Chaque été, des dizaines de milliers de Français·ses originaires du Maghreb prennent le chemin du «bled» pour retrouver leurs proches et entretenir un lien avec leur pays d’origine. À l’été 2022, la journaliste Nassira El Moaddem fait un choix peu commun : troquer l’avion contre le train pour rentrer au Maroc. La présentatrice de l’émission Arrêt sur images – une émission de critique des médias diffusée chaque vendredi sur le site éponyme – entend renouer avec les trajets de son enfance. Elle qui, avec sa famille, traversait chaque été l’Europe en voiture, avec ses frères et soeurs, dans une chaleur fracassante et sans jamais vraiment s’arrêter…
De cette aventure, l’autrice des Filles de Romorantin – publié en 2019 – , a tiré un nouveau livre : Et si on rentrait au bled en train ?, qui sort ce jeudi 8 mai. Dans ce guide-récit, Nassira El Moaddem fait une ode à la lenteur, aux pauses, à la contemplation des paysages. De Barcelone à Cordoue, de Cadix jusqu’au ferry pour le Maroc, elle livre un récit alternatif du «retour au pays», qui mêle souvenirs d’enfance, découvertes culturelles et réflexions sur l’écologie. Vert l’a rencontrée.

Comment vous est venue l’idée de retourner au bled en train ?
Nous sommes à l’été 2022. On sort tout juste de l’épidémie de Covid et les frontières viennent de rouvrir. Comme tous les ans, je me rends spontanément sur les sites des compagnies aériennes pour réserver mon vol pour le Maroc et je découvre, avec stupeur, le prix des billets. Je le compare avec celui du train et m’aperçois qu’il est plus avantageux économiquement de se rendre au Maroc par les rails que par les airs. Pour cette raison, mais aussi parce que le train est plus écologique, je prends cette décision : cette année, nous irons, mes trois enfants, mon mari et moi, au bled en train.
Comment avez-vous préparé ce périple ?
D’abord, j’ai annoncé la nouvelle sur les réseaux sociaux. J’ai démarré un live sur Twitter [un canal diffusé en direct et destiné à échanger autour d’un sujet, NDLR], dans lequel j’ai fait part de mes questionnements et réflexions. Il faut savoir qu’un tel voyage se construit. Ce n’est pas comme l’avion, il n’existe pas de ligne directe France-Maroc ! Les étapes, pour arriver jusqu’à Casablanca, sont nombreuses… Alors j’ai lancé un appel à témoignages, en espérant glaner quelques conseils. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que de nombreuses familles se rendaient déjà au bled en train lorsque j’étais enfant ! Et qu’il existait donc un autre récit que celui – que je pensais universel – du long et fastidieux périple en voiture…
Paris, Barcelone, Cordoue, Cadix… Les étapes ont été nombreuses. Comment s’est passée ce voyage ?
L’été 2022 a été l’occasion de découvrir une nouvelle façon de voyager. Plus calme, plus sereine… J’ai pu découvrir l’Espagne, que je n’avais cessé de traverser en voiture étant enfant, et dont je ne connaissais pourtant rien – hormis les péages et les aires d’autoroute. Comme c’est le cas dans de nombreuses familles ayant grandi dans les années 1980, mes parents n’avaient qu’une idée en tête : arriver au plus vite au Maroc pour retrouver leurs proches qu’ils n’avaient pas vu depuis des mois. Je garde un très bon souvenir de ces périples – que l’on attendait, avec le reste de ma fratrie, avec beaucoup d’excitation chaque année –, mais il faut dire qu’en train… c’est beaucoup plus confortable.

Que permet le train, que ne permettait pas la voiture, ou bien l’avion ?
Dans le train, déjà, nous avons chacun notre place… et c’est un luxe ! Dans mon enfance, nous étions serrés à quatre à l’arrière d’une voiture, sous quarante degrés, dans la chaleur étouffante de l’été. Et puis le train, c’est propice à l’insouciance… On est transporté, on peut lire, contempler le paysage… Je me souviens, enfant, de devoir veiller sur la voiture pendant que les parents dormaient, car nous avions peur de nous faire voler nos affaires. Il y a une forme de tranquillité que l’on avait pas à l’époque, c’est certain.
Et puis, concernant l’avion… Je n’ai jamais aimé ça. En allant au Maroc en train, nous mettons plus de temps pour arriver à destination, c’est certain. Mais on prend aussi beaucoup plus de plaisir. Je considère que mes vacances commencent dès le départ de Paris. Je prépare à l’avance le pique-nique avec le reste de ma famille – la traditionnelle salade de pommes de terre accompagnée de poivrons grillés que nous préparait ma mère –, nous choisissons ensemble les lieux que nous voulons visiter… Ce qui est sûr, c’est que mes enfants adorent faire ce voyage en train, davantage qu’en avion. Chaque année, c’est l’occasion de découvrir de nouveaux territoires, de nouvelles villes.

D’après le récit de votre voyage à l’été 2022, voyager en train, c’est aussi l’occasion de saisir plus directement les effets du dérèglement climatique ?
C’est certain : concernant la question écologique, voyager en train pousse à la réflexion. On est témoins, chaque année, de la sécheresse qui frappe les territoires que l’on traverse, à commencer par l’Espagne. Année après année, le niveau du Guadalquivir – le fleuve qui divise la ville de Cordoue en deux, d’est en ouest – baisse et c’est frappant… Il y a les canadairs, aussi, qui l’été passent au-dessus des voies de chemin de fer, pour éteindre des incendies… Mes enfants constatent eux-mêmes ces effets, et je vois bien que cela les pousse à des comportements responsables : ils font davantage attention à leur consommation d’eau, par exemple.

Quelle portée donnez-vous à ce livre ?
Avec ce guide-récit, je voulais montrer que rentrer au bled en train, c’était possible. Je m’adresse à toutes celles et ceux qui ont déjà eu l’idée de faire ce voyage mais qui n’ont jamais osé franchir le pas. À ces personnes, je leur dis : «voilà la marche à suivre». Je crois beaucoup en la valeur de l’exemple !
Il s’agit aussi, bien sûr, de pousser à la réflexion collective… Nous devons nous rappeler que voyager n’est pas un geste anodin, que c’est un geste qui nous engage. Et que nous devons réfléchir à toutes nos pratiques ainsi qu’au sens qu’on leur donne.
Même si je ne suis pas dupe : les actions individuelles ne suffisent pas. Il faut que structurellement – et cela passe notamment par des politiques publiques –, des mesures concrètes soient mises en place, à commencer par rendre plus accessible économiquement le train. Et puis, il faut faire très attention à ne pas culpabiliser tous ceux qui ne sont pas en mesure d’abandonner l’avion : pour des raisons économiques – le train est bien souvent plus cher –, de santé, d’âge ou bien d’accessibilité liée à un handicap. Moi j’ai la chance d’être Parisienne, et d’être proche d’une gare… D’avoir accès à l’information, aussi, en tant que journaliste… Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
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