Une contradiction apparemment insoluble s’est installée en Europe : la précarisation des consommateurs et, en même temps, celle des producteurs, qui s’organisent pour réclamer des prix justes.
D’un côté, 16% des Français·es déclarent ne pas manger à leur faim. De l’autre, plus de 18% des agriculteur·ices vivent sous le seuil de pauvreté et ne peuvent modifier leurs pratiques du fait d’une concurrence illégitime, d’une insécurité économique marquée et de la pression d’autres acteurs en amont et en aval de la production.
Cette situation peut sembler difficile à accepter, encore davantage quand la politique de libre-échange et l’importance d’acteurs monopolistiques (grande distribution, filières agro-chimiques) sont de plus en plus pointées du doigt.
Cette politique paraît dépassée face au défi d’une alimentation qui doit se relocaliser et se végétaliser, conditions nécessaires pour pouvoir continuer à nous nourrir dans trente ans. Or, aujourd’hui, seuls quelques acteurs gagnent à maintenir un tel système.
Une alimentation saine et durable pour tout le monde
De nombreuses propositions peuvent être évoquées à l’échelle nationale comme européenne pour sauver l’agriculture : transformer les aides à l’hectare de la PAC en aides aux agriculteur·ices en activité, sortir l’agriculture des règles du libre-échange et des marchés financiers (où sont fixés les prix des denrées), mieux subventionner l’agroécologie et l’agriculture locale en circuit-court, augmenter les aides à la diversification, garantir des quotas et prix planchers…
Pourtant, tout cela ne sera pas suffisant tant qu’une alimentation saine et durable restera un luxe pour nombre de nos concitoyen·nes et la nourriture une variable d’ajustement des ménages. Répondre au plus élémentaire de nos besoins doit être un droit aussi bien garanti que l’accès aux soins ou le droit de vote.
Nous pouvons largement imaginer une situation dans laquelle tout le monde aurait la possibilité de s’alimenter sainement : nous connaissons ce mécanisme, nous l’expérimentons déjà à chaque fois qu’un hôpital accepte de nous prendre en charge, sans frais.
Le régime général de la Sécurité sociale a été imaginé par les résistants français durant l’occupation et porté par Ambroise Croizat, qui déclare en 1946 devant l’Assemblée nationale «l’ambition est d’assurer le bien-être de tous, de la naissance à la mort. De faire enfin de la vie autre chose qu’une charge et un calvaire».
Et ce système a fait ses preuves : en 2021, la France consacrait 12,3% de son PIB à la santé, contre 17,8% aux USA pour une espérance de vie de 6,4 ans supérieure et une mortalité infantile et maternelle inférieures. Aujourd’hui, le régime général de la Sécurité sociale doit être étendu à l’alimentation.
Une carte vitale d’alimentation créditée de 150 euros par mois
Mettre en place la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) consiste à reconnaître l’alimentation comme un droit universel, établi sous la forme d’une carte vitale d’alimentation créditée de 150 euros par mois et par citoyen·ne pour acheter des produits de qualité, conventionnés démocratiquement.
Son mécanisme de financement est inspiré de la Sécurité sociale, via une cotisation sociale à taux unique de 12,6% sur les salaires et revenu mixte des indépendants. Un pilier fondamental de la SSA est le conventionnement démocratique des produits, afin que les citoyen·nes choisissent, de manière concertée, avec nos productrices et producteurs, les critères d’accès aux produits alimentaires.
Mais la SSA ne se contenterait pas de garantir une alimentation saine à tout le monde : elle permettrait également aux structures conventionnées de bénéficier de prix garantis en s’émancipant de la concurrence internationale, de la grande distribution, et donc des aléas du marché, en considérant ses angles morts environnementaux et en rééquilibrant ses rapports de forces disproportionnés.
Créer ces circuits de distribution directs entre les personnes qui produisent notre nourriture et celles qui en bénéficient, c’est l’assurance d’un prix juste et d’une alimentation saine, car moins transformée. C’est aussi recréer du lien social entre villes et campagnes et redonner aux citoyens le pouvoir de choisir leur alimentation.
Une proposition pragmatique
Nous défendons donc une approche intégrée qui non seulement assure l’accès à une alimentation saine pour tous et toutes, mais répond également aux défis économiques auxquels sont confrontés les producteur·ices.
En assurant des débouchés pour la production d’aliments de qualité, elle permet de réduire leur dépendance au secteur de plus en plus concentré de la grande distribution. En combinant des principes démocratiques, des mécanismes de financement solidaires et des garanties de débouchés pour la production, la SSA émerge comme une proposition pragmatique, économique et nécessaire pour répondre aux enjeux actuels.
De nombreuses initiatives locales font déjà leurs preuves et ne demandent qu’à être étendues. Sans être une solution unique, la SSA neutralise un certain nombre de freins inhérents aux circuits alimentaires que nous avons construits.
C’est pourquoi nous demandons au gouvernement de s’engager à mettre en place la Sécurité sociale de l’alimentation et au Parlement de créer dès maintenant un groupe de travail visant à réfléchir aux modalités de sa mise en œuvre. Il s’agit, aujourd’hui plus que jamais, d’une question d’avenir et de survie.
Signataires : Convention étudiante pour une alimentation durable, Greenpeace France, Terre et humanisme, Bio équitable France, SSA Sciences Po, Terre de liens, Foodwatch France, Déclic collectif
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Photo d’illustration : Getty images / Unsplash