Il n’est pas sorti du sable. Dans son roman Pleine terre, inspiré de faits réels, Corinne Royer conte les neuf jours de cavale du paysan Jacques Bonhomme, pourchassé par les gendarmes et un système administratif injuste qui maintient sous l’eau la tête des petit•es agriculteur•ices.
Ce jour-là, Jacques Bonhomme n’est pas en train de soigner ses vaches à la ferme des Combettes ou de réparer une clôture au bord de la rivière. Il est parti, harassé par le dégoût et la perte de sens qui l’ont saisi deux ans plus tôt, lorsqu’il a eu le malheur de ne pas déclarer à temps la naissance de ses veaux. Pour démêler le fil des événements et comprendre ce qui l’a poussé à l’exil, les témoignages des proches – les sœurs, Marie-Ange et Arnaud, le vieux Baptiste – se succèdent. La mécanique des contrôles, des mises en conformité et des amendes a refermé sur Jacques sa prise d’acier. Traqué comme une bête sauvage, il ne lui reste que sa vieille Volvo pour épouser l’ombre des collines.

« Je cherche ma faute, écrit le héros dans une lettre à la presse, je sais qu’elle doit bien exister quelque part, ne serait-ce que dans le fait d’être un paysan à l’heure où on ne veut plus de paysans mais des chefs d’exploitation, plus de petites fermes mais de l’élevage intensif, plus d’entités familiales autonomes mais des entreprises tributaires des banques, de l’Etat et de l’Europe, des coopératives, des groupes industriels et de la grande distribution. » Neuf jours d’errance en forme de chemin de croix pendant lesquels le fermier, qui a « lu des livres » et milité à la Confédération paysanne, explore les contours de sa rébellion, apaise les fantômes du passé et recouvre sa dignité. Inspiré de l’histoire de Jérôme Laronze, éleveur de Saône-et-Loire, ce roman d’une grande finesse, tant dans l’écriture que dans l’analyse psychologique, fait de Jacques le porte-étendard de la révolte contre l’effondrement du monde paysan.
Pleine terre, Corinne Royer, Actes Sud, août 2021, 336p., 21€.