Le vert du faux

Pourquoi Radio France et France TV suppriment-ils des émissions sur l’écologie ?

Alors que l’écologie fait partie des principales préoccupations des Français·es, de nombreux contenus dédiés disparaissent des antennes du service public. Hasard des calendriers ou signe d’un désamour pour ces sujets ? On fait le point sur la question, posée par les lectrices et lecteurs de Vert.
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Depuis quelques mois, c’est l’hécatombe pour les programmes dédiés à l’écologie sur le service public. Après la disparition en décembre (notre article) de média Nowu, puis l’annulation du magazine d’enquête Vert de rage en avril, plusieurs émissions des antennes de Radio France ont été menacées, voire carrément arrêtées, ces dernières semaines. Retour en arrière et explications.

Sur France télévisions

La disparition de Nowu

Créé en 2021, ce média écolo en ligne à destination de la jeunesse suivait son bonhomme de chemin lorsqu’à la mi-novembre, France télévisions a annoncé sa fin brutale au 31 décembre. L’équipe, constituée de prestataires extérieurs, est tombée des nues, alors que des recrutements étaient en cours. Outre des audiences jugées trop modestes, une source chez France télévisions avait confirmé à Vert que la fin de Nowu avait été justifiée par des raisons budgétaires, «notamment pour prioriser d’autres sujets, en particulier un traitement ambitieux des Jeux olympiques» (notre article).

La fin de Vert de rage

Lundi 27 mai, après quatre saisons, France 5 a diffusé l’ultime épisode de Vert de rage, consacré aux pollutions liées aux déchets militaires. Pour justifier la fin de cette série documentaire d’investigation, qui a mis au jour de nombreux scandales dont celui de la pollution du Rhône aux «polluants éternels», la direction de France télévisions évoque «un triple concours de circonstances». D’une part, la volonté de Martin Boudot, figure phare du programme, d’en quitter la direction. D’autre part, le timing particulier de l’émission, dont les révélations sont faites au fur et à mesure de l’enquête, parfois plusieurs mois avant la diffusion du programme. Enfin, des résultats frustrants par rapport aux moyens mis en œuvre.

«On était collectivement déçus des audiences», reconnaît France télévisions auprès de Vert. «Quand on va au bout du monde pour dénoncer des choses et que l’on produit des enquêtes très longues et très lourdes et que l’audience ne reflète pas forcément tout le travail, l’engagement et les moyens humains mobilisés, il y a une déception et le ressenti que ça méritait davantage», détaille la direction.

Une source interne à France télévisions rappelle que les audiences avaient notamment été divisées par trois depuis que l’émission avait été déplacée du dimanche soir au lundi. Et que Vert de rage aurait pu se poursuivre sans la figure de Martin Boudot, dans un programme moins incarné que le magazine Sur le front, largement centré sur la figure d’Hugo Clément par exemple. «C’est hyper difficile de porter des sujets environnement à France télévisions depuis deux ans, on nous dit que ça marche moins qu’avant, qu’il y a moins d’audience, moins d’appétence», ajoute cette source.

«On entend beaucoup la petite musique qui dit qu’on abandonne l’écologie, mais absolument pas», se défend le groupe, soulignant les autres productions dédiées, dont Sale temps pour la planète, ainsi que de nouveaux programmes en cours de production (dont Les sentinelles du climat, magazine dédié aux catastrophes naturelles qui ont touché la France, ou encore Les combattantes du climat, un documentaire mettant en avant les femmes qui s’investissent dans la cause écologique, à venir fin 2024).

Rien n’est toutefois prévu pour prendre la relève de l’investigation environnementale – en dehors de certains épisodes d’Envoyé spécial, de Complément d’enquête ou de Cash investigation. À l’appel des collectifs Quota climat, Scientifiques en rébellion et Notre affaire à tous, un rassemblement est prévu le 11 juin prochain devant le siège de France télévisions en soutien à Vert de rage et en défense du droit à l’information sur l’environnement.

L’écologie reste bien présente dans le journal météo climat et le JT

Un journaliste de France télévisions refuse toutefois d’y voir un retour en arrière : «Ce qui a sauté à France télévisions ne constitue pas le cœur de l’offre sur le sujet. Tous les soirs, nous avons toujours le Journal météo climat, l’émission environnementale qui fait le plus d’audience avec 4 à 6 millions de spectateurs entre France 2 et France 3, et le sujet reste largement présent dans le journal télévisé de 20 heures, sur franceinfo.fr ou sur le canal 27». Ce journaliste, qui préfère rester anonyme, estime qu’il est «dommage d’avoir lâché Vert de rage et Nowu qui faisaient un excellent travail, mais cela me semble un peu simpliste d’y voir un virage éditorial».

Chez Radio France

Du grabuge à France Inter

Début mai, une grande surprise a secoué les fidèles de la très populaire émission la Terre au carré sur France Inter, un programme quotidien dédié à l’environnement depuis 2019. «Il a été acté que “La Terre au carré” sous sa forme actuelle […] disparaîtrait à la rentrée. Ça n’est pas un choix de notre part», déclarait Mathieu Vidard, animateur et producteur de l’émission sur France Inter, à l’antenne le 6 mai. Dans le Monde, un porte-parole de France inter justifiait ainsi une potentielle refonte : «Mathieu Vidard souhaite faire évoluer son émission vers davantage de récits écologiques et scientifiques», ajoutant qu’il s’agissait également de lutter contre l’«éco-anxiété» d’une partie de l’équipe.

Une annonce qui avait provoqué un tollé auprès des fidèles auditeur·ices de l’émission. Des pétitions (comme ici ou ), cumulant entre 35 000 et 40 000 signatures, et de nombreux messages de soutien avaient rapidement inondé les réseaux sociaux.

Revirement de situation le 17 mai, lorsque l’équipe a confirmé que l’émission serait finalement maintenue sans changements majeurs à la rentrée, et que les messages de soutien avaient «joué un rôle très important dans l’issue favorable» des discussions avec France Inter. Une version démentie par la direction : «La Terre au carré n’a jamais été menacée, il n’y a eu ni annonce, ni revirement. Les informations qui ont circulé sur les réseaux sociaux ne reflètent absolument pas la nature des discussions que l’équipe a eues avec la direction», soutient un porte-parole auprès de Vert. L’émission devrait toutefois être amputée de ses reportages.

Le quart d’heure hebdomadaire de «C’est bientôt demain», dans lequel Antoine Chao raconte les combats écologistes et sociaux, sera également supprimé de la grille de France Inter.

Journaliste environnement sur France Inter, Célia Quilleret estime que «l’écologie n’y est pas du tout menacée. À la rédaction, le sujet reste une priorité». Sa chronique Planète verte (trois minutes hebdomadaires) devrait être conservée. Elle ajoute : «L’environnement reste dans l’ADN de la chaîne. Ce sont le temps et les moyens qui manquent pour couvrir tous les sujets».

La disparition de l’écologie sur France Bleu

Mi-mai, c’est une autre émission de Radio France qui a été victime des réflexions sur l’évolution de la programmation après l’été. L’émission grand public Planète Bleu, animée par Benoît Prospero pendant trois heures chaque semaine sur France Bleu, disparaîtra à la rentrée.

Les audiences ne semblent pas être en cause. La direction justifie ce choix par une refonte de la grille, dont les programmes nationaux «vont disparaître au profit d’une proposition éditoriale davantage tournée vers le local». «Cette suppression ne concerne donc pas exclusivement Planète Bleu», assure-t-on à Vert. Interrogée sur la place de l’écologie sur l’antenne à l’avenir, la direction n’a pas souhaité répondre pour le moment.

Une dynamique qui pose question

Malgré des raisons très variées mises en avant par les programmateur·ices pour justifier ces annonces, plusieurs observateur·ices des médias y lisent une dynamique inquiétante. «Une tendance claire s’affirme : l’environnement n’est plus une priorité pour Radio France et France télévisions», alertait à la mi-mai Quota climat, une association qui analyse la place de l’écologie dans l’espace médiatique. «Depuis un moment, on constate une dégradation nette de la qualité et de la quantité du traitement des enjeux environnementaux, et notamment sur le service public», note auprès de Vert Jean Sauvignon, responsable du baromètre de Quota climat, qui quantifie l’écologie à la TV et à la radio.

Les chiffres recensés par Quota climat soulignent une légère baisse des contenus dédiés à l’écologie sur les sites des antennes de Radio France ces derniers mois. En 2023, 2,6% des contenus de France inter étaient étiquetés avec le thème «climat» sur leur site contre 2,3% pour l’instant en 2024, et 5% étaient tagués avec le terme «environnement», contre 4,2% cette année. À France Bleu, les articles «environnement» représentaient 4,4% des contenus en 2023 contre 4% en 2024. Un recul similaire est observable à l’antenne de France info.

Mais qu’est-ce qui expliquerait cet apparent «désamour» pour l’environnement à une époque où les effets du dérèglement climatique se font de plus en plus prégnants ? «À l’échelle de la société et dans les discours politiques, on remarque globalement des tentatives de dépolitiser l’écologie, car c’est un sujet qui dérange, et le service public n’est tout simplement pas épargné, décrypte Jean Sauvignon auprès de Vert. Les chaînes ont été beaucoup attaquées et taxées d’être trop à gauche, et il y a sûrement une volonté de reculer d’un pas et d’arrêter tout ce qui pourrait être assigné à du militantisme».

Or, pour faire de l’écologie un sujet incontournable, il semble essentiel que ces enjeux soient traités de manière transversale dans les médias, a fortiori au sein du service public, dont la mission est de produire une information d’intérêt général. «Pour qu’un sujet infuse pour de vrai, il faut qu’il monte structurellement dans l’information de tous les jours pour que les gens se sentent impliqués, mais il faut également des émissions spécialisées pour que les gens qui se sentent déjà impliqués puissent aller “plus loin” sur le sujet, estime Jean Sauvignon de Quota climat. Tout ça doit absolument être complémentaire».

Cet article est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque jeudi, nous répondrons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.

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