Reportage

«Mad Jacques» : récit d’une course en autostop pour redécouvrir les joies du pouce levé

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Se creuser la tête. Same­di, c’était le grand départ de la Mad Jacques : une course en autostop à tra­vers la France vers un fes­ti­val en Creuse. L’occasion de (re)découvrir les joies de cette pra­tique économique, écologique, et… sym­pa !

Il est 6h45 ce same­di matin lorsque, tous deux sorti·es d’une mai­son en Mayenne avec nos gros sacs à dos, nous bran­dis­sons nos pan­car­tes pré­parées la veille : «Course en stop — Creuse». Notre objec­tif : attein­dre Che­niers, vil­lage de 500 habitant·es au nord de la Creuse pour par­ticiper à la Mad Jacques. Plus de 2 000 autres équipes sont par­ties de toute la France (et même de la Bel­gique) pour pren­dre part à cette course des­tinée à encour­ager la pra­tique du stop.

Le bon vieux pouce levé en bord de route a été rem­placé par les algo­rithmes de Blablacar, et les peurs asso­ciées à l’autostop, prin­ci­pale­ment féminines, restent tenaces. Pour lever les craintes, la Mad Jacques pro­pose de renouer avec la pra­tique en équipe de deux, avec une fête à l’arrivée. Le stop pour­rait bien vivre une sec­onde jeunesse : écologique et économique, ce mode de voy­age a bien des avan­tages.

Près du moulin de Che­niers, les participant·es ont déposé leurs pan­car­tes de stop. © Johanne Mâlin / Vert

Avec mon coéquip­i­er, on se met en marche jusqu’à un péage, à deux kilo­mètres et demie de notre point de départ. Nous sor­tons nos plus beaux car­tons «Le Mans, Tours, Creuse», pleins d’espoir. Après seule­ment cinq min­utes d’at­tente, la qua­trième voiture qui passe nous prend directe­ment pour Tours. Facile le stop, en fait ! Nous dis­cu­tons avec cet infor­mati­cien et sa fille, qui n’avaient jamais pris de per­son­ne en stop. Nos pan­car­tes col­orées et nos sourires appuyés n’y sont peut-être pas pour rien. Pas de secret, pour faire du stop, il faut avoir l’air sym­pa.

Nous arrivons à Tours, exaltés par cette pre­mière expéri­ence. C’est par­ti pour un ate­lier réal­i­sa­tion de pan­car­tes pour notre prochaine des­ti­na­tion : Château­roux, à une cen­taine de kilo­mètres de là. Nous avons trou­vé un bon endroit en bord de route pour être repérés et per­me­t­tre aux voitures de s’arrêter.

Bien­tôt dix min­utes et tou­jours per­son­ne. Nous nous met­tons en chemin pour trou­ver un autre endroit quand soudain, une voiture nous klax­onne et fait des appels de phare depuis le bas-côté. Réjoui·es, on trot­tine pour faire marche arrière. «Vous ressem­blez à ma nièce et son mari, alors on s’est dit qu’on allait vous pren­dre!», s’exclame la retraitée avant de nous faire mon­ter.

Le con­duc­teur fait 20 min­utes de détour pour nous dépos­er à Loches — «on est retraités, on a le temps», se jus­ti­fie-t-il.

Des détours et des discussions

Dans le cen­tre ani­mé par le marché du same­di matin, nous nous faisons inter­peller par une équipe de super­héroines. «Vous faites la course aus­si ? Venez boire un verre avec nous!». Par­ties de Tours, c’est leur pre­mière expéri­ence en stop, comme moi. «Seule, je n’en ferais pas», glisse l’une d’entre elles. La peur d’une ren­con­tre mal­heureuse, tou­jours.

Avant de nous quit­ter, elles nous offrent un gilet de sécu­rité routière. Nous n’y avions pas pen­sé. Il est pour­tant essen­tiel, au moins dans les endroits dan­gereux. Voici l’heure de trou­ver de nou­veaux car­tons. Les com­merçants en ont des piles ; la tâche s’avère aisée.

Après un pique-nique rapi­de­ment avalé sur le bord du Leclerc de Loches, une dame sur le park­ing pro­pose spon­tané­ment de nous pren­dre en stop : «vous aus­si vous faites la course?»

Nous croi­sons de plus en plus d’équipes aux alen­tours et les gens, intrigués, se pren­nent au jeu. Elle nous emmène à Châtil­lon sur Indre, où elle nous dépose dans un endroit acces­si­ble aux voitures.

Une pluie dilu­vi­enne s’invite alors dans la par­tie. Trempé·es comme nos pan­car­tes, nous sommes obligé·es de nous abrit­er hors de la route le temps que passe l’orage. Mario et Lui­gi, des con­cur­rents bien équipés pour la pluie, nous remon­tent le moral sous l’averse.

Le calme revient. Rapi­de­ment, une médecin général­iste accom­pa­g­née de ses deux filles ado­les­centes nous embar­que, à une con­di­tion : «qu’on chante avec [elles] dans la voiture». Nous par­lerons études supérieures et déserts médi­caux.

Déposé·es à Villedieu sur Indre, sous le soleil revenu, quelques min­utes passent avant qu’une femme nous emmène. Elle nous avait vu dans une ville précé­dente. Nous voici arrivé·es à quelques kilo­mètres de Château­roux, dernière grande ville avant la Creuse. Nous sommes bloqué·es sur un rond-point avec des coéquip­ières venues de Rennes : con­statant que nous ne sommes «vrai­ment pas sur la bonne route», un con­duc­teur nous con­duit au sud de Château­roux.

Reprendre confiance entre équipes

Aude s’excuse de la mod­estie de sa petite Twingo. Nous, au con­traire, sommes ravi·es d’avoir atten­du si peu. Cette enseignante en classe Ulis ne peut pas nous emmen­er jusqu’à la dernière ville avant Che­niers — Aig­u­rande -, mais elle pro­pose de nous avancer quand même. Au fur et à mesure de la dis­cus­sion, elle décide finale­ment de nous emmen­er à notre des­ti­na­tion, mal­gré un détour d’une ving­taine de min­utes.

«Il nous reste deux places pour ceux qui veu­lent!», clame un par­tic­i­pant à tra­vers la place du vil­lage. Nous filons avec cette équipe de Toulouse dans la voiture d’Annick en direc­tion de Che­niers. Nous voici arrivé·es un peu avant 17 heures, au Moulin de Che­niers, posé au bord d’un cours d’eau, pour un fes­ti­val d’au­tostoppeurs qui s’annonce des plus fes­tif.

Un itinéraire bien rodé, de la Mayenne à la Creuse. © Google maps

Au total, il nous aura fal­lu exacte­ment dix heures (au lieu de 4 heures 20) pour par­courir les 356 kilo­mètres qui sépar­ent la Mayenne de la Creuse grâce aux neuf conducteur·trices qui ont bien voulu de nous deux à bord et de nos détours.

En plus d’être un moyen écologique de voy­ager (nous auri­ons émis 78 kilo­grammes de CO2 avec une voiture per­son­nelle), et économique (nous avons voy­agé gra­tu­ite­ment), le stop est une expéri­ence sociale qui per­met de ren­con­tr­er des gens de tous hori­zons, prêtes à partager un moment de vie le temps d’un tra­jet.