Entretien

Pierre Déom : « Auparavant, je n’avais pas une grande sympathie pour les moineaux »

Il y a 50 ans naissait la Hulotte, le « journal le plus lu dans les terriers ». 113 numéros consacrés à presque autant d’espèces (animales et végétales) plus tard, son papa, rédacteur en chef, auteur et dessinateur Pierre Déom raconte à Vert comment il confectionne chaque nouvel opus et ce qui continue de l’émerveiller après toutes ces années.
  • Par

La Hulotte fête son cinquantième anniversaire avec un double numéro consacré au merle, alias « le monocle d’or ». Est-ce pour une raison particulière ?

Non pas du tout ! Ce n’est pas comme ça que je pense la pro­gram­ma­tion des numéros. Je peux tra­vailler très longtemps à l’a­vance sur un sujet et ça traîne parce que je ne trou­ve pas la doc­u­men­ta­tion…

J’ai un cal­en­dri­er approx­i­matif où j’es­saie d’al­tern­er entre les dif­férentes caté­gories d’an­i­maux ou de végé­taux (mam­mifères, insectes, plantes, pois­sons), avec plus ou moins de bon­heur. C’est raté, tous les derniers numéros sont con­sacrés aux oiseaux !

Comment préparez-vous chaque numéro ?

Quand j’abor­de un sujet, je vais d’abord réu­nir avec ma col­lab­o­ra­trice tout ce qui existe comme doc­u­men­ta­tion et travaux sci­en­tifiques. On épluche tout ça et s’il reste des ques­tions pas élu­cidées, on demande à des spé­cial­istes des points de détail qu’ils n’ont par­fois pas dif­fusé dans leurs travaux.

Qu’est-ce qui vous anime et vous fait inlassablement continuer depuis 50 ans ?

Ça me pas­sionne, j’adore ça, j’adore la nature – je ne dirai pas depuis tou­jours parce que quand j’é­tais gamin ça ne m’in­téres­sait absol­u­ment pas ! J’adore dessin­er, tra­vailler sur la doc­u­men­ta­tion, sur le texte. C’est mon grand bon­heur dans la vie. J’ar­rêterai quand la nature m’ar­rêtera !

© La Hulotte

Diriez-vous que l’émerveillement est le meilleur ressort pour toucher le public sur le vivant ?

Cer­taine­ment. Je ne fais que traduire mon pro­pre émer­veille­ment. Très sou­vent, quand j’abor­de un numéro – et ça m’est arrivé pour le mer­le -, j’at­taque un sujet en me dis­ant que c’est moyen­nement intéres­sant et que je ne vais en faire qu’un demi numéro.

Avant de m’in­téress­er au moineau, je me dis­ais qu’il n’y avait pas grand-chose à faire sur lui. Et en étu­di­ant la doc­u­men­ta­tion, je me suis aperçu que c’é­tait un ani­mal absol­u­ment phénomé­nal, qui avait une his­toire et un mode de vie for­mi­da­bles à racon­ter, avec toutes les mis­ères qu’il a subies de la part de l’Homme, dont il dépend pour sur­vivre.

Aupar­a­vant, je n’avais jamais eu une grande sym­pa­thie pour les moineaux. Je pen­sais faire un numéro de 20 pages seule­ment. Finale­ment, nous lui avons con­sacré deux numéros com­plets.

Quel est votre numéro préféré de la Hulotte ?

Ce sont ceux sur lesquels j’ai le plus longtemps tra­vail­lé, qui m’ont don­né le plus de mal, comme celui sur les araignées à toile géométriques. J’ai dû réu­nir toute la doc­u­men­ta­tion icono­graphique, en faisant moi-même les pho­tos de toiles qui n’ex­is­taient pas – cela m’a pris une quin­zaine d’an­nées. Les toiles, on ne peut les pren­dre en pho­to qu’en automne, il faut des cir­con­stances par­ti­c­ulières. C’est un numéro assez orig­i­nal qui n’a tou­jours pas son équiv­a­lent en livre.

© La Hulotte

Quelle a été votre plus grande émotion au contact du vivant ?

Il y a des choses qui m’ont tou­jours beau­coup émues, comme le chant de la hulotte – cette espèce de cri à la fois mélan­col­ique et ter­ri­fi­ant, qui porte très loin. C’est en par­tie pourquoi j’ai choisi ce nom-là.

Il y a aus­si le pas­sage des grues, qui me boule­verse tou­jours et que j’adore. Elles sont passées au-dessus de chez nous, il n’y a pas très longtemps. Elles arrivent du nord de l’Eu­rope et descen­dent vers le sud en tra­ver­sant la France. Quand les hivers sont doux, elles restent en France.

Quels sont les changements les plus spectaculaires que vous ayez observé autour de chez vous ces 50 dernières années ?

Dans les Ardennes, il y a eu des tas de choses extra­or­di­naires : le retour du loup, ce qui était une chose impens­able à l’époque. Mais surtout, le retour du cas­tor qui avait dis­paru au moyen-âge. On se ser­vait de sa graisse, qui était un médica­ment très recher­ché, sa chair était con­som­mée pen­dant le carême : il était assim­ilé au pois­son parce qu’il vit dans l’eau. Aujour­d’hui, il est revenu en nom­bre tel qu’il com­mence à pos­er des prob­lèmes – ses bar­rages noient les pâturages et les agricul­teurs sont furieux !

Pierre Déom. © Doc­u­ment remis

Les rapports scientifiques successifs sont de plus en plus alarmants sur l’état de la biodiversité. Quel est votre sentiment sur la trajectoire du vivant ?

Per­son­ne ne peut prévoir com­ment les choses tourneront, mais toutes les dis­pari­tions sont essen­tielle­ment dues à notre action d’empoisonnement des eaux, des sols et les pes­ti­cides.

Quand j’en­tends dire « il faut sauver la planète », je rigole. La planète nous sur­vivra, c’est nous qui sommes en dan­ger. Je pense qu’on est mal par­tis. L’e­spèce humaine est mal par­tie, parce qu’elle vit au-dessus de ses moyens. Il faut qu’on revi­enne à une vie extrême­ment fru­gale.

Qui sera à l’affiche du prochain numéro ?

Ça, on ne l’an­nonce jamais à l’a­vance ! Nos lecteurs aiment beau­coup être sur­pris (rires) !