension des questions climatiques, afin qu’ils les intègrent de façon naturelle dans la conférence de rédaction et les traitent mieux qu’ils ne le font.
Au quotidien, comment faites-vous pour vous informer ?
Je lis Vert bien sûr (rires) ! Ainsi que le Fil vert de « Libé », la lettre de l’écologie de Mediapart. Il y a des médias spécialisés comme We demain, Kaizen, Socialter, Usbek et Rica, Reporterre, etc. À l’étranger, je recommande la nouvelle rubrique the Headway du New York Times, ainsi que le travail du Guardian ou les newsletters Struggles From Below, ou Squirrel News en Allemagne, qui agrège de nombreux sujets, traités sous l’angle des solutions.
Je recommande aussi les très bons documentaires ou émissions sur Arte, notamment 42, la réponse à presque tout. J’ai aussi un œil sur les publications de Bon pote et du collectif Pour un réveil écologique, qui fait un bon travail d’alerte sur le greenwashing.