Reportage

Quand revient le froid, la grande débrouille des habitants de « passoires thermiques »

Face aux températures hivernales et en attendant qu’un jour leur logement soit mieux isolé, les précaires énergétiques adoptent des combines pour rester au chaud. Rencontre avec des pros du « système D » à travers l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine.
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Le feu crépite dans le cantou, cheminée qui constitue l’élément central des maisons lotoises traditionnelles. Posé sur le clic-clac et emmitouflé dans son pull-plaid, Mickaël Courdesses révise des partitions sur l’ordinateur, en cette après-midi fraîche de janvier. La pièce à vivre est sombre dans cette petite maison en pierres du Quercy (une région du Lot), où ce musicien vit depuis trois ans. Pour éviter de « faire entrer le froid », il garde les volets fermés. La lumière du jour perce à travers le trou du vieux lavabo en pierre. « Je pose l’éponge devant pour boucher l’arrivée d’air », explique le Lotois de 34 ans. Le thermomètre affiche péniblement 16 degrés dans la partie la plus chaude de cette bâtisse du XIXe siècle, rénovée dans les années 1960. C’est cinq degrés de plus que dans la salle d’eau et la chambre. Alors, pour éviter de chauffer dans le vide et « dépenser une fortune », il dort désormais au bord de la cheminée. « Je me réveille de temps en temps pour ajouter une bûche et attiser les braises », raconte-t-il, un tisonnier à la main.

Mickaël Courdesses chez lui. © Emma Conquet/Vert

Comme lui, Alexandre Bodnar a dû condamner certaines pièces. Dans son T2 mansardé à Toulouse, un drap sépare le matelas du reste du salon. Le linge sèche en pagaille dans ce qui lui servait, avant l’hiver, de chambre à coucher. « Les radiateurs électriques sont installés sous les ouvertures en simple vitrage, il faisait trop froid », décrit le locataire de 32 ans. Le chauffage ne tourne que quelques heures par jour, pour ne pas recevoir une facture salée. Faute de travaux de la part du propriétaire, rebuté par les devis des artisans, les techniques d’isolations sont rudimentaires. Alexandre a calfeutré portes et fenêtres avec du ruban adhésif. « Avant, je pouvais passer mes doigts dans les fentes », s’indigne le jeune éboueur. Même les plinthes sont bouchées pour échapper aux effluves et courants d’air de l’appartement du bas.

Système D face au froid

Malgré le retour du froid, « la plupart des gens ne font rien », remarque Cédric Carles, directeur et fondateur de l’Atelier 21. Ce laboratoire citoyen basé à Paris forme des « précaires énergétiques » à gagner en chaleur, en attendant les travaux d’isolation. « Beaucoup ne savent pas comment faire, car ils ne connaissent pas les principes thermiques, mais il existe plein de combines », reprend le directeur. Sur son site internet, le think tank partage des tutoriels pour fabriquer des marmites norvégiennes (cuisinière sans feu, ni électricité) ou encore des kotatsu, sorte de table chauffée.

Alexandre Bodnar a isolé portes et fenêtres avec du ruban adhésif. © Emma Conquet/Vert

Une méthode japonaise adoptée par Anthony Bonafé, colocataire dans un ancien corps de ferme en Haute-Vienne. « La maison fait 200 mètres carrés et ma chambre est sous les toits, elle n’est pas chauffée par le poêle à granulés », raconte ce frileux de 26 ans. Télétravailleur, il a donc placé des bandes de tissus autour de son bureau, avec un petit radiateur d’appoint en dessous, pour recréer un îlot de chaleur : « La planche en bois retient l’air chaud et circule dans les jambes, je complète juste avec un plaid ». Il a également équipé chaque fenêtre en simple vitrage de rideaux thermiques.

Pour dormir bien au chaud, Anthony va plus loin avec son kotatsu géant fait maison. À la manière d’un baldaquin, des bâches et couvertures encadrent son lit. Il ne lui reste plus qu’à allumer un convecteur électrique : « J’atteins jusqu’à 20°, alors qu’il en fait neuf de moins dans le reste de la chambre ». Seul bémol, pour rester hermétique et bloquer la chaleur, il faut bien assurer la jonction des draps. Pas question de tout défaire en allant aux toilettes durant la nuit. Alors, le Haut-viennois a trouvé la solution : « J’ai un bidon à côté de moi », s’amuse-t-il. « En plus, ça fait de l’engrais pour le jardin ».

Isoler son logement ? Trop cher, trop compliqué, trop peu d’artisans

« La clé, c’est de réduire les espaces et de chauffer les corps », assure celui qui se décrit comme le « cordonnier le plus mal chaussé ». Conseiller France Rénov, Anthony Bonafé passe ses journées à orienter les habitant·es de son département vers les solutions existantes pour en finir avec leur passoire thermique. La France en compte 7 millions, selon un rapport parlementaire de la députée Aurélie Trouvé (LFI) publié en novembre 2022. L’an dernier, 669 890 logements ont bénéficié de « MaPrimeRénov » pour des travaux d’isolation, selon l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). « Les gens rénovent geste par geste, explique Anthony Bonafé. Par exemple, ils remplacent leur pompe à chaleur, mais n’isolent pas les murs. » Ainsi, le rendement du système de chauffage est amélioré, mais la quantité de chaleur qui s’échappent de la maison ne diminue pas. Au total, seuls 65 939 logements ont été intégralement rénovés. Pour atteindre les objectifs climatique de la France contenus dans la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le Haut Conseil pour le climat préconise 370 000 rénovations globales par an et 700 000 à partir de 2030.

Le kokatsu géant d’Anthony Bonafé. © DR

« Ça coûte trop cher », juge Mickaël Courdesses. Malgré les aides publiques, le reste à charge est parfois élevé. De plus, « il faut monter tout un tas de dossiers pour y prétendre », soupire-t-il. Dans un rapport rendu le 28 octobre dernier, la Cour des comptes alertait sur la grande complexité administrative des politiques de rénovations thermiques. « Comme si l’Etat n’était pas capable de simplifier les processus », souffle Cédric Carles, pessimiste quant à la rénovation complète du parc immobilier : « Même si on mettait l’argent et qu’on simplifiait les choses, qui va poser ces isolants ? ».

Il pointe notamment le manque d’artisans certifiés RGE (Reconnu garant de l’environnement), seuls habilités à réaliser des travaux financés par l’Etat. « En zone rurale, c’est un gros problème, les artisans doivent terminer les travaux dans un délai d’un an, mais les besoins sont trop importants, il faut en former de nouveaux », souligne Anthony Bonafé. D’autant que les travailleurs du bâtiment font également face à des contraintes administratives pour être agréés. « Et ceux qui le sont doivent être renouvelés tous les ans, en remplissant à chaque fois de lourds dossiers et certains ne le font pas à temps », reprend le conseiller en énergie. Pour Cédric Carles : « On ne peut pas attendre le gouvernement, il faut se relever les manches et continuer à enseigner aux gens toutes les alternatives qui existent ».

Retrouvez tutos et guides pour gagner en confort thermique sur le site d’Atelier 21.