Reportage

Les 22 000 Shifters soufflent leur dixième bougie

Shifter du bilan. L’association de bénévoles issue du think tank The Shift project, qui entend décarboner la société, a soufflé sa dixième bougie ce mardi soir à la Recyclerie (Paris). Vert y était !
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Elles et ils ont fail­li s’appeler les «Shift explor­ers» ou les «Shift pio­neers» ; c’est finale­ment le nom des «Shifters» qui l’a emporté en juin 2014, au lance­ment de l’association. À l’origine du pro­jet : un petit groupe de sou­tiens au Shift project, un lab­o­ra­toire d’idées sur la tran­si­tion écologique, qui souhaitait s’organiser en col­lec­tif pour accom­pa­g­n­er le tra­vail du think tank.

«Au début, on était trois. On fai­sait tout à la main, on ne se serait jamais atten­du à attir­er autant de monde», racon­te à Vert Alexan­dre Bar­ré, ingénieur chez EDF et Shifter de la pre­mière heure.

Aujourd’hui, les Shifters ont bien gran­di. Le mou­ve­ment compte 22 000 mem­bres, entre 70 et 80 groupes locaux partout en France et à l’international (Espagne, Alle­magne, États-Unis…), sou­tient quelque 700 ini­tia­tives lancées par ses adhérent·es et par­ticipe à — ou organ­ise — près de 400 con­férences par an.

Entre 150 et 200 d’entre elles et eux se sont d’ailleurs réuni·es à Paris toute la soirée du 14 mai, au tiers-lieu la Recy­clerie dans le 18ème arrondisse­ment de Paris, pour lancer les fes­tiv­ités et célébr­er cette décen­nie écoulée.

Les grandes ban­nières col­orées flot­tant au-dessus des con­vives sont sans équiv­oque : «Save the plan­et before it’s too late» («Sauve la planète avant qu’il ne soit trop tard»), ou encore «Weath­er has nev­er been so weird» («La météo n’a jamais été aus­si bizarre»).

Les Shifters sont venu·es en nom­bre pour célébr­er les dix ans de l’association à la Recy­clerie à Paris ce mar­di 14 mai. © Jus­tine Pra­dos / Vert

Les mem­bres de la com­mu­nauté sont du genre hyper­ac­t­if. Elles et ils écrivent des rap­ports sur la décar­bon­a­tion de la société, organ­isent des con­férences, ani­ment des débats, pro­duisent un pod­cast, met­tent sur pied des fes­ti­vals de la tran­si­tion, et bien d’autres.

C’est l’une des par­tic­u­lar­ités des Shifters : les adhérent·es sont libres de pro­pos­er des pro­jets et des ini­tia­tives. «Dans beau­coup d’associations, les gens vien­nent pour soutenir une cause. Chez nous, les gens vien­nent pour lancer des pro­jets, organ­is­er des événe­ments, faire des choses très con­crètes…», souligne Alexan­dre Bar­ré, pour qui cette dif­férence fait la force du mou­ve­ment. La cul­ture d’entreprise, insuf­flée dès le début avec des chefs de pro­jet et des comités de suivi, a per­mis de con­cré­tis­er nom­bre de ces ini­tia­tives.

La Jancomania

Leur suc­cès, les Shifters le doivent aus­si en par­tie à Jean-Marc Jan­covi­ci, cofon­da­teur du Shift project et star des réseaux soci­aux des milieux éco­los — avec 1,1 mil­lion d’abonné·es sur Linkedin, 221 000 sur Face­book et 128 000 sur X (ex-Twit­ter). Son arrivée sur scène s’est faite sous un ton­nerre d’applaudissements et des sif­fle­ments nour­ris. «Il est clair que Jean-Marc est une loco­mo­tive pour les Shifters, la plu­part des gens arrivent grâce à lui, recon­naît Alexan­dre Bar­ré. Un vrai change­ment d’échelle serait que les Shifters vien­nent à nous sans Jean-Marc».

Jean-Marc Jan­covi­ci (au cen­tre) fait le bilan des dix ans des Shifters à la Recy­clerie à Paris © Jus­tine Prados/Vert

Retraçant dix rich­es années d’existence, Jean-Marc Jan­covi­ci est revenu sur la force du col­lec­tif qui définit le mou­ve­ment. «L’un des trucs qui car­ac­térise le monde mod­erne, c’est sou­vent le sen­ti­ment d’une perte de sens, et j’e­spère que les gens arrivent à trou­ver ça au sein des Shifters», avance-t-il, provo­quant de nom­breux hoche­ments de tête au sein de l’assemblée.

Le boom des Shifters

Le Covid-19 a mar­qué un véri­ta­ble tour­nant pour les Shifters, qui comptent désor­mais qua­tre fois plus de mem­bres qu’il y a qua­tre ans. «La pandémie nous a per­mis de chang­er d’échelle, en nous affran­chissant des con­traintes liées aux ren­con­tres physiques, lim­itées à cer­taines villes, en bas­cu­lant sur une organ­i­sa­tion plus virtuelle. Ça nous a fait explos­er», con­firme Alexan­dre Bar­ré.

Un des défis de l’association pour les prochaines années : devenir plus ouverte et représen­ta­tive de la pop­u­la­tion. «On a désor­mais 35% de femmes par­mi nous. Il y a du pro­grès, mais on n’y est pas encore», note Mélis­sa Perez, vice-prési­dente des Shifters.

Le mou­ve­ment entend aus­si élargir la base d’adhérent·es, aujourd’hui com­posée de nombreu·ses cadres et de per­son­nes ayant fait des études supérieures. «Ce n’est pas une asso réservée aux ingénieurs, tout le monde a des com­pé­tences qui nous intéressent», plaide Gré­goire Car­pen­tier, prési­dent des Shifters. Il ajoute : «Sans des con­nais­sances du ter­rain, on risque de pro­duire des choses hors sol et ce n’est pas qu’on souhaite».

Sortir du «tout carbone»

Inter­rogée sur le con­seil qu’elle voudrait don­ner aux Shifters pour les dix prochaines années, Yam­i­na Saheb, écon­o­miste et co-autrice du dernier rap­port du Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (Giec), répond sans détour : «Il faut sor­tir du tun­nel car­bone !». Par­fois cri­tiquée pour son impor­tant prisme énergie-cli­mat, l’association gag­n­erait à s’ouvrir à d’autres enjeux de la tran­si­tion écologique (la bio­di­ver­sité, les ressources naturelles, etc.) veut croire la chercheuse.

À l’issue d’une soirée ponc­tuée de nom­breuses inter­ven­tions et organ­isée au mil­limètre par une petite équipe de bénév­oles, les invité·es ont eu droit à une toute dernière sur­prise, en chan­son. Une reprise de Patrick Bru­el a reten­ti dans les enceintes pour clô­tur­er l’événement, aus­sitôt fre­donnée en chœur par les invité·es : «On s’était dit ren­dez-vous dans dix ans. Même jour, même heure, même pommes. On ver­ra quand on s’ra à deux tonnes, sur la place du bilan car­bone…». Décidé­ment, on trou­ve tous les tal­ents chez les Shifters.

Vert est parte­naire des dix ans des Shifters.