Décryptage

Qualité des eaux de baignade : et si vous aidiez la science en devenant «chasseur de micro-algues» ?

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Bad­abloom. L’institut de recherche pub­lic Ifre­mer a lancé cet été une nou­velle ver­sion de son appli­ca­tion de sci­ence par­tic­i­pa­tive, Phe­nomer 2.0. Ini­tiale­ment lim­itée à la Bre­tagne, elle cou­vre désor­mais toute la France mét­ro­pol­i­taine. Son objec­tif ? Sur­veiller les «blooms» de micro-algues, provo­quant la col­oration des eaux. Mais qu’est-ce qu’un bloom, et pourquoi est-il impor­tant de sur­veiller ces phénomènes marins ? Expli­ca­tions.

Qu’est-ce qu’un bloom de micro-algues ?

Ce terme désigne des pro­liféra­tions mas­sives de micro-algues — on par­le aus­si de phy­to­planc­ton – dans l’eau, qui peu­vent la col­or­er en vert, rouge, ou brun en fonc­tion des pig­ments présents dans les cel­lules des algues. «Ces phénomènes sont sou­vent vis­i­bles à l’œil nu et peu­vent être spec­tac­u­laires, surtout avec les espèces qui scin­til­lent dans la nuit et bril­lent dans les vagues», décrit Stéphane Gues­don, hydro­bi­ol­o­giste (spé­cial­iste de la qual­ité de l’eau) à l’Ifremer (Insti­tut français de recherche pour l’ex­ploita­tion de la mer). Chaque efflo­res­cence peut com­porter des cen­taines de mil­liers de micro-algues, voire des mil­lions.

Un bloom vert à prox­im­ité de la Pointe Saint-Gildas, à Pré­failles (Pays-de-la-Loire). © Ifremer/Yves Le Medec Minyv­el

Une forte lumi­nosité, une abon­dance de nutri­ments, des tem­péra­tures prop­ices à la pho­to­syn­thèse : voici les con­di­tions idéales pour favoris­er ces efflo­res­cences. D’autres phénomènes sont égale­ment à pren­dre en compte : «le change­ment cli­ma­tique, les apports de nutri­ment du con­ti­nent d’origine naturel ou anthropique [comme les engrais agri­coles, NDLR], et les change­ments de régimes de vent peu­vent aus­si jouer un rôle dans l’aug­men­ta­tion de la fréquence des blooms», détaille Stéphane Gues­don. Ces évène­ments appa­rais­sent surtout au print­emps et en été. «Ils peu­vent dur­er de quelques jours à une quin­zaine, affirme le spé­cial­iste. Il est cepen­dant dif­fi­cile d’estimer le nom­bre de blooms par an».

Quels risques associés aux blooms ?

Si les blooms qui col­orent les eaux sont inof­fen­sifs en tant que tels, leur décom­po­si­tion peut avoir en revanche des con­séquences sur les écosys­tèmes marins. «Lorsqu’un bloom se dégrade, les bac­téries qui décom­posent les algues peu­vent con­som­mer une grande quan­tité d’oxygène. Cela peut entraîn­er une anox­ie, c’est-à-dire un manque d’oxygène dans l’eau, qui peut être fatal à la faune marine», indique l’hydrobiologiste.

Eaux col­orée orange, en juil­let 2004 dans le sud de la Bre­tagne. © Ifre­mer

Mais ces eaux col­orées ne «représen­tent pas de dan­ger san­i­taire par­ti­c­uli­er», souligne Stéphane Gues­don. L’Agence régionale de san­té (ARS) recom­mande néan­moins de ne pas se baign­er lors de ces épisodes pour éviter les risques de glis­sade ou de noy­ade dans ces eaux dev­enues trou­bles. Elle pré­conise égale­ment de pren­dre une douche après la baig­nade et de garder les enfants hors de l’eau pour éviter les inges­tions d’eau de mer.

Science participative 2.0

Pour mieux étudi­er le phénomène, l’Ifremer a décidé de miser sur la sci­ence par­tic­i­pa­tive, en pour­suiv­ant le développe­ment de son pro­gramme Phe­nomer. L’idée est sim­ple : deman­der aux gens de ren­seign­er ce qu’ils et elles obser­vent dans la nature. Cette approche a déjà fait ses preuves : en 2020, une étude a mon­tré que 60% des efflo­res­cences sig­nalées par Phe­nomer n’auraient pas été détec­tées autrement.

Depuis juil­let, une nou­velle ver­sion est pro­posée au pub­lic. Si elle per­met tou­jours de sig­naler les phénomènes d’eaux col­orées sur les côtes français­es via une appli­ca­tion mobile gra­tu­ite dédiée, elle pro­posera prochaine­ment d’activer un sys­tème d’alertes. Celles-ci seront envoyées aux util­isa­teurs quand un bloom est sus­pec­té près de chez eux. Aupar­a­vant con­cen­trés sur la Bre­tagne, les deux satel­lites util­isés par l’Ifremer pour détecter les eaux col­orées depuis le ciel sur­veil­lent aujourd’hui toutes les côtes français­es en con­tinu.

L’application Ifre­mer 2.0 est disponible depuis le 4 juil­let 2024. © Ifre­mer

«En cas de détec­tion, le site web incit­era les usagers à aller observ­er et sig­naler les phénomènes, pré­cise Stéphane Gues­don. Le pub­lic peut aus­si se pro­cur­er des kits de prélève­ment dans les ports, les clubs de sports ou encore les cap­i­tainer­ies.» Ces échan­til­lons seront ensuite analysés dans les lab­o­ra­toires de l’Ifre­mer pour iden­ti­fi­er les espèces présentes et déter­min­er la con­cen­tra­tion en phy­to­planc­ton.

«Les résul­tats des analy­ses seront ensuite partagés avec les par­tic­i­pants, pour créer une boucle d’in­for­ma­tion pré­cieuse entre les sci­en­tifiques et le grand pub­lic», se réjouit l’hydrobiologiste. Grâce à cette con­tri­bu­tion citoyenne, les chercheurs peu­vent com­pren­dre plus pré­cisé­ment les blooms de phy­to­planc­ton, leurs caus­es et leurs impacts. «En impli­quant active­ment le pub­lic, l’application trans­forme chaque util­isa­teur en un “chas­seur de bloom”», s’amuse le sci­en­tifique.

À tra­vers ce pro­jet, l’Ifre­mer espère aus­si anticiper les impacts des dérè­gle­ments cli­ma­tiques sur la fréquence et la dis­tri­b­u­tion de ces phénomènes, pour mieux pro­téger les écosys­tèmes marins. Il s’agit d’étudier en pro­fondeur les phénomènes de blooms. «L’ob­jec­tif est de com­pren­dre non seule­ment la dynamique de sur­face, mais aus­si de révéler tous les groupes d’espèces asso­ciés, com­prenant bac­téries, virus et autres formes de phy­to­planc­ton», con­clut le spé­cial­iste des blooms.