Reportage

Sécheresse, gel… près de Lyon, des aventuriers des plantes à la recherche des espèces qui nous nourriront dans le climat de demain

Prends-en de la graine. À Charly (Rhône), le Centre de ressource en botanique appliquée (CRBA) s’est donné pour mission d’identifier les plantes susceptibles de résister au changement climatique. Son équipe s’intéresse aux semences anciennes et mène des expéditions à travers le monde, en quête de variétés résilientes et nourrissantes.
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De part et d’autre de l’allée cen­trale du champ, des par­celles métic­uleuse­ment éti­quetées accueil­lent de mul­ti­ples var­iétés de céréales, légumes, arbres fruitiers et plantes divers­es. Le soleil est de plomb et la chaleur étouf­fante en cette journée d’août canic­u­laire, mais la végé­ta­tion est lux­u­ri­ante. «Et pour­tant, on irrigue le moins pos­si­ble», glisse l’ethnobotaniste Stéphane Crozat, avant de s’immobiliser devant des plantes hautes, coif­fées de bou­quets de graines rouges, ros­es et blanch­es. Voici l’amarante, une pseu­do-céréale de la famille du quinoa.

En France, les jar­diniers la con­nais­sent pour ses pro­priétés orne­men­tales, mais elle pos­sède aus­si de nom­breuses qual­ités nutri­tives. «La graine est deux fois plus petite que celle du quinoa, mais encore plus riche, notam­ment en pro­téines. Elle con­tient aus­si des antioxy­dants peu com­muns comme le squalène, qu’on trou­ve chez les requins, et des vit­a­mines, ce qui est rare pour une graine», détaille l’ethnobotaniste, spé­cial­iste des rela­tions entre les humains et les plantes. Autre avan­tage : grâce à son sys­tème raci­naire pro­fond, la plante est très résis­tante à la sécher­esse.

Stéphane Crozat, botaniste et directeur du CRBA, devant des var­iétés d’amarante. Pour lui, il s’agit d’un futur «super­al­i­ment». © Guil­laume Chamerat/Vert

Favoriser la diversité génétique des espèces végétales

Capac­ité d’adaptation au change­ment cli­ma­tique, cul­ture sans intrants chim­iques et haute valeur nutri­tive et gus­ta­tive : voici les trois critères recher­chés par l’équipe du Cen­tre de ressource en botanique appliquée (CRBA), lieu d’étude des végé­taux situé sur le vaste domaine Mel­chior-Philib­ert de Char­ly, près de Lyon (Rhône).

Stéphane Crozat et son anci­enne cama­rade d’u­ni­ver­sité Sab­ri­na Novak ont fondé en 2008 cette asso­ci­a­tion, financée équitable­ment par des sub­ven­tions publiques, des presta­tions et des dons privés. Créé à l’o­rig­ine pour la recon­sti­tu­tion his­torique de jardins, le CRBA a rapi­de­ment évolué pour devenir un lieu de con­ser­va­tion de var­iétés anci­ennes, locales et inter­na­tionales, afin de préserv­er la diver­sité géné­tique des plantes cul­tivées, qui s’est effon­drée ces dernières décen­nies.

Dans son bilan de la bio­di­ver­sité agri­cole mon­di­ale pub­lié en 2019, l’Or­gan­i­sa­tion des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) esti­mait que seules 200 plantes étaient util­isées pour toute l’alimentation mon­di­ale cette même année, sur les 6 000 cul­tivées au long de l’his­toire humaine. Plus inquié­tant encore : seules neuf espèces four­nis­saient les deux tiers des récoltes mon­di­ales, prin­ci­pale­ment la canne à sucre, le blé, le riz et le maïs.

Cet appau­vrisse­ment glob­al nous rend par­ti­c­ulière­ment vul­nérables au réchauf­fe­ment cli­ma­tique. «Les var­iétés mod­ernes sont très spé­cial­isées, elles sont résis­tantes à telle ou telle mal­adie, et ont besoin de beau­coup d’eau et d’en­grais. Les var­iétés anci­ennes ou paysannes ont moins de ren­de­ment et résis­tent peut-être moins à une mal­adie pré­cise… Mais elles sont moins homogènes, donc elles ont une résilience beau­coup plus forte face au change­ment cli­ma­tique», explique Vic­tor Durand, chef d’exploitation du CRBA.

Cette var­iété anci­enne de pêch­er orig­i­naire de la région lyon­naise est con­servée au CRBA. © Guil­laume Chamerat/Vert

Des expéditions de recherche en climat extrême

L’autre mis­sion du cen­tre con­cerne la recherche et l’étude de végé­taux. Pour trou­ver les per­les rares répon­dant aux critères de qual­ité et de résilience, l’équipe du CRBA mène des expédi­tions dans des zones à fortes vari­a­tions cli­ma­tiques.

En 2015, Stéphane et Sab­ri­na ont ain­si rejoint la région de Krasnodar, dans le sud de la Russie, d’où ils ont rap­porté plus de 300 semences et gref­fons, trou­vés dans la nature ou auprès de paysan·nes — jusqu’au fond des jardins de grands-mères russ­es.

En 2019, leurs explo­rations les mènent en République russe fédérée du Dagh­es­tan. «Là-bas, l’amplitude ther­mique va de ‑22°C à 53°C, rap­porte Stéphane Crozat. On pense sou­vent que pour faire face au change­ment cli­ma­tique, il suf­fit de remon­ter les espèces du sud vers le nord. Mais ça ne marche pas comme ça, parce qu’il s’agit d’un dérè­gle­ment avec du gel tardif, trop de pluie, trop de chaleur, une sécher­esse, un hiv­er trop doux, etc.». D’où l’intérêt de récolter des semences de plantes déjà habituées à des cli­mats extrêmes.

L’année prochaine, le CRBA voy­agera en Arménie, qui se trou­ve dans le hotspot de bio­di­ver­sité du Cau­case, des ter­ri­toires rich­es d’une faune et d’une flo­re excep­tion­nelles, mais par­ti­c­ulière­ment men­acés par les activ­ités humaines. «On vise aus­si des zones où l’hu­man­ité a domes­tiqué les par­ents sauvages des espèces con­som­mées aujour­d’hui», ajoute le botaniste. «Pour l’Ar­ménie, on par­le quand même de l’orge, du blé, du sei­gle, des lentilles, des pois chich­es et des poires».

Une par­tie de la sta­tion d’ex­péri­men­ta­tion Vav­ilov du CRBA, où sont étudiés les dif­férents végé­taux. © Guil­laume Chamerat/Vert

Une fois les graines ramenées, celles-ci sont pré­cieuse­ment stock­ées dans les con­ser­va­toires du cen­tre. Com­mence alors la phase d’é­tude et d’ex­péri­men­ta­tion. L’équipe du CRBA sélec­tionne les semences qui leur sem­blent les plus intéres­santes, et les cul­tive dans la sta­tion Vav­ilov, un site d’un hectare au sein même du domaine Mel­chior-Philib­ert. Inau­gurée en 2021, cette sta­tion s’in­spire des méth­odes de l’In­sti­tut Vav­ilov de Saint-Péters­bourg, cen­tre de recherche agronomique russe fondé en 1894, qui pos­sède la plus anci­enne banque de semences au monde.

L’an dernier, plusieurs pro­jets ont été menés à Char­ly, dont l’étude de céréales très promet­teuses pour l’agriculture de demain. 49 var­iétés de sorgho, plante africaine économe en eau et peu sen­si­ble aux mal­adies (notre arti­cle), sont en cours d’analyse. Le kern­za, une gram­inée vivace orig­i­naire d’Iran, fait aus­si l’objet de recherch­es, tout comme l’amarante. Pour cette dernière, trois var­iétés (Plais­man, Elena’s red et Sp 201) ont retenu l’attention des agronomes du cen­tre pour leur résis­tance à la sécher­esse et leur tolérance à deux épisodes de grêle. A terme, l’équipe du CRBA espère faire con­naître et encour­ager la cul­ture de ces espèces et var­iétés iden­ti­fiées.

Distribution gratuite de semences

Les botanistes enten­dent égale­ment favoris­er la sou­veraineté ali­men­taire du ter­ri­toire, grâce à la créa­tion, en 2022, d’une ferme semen­cière avec la Métro­pole de Lyon. Local­isée sur un autre site de la com­mune de Char­ly, elle a pour objec­tif la dis­tri­b­u­tion gra­tu­ite de semences, au plus près des besoins des professionnel·les.

Plusieurs var­iétés de laitues sont actuelle­ment à l’é­tude, pour iden­ti­fi­er celles qui seront les mieux adap­tées au cli­mat local et au con­texte socio-économique des agriculteur·rices. Une dizaine d’en­tre elles et eux ont d’abord listé des critères agronomiques à respecter (résis­tance aux mal­adies, poids au moment de la récolte et durée avant la mon­tai­son), per­me­t­tant au CRBA de sélec­tion­ner 30 var­iétés, soumis­es ensuite à une éval­u­a­tion par­tic­i­pa­tive.

Une des var­iétés de laitues étudiées, après la mon­tai­son. Les graines vont bien­tôt pou­voir être récoltées. © Guil­laume Chamerat/Vert

Une fois ces salades goûtées par des professionnel·les et des consommateur·rices, «on va pass­er tous ces résul­tats à la moulinette sta­tis­tique pour faire ressor­tir entre cinq et dix var­iétés, et recon­duire l’ex­péri­men­ta­tion l’année prochaine», explique Vic­tor Durand. Les graines de laitues devraient être disponibles à par­tir de 2026. Puis, le CRBA repro­duira la méthodolo­gie sur d’autres légumes.

«On va mul­ti­pli­er les var­iétés intéres­santes, pro­duire des graines en grosse quan­tité et les don­ner gra­tu­ite­ment à ceux qui en font la demande, afin qu’ils puis­sent ensuite les cul­tiv­er et les repro­duire», indique le chef d’exploitation du CRBA, qui souhaite con­tribuer à l’autonomie semen­cière des agriculteur·rices. Un tra­vail de longue haleine dans le but qu’un jour, l’on puisse décou­vrir sur les étals de nos marchés ces innom­brables var­iétés savoureuses et adap­tées aux nou­velles con­di­tions cli­ma­tiques.

«Il y a aus­si un enjeu de qual­ité nutri­tion­nelle des végé­taux — les taux de vit­a­mines, pro­téines et autres antioxy­dants auraient été divisés par 25, voire 100 selon les études, depuis les années 50», souligne Stéphane Crozat, tout en nous guidant jusqu’à un petit arbre fruiti­er. «C’est une var­iété anci­enne de pêch­er lyon­nais. Quand des gens de plus de 60 ans goû­tent ses fruits, cer­tains ont les larmes aux yeux. Ils me dis­ent qu’ils n’avaient jamais retrou­vé le goût des pêch­es de leur enfance».

Cet arti­cle est issu d’«Eau sec­ours» : notre série d’en­quêtes sur l’eau pour faire émerg­er les vraies bonnes solu­tions dans un monde qui s’assèche. Mégabassines, régies de l’eau, tech­noso­lu­tion­nisme… Pen­dant tout l’été 2024, nous explorons les sujets les plus brûlants liés à notre bien le plus pré­cieux. Cette série est financée en grande par­tie par les lec­tri­ces et lecteurs de Vert. Pour nous aider à pro­duire du con­tenu tou­jours meilleur, soutenez Vert.