Le vert du faux

Peut-on affirmer que « la France émet moins de 1% du CO2 mondial » ?

Alors que la 27ème conférence des Nations unies (COP27) sur le climat vient de s’ouvrir, on voit à nouveau fleurir cet argument dans les discours et sur les réseaux sociaux pour minimiser les efforts que la France aurait à fournir en comparaison avec d’autres pays. Un chiffre largement trompeur employé pour remettre l’action climatique à plus tard.
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La France émet bien moins de 1% du CO2 mondial…

Si l’on divise les 56,4 mil­liards de tonnes d’équivalent-CO2 (qui agrè­gent l’ensemble des gaz à effet de serre) émis­es à l’échelle mon­di­ale en 2019, par les 441 mil­lions de tonnes rejetées par la France la même année, on arrive à 0,78% du total. Pour le seul CO2, essen­tielle­ment lié aux éner­gies fos­siles, ce chiffre monte à 0,9%.

… Tout comme la quasi-totalité des pays du globe

Des pays qui émet­tent moins de 1% du CO2 mon­di­al, il y en a des dizaines et des dizaines. Out­re une poignée de géants, la qua­si-total­ité des pays du globe émet moins de 2%, comme le mon­tre ce graphique d’Our World in data.

Emis­sions ter­ri­to­ri­ales par pays © Our world in data

La population française est également inférieure à 1% du total

Côté pop­u­la­tion, la France (et ses 67,8 mil­lions d’habitant·es) compte pour 0,84% des 8 mil­liards d’humains. Donc, pour résumer, la France représente entre 0,8% et 0,9% des émis­sions, comme de la pop­u­la­tion mon­di­ale. À ce stade, il est déjà dif­fi­cile d’employer cet argu­ment pour hiss­er la France par­mi les pre­miers de la classe.

Ce chiffre ne tient pas compte des émissions importées — ou l’empreinte carbone

Ce chiffre de « moins de 1% » ne cou­vre que les émis­sions ter­ri­to­ri­ales, c’est-à-dire les gaz à effet de serre relâchés dans l’atmosphère dans le cadre des activ­ités réal­isées sur le sol français. Mais il existe une don­née bien plus per­ti­nente : celle de l’empreinte car­bone, qui ajoute les émis­sions liées aux pro­duits importés (et retranche le CO2 des expor­ta­tions). Dans ce cas, ce ne sont plus 441, mais 663 mil­lions de tonnes d’équivalent-CO2 émis­es en 2019. On arrive à 1,17% du total mon­di­al.

Emis­sions ter­ri­to­ri­ales et empreinte car­bone de la France depuis 1990 © Haut con­seil pour le cli­mat

Si l’on ne tient compte que des émis­sions ter­ri­to­ri­ales, on ajoute au bilan car­bone de la Chine tous les pro­duits man­u­fac­turés que nous lui achetons. C’est un peu gros, non ?

Ce qui compte, c’est l’empreinte carbone par habitant

Autre aber­ra­tion, com­par­er la France avec des pays peu­plés de plusieurs cen­taines de mil­lions d’habitants, comme la Chine et l’Inde. L’empreinte car­bone par per­son­ne est un indi­ca­teur bien plus per­ti­nent. À ce jeu-là, la France est un piètre élève, puisqu’un Français génère 10 tonnes de CO2 par an.

En com­para­i­son, comme le détaille une récente étude parue dans Nature sus­tain­abil­i­ty, dont les chiffres datent de 2014 : un Européen·ne émet 6,3 tonnes, un Chinois·e, 4,5 tonnes, un Indien·ne, 1,3 tonne et un·e Africain·e, 0,6 tonne.

Com­para­i­son de l’empreinte car­bone par habi­tant de plusieurs pays © Bruck­n­er, B., Hubacek, K., Shan, Y. et al. Impacts of pover­ty alle­vi­a­tion on nation­al and glob­al car­bon emis­sions, Nature sus­tain­abil­i­ty

À travers l’Histoire, la France est le 12ème plus gros contributeur au changement climatique

Depuis la Révo­lu­tion indus­trielle, cer­tains pays se sont dévelop­pés à grands ren­forts d’énergies fos­siles, bien davan­tage que d’autres. Par­mi les pre­miers pays indus­tri­al­isés, la France a émis d’immenses quan­tités de CO2 à tra­vers son his­toire récente — plus de 35 mil­liards de tonnes, selon le site spé­cial­isé Car­bon brief, soit ce que l’humanité génère en un an avec ses seules éner­gies fos­siles. Or, ce CO2 accu­mulé dans l’atmosphère est à l’origine d’une part non-nég­lige­able du réchauf­fe­ment actuel. La France a causé entre 1,5 et 2,3% des émis­sions his­toriques, selon les manières de compter.

Absolument tous les pays doivent agir sans plus attendre — surtout les plus riches — pour réduire leurs émissions

Pour con­tenir le réchauf­fe­ment à moins de 1,5°C par rap­port à l’ère préin­dus­trielle, objec­tif dont ont con­venu la qua­si-total­ité des pays du globe pour éviter les pires effets de la crise, l’humanité ne peut plus émet­tre que 300 mil­liards de tonnes de CO2. Soit moins de 7 années au rythme actuel.

L’humanité va devoir, en moyenne, divis­er par trois ses émis­sions de gaz à effet de serre pour pass­er sous la barre des deux tonnes par per­son­ne et par an et vis­er la neu­tral­ité car­bone — l’équilibre entre les dernières émis­sions et ce que la planète peut absorber. C’est aux pays rich­es, les plus respon­s­ables et les moins touchés par la crise cli­ma­tique, de fournir la majeure par­tie des efforts, et de per­me­t­tre aux pays pau­vres de se dévelop­per de manière pro­pre.

© Haut Con­seil pour le Cli­mat et Vert

C’est d’ailleurs pour ça que l’Europe s’est fixé un nou­v­el objec­tif : réduire de 55% ses émis­sions d’ici 2030 par rap­port à 1990. Or, la France est déjà en retard pour attein­dre son objec­tif actuel de ‑40%.

Un argument classique de l’inaction climatique

Rejeter la faute sur les autres pour ne pas agir soi-même, c’est l’argument de l’« aquoi­bon­isme , bien con­nu des experts de l’inaction cli­ma­tique (notre arti­cle sur le sujet). Alors que le change­ment cli­ma­tique fait déjà rage à tra­vers le globe, y com­pris en France, tout dis­cours visant à retarder l’action de la France con­tribuera à causer des destruc­tions sup­plé­men­taires.