Les carottes sont queer. Un nombre croissant de voix s’élèvent pour prôner une écologie queer, à l’intersection des luttes pour le climat et pour le droit des personnes LGBT+.
«Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais le vivant a toujours été queer». Depuis des siècles, humains et non-humains excèdent, tordent et transforment les cadres normatifs au sein desquels on souhaite les maîtriser ou les domestiquer», expose Cy Lecerf-Maulpoix, militant et journaliste, dans le livre collaboratif «On ne dissout pas un soulèvement» de défense du collectif des Soulèvements de la Terre.
Allier la lutte pour l’environnement et celle pour les droits des personnes LGBT+ ; c’est l’essence même de cette écologie queer. Pour Cy Lecerf-Maulpoix, auteur de l’essai «écologies déviantes : voyage en terres queers», il s’agit d’abord d’interroger les idéologies qui emploient le terme de nature et contre-nature : «Quelles sont les vies et les pratiques qui ont historiquement été constituées comme des anomalies, exclues de la “bonne” nature ?». «L’écologie et le concept de nature sont souvent instrumentalisés à des fins homophobes, contre nos droits et nos existences», ajoute Matthieu Foucher, auteur-réalisateur. Il pense notamment à l’écologie intégrale, concept chrétien défendu par le pape François pour penser l’écologie à travers tous ses aspects notamment économiques, sociaux et culturels. Il est critiqué pour servir de bannière à des militant·es conservateur·rices ou d’extrême droite qui luttent contre l’avortement ou le mariage homosexuel (Vert).
Personnes homosexuelles, intersexes ou transgenres ; «l’humain n’est pas binaire naturellement, c’est un parti pris scientifique, politique et patriarcal de vouloir justifier la binarité de la nature», précise Matthieu Foucher.
La biologiste et transgenre colombienne Brigitte Baptiste met d’ailleurs en avant dans ses recherches l’existence de mutations qu’elle qualifie de queer comme garante d’équilibre d’un écosystème. Par exemple, le poisson vairon – Némo dans le dessin animé – a la capacité de changer régulièrement de sexe de mâle à femelle selon les besoins de reproduction de l’espèce.

Domination de la nature et des corps
L’écologie queer est aussi un moyen d’allier les combats au quotidien. «Le fait d’être mis dans une position de marginalité nous oblige à regarder les autres situations d’oppression et de vulnérabilité, comme la crise écologique», observe Élise Naccarato, militante pour le droits des personnes LGBT+ et écoféministe.
A la croisée du féminisme et de l’écologie, ce mouvement considère que la nature et le corps des femmes sont soumis aux mêmes systèmes de domination par les hommes. L’écologie queer s’inspire de ce concept, et ajoute aux corps des femmes tous ceux qui subissent les mêmes logiques d’oppression par les hommes, comme les personnes intersexes qui peuvent être mutilées à la naissance.
Face à la domination et à la violence, les minorités sexuelles et de genre ont appris à répondre par le soin, observe Élise Naccarato. «Militer, ça ne veut pas dire se sacrifier. Quand je veux transformer le monde pour le rendre plus durable et plus inclusif, je veux aussi le faire de la façon la plus inclusive et la plus durable possible». Durable pour la planète, mais aussi pour les personnes, alors que les burn-outs militants sont fréquents.
Apporter de la joie militante
L’historique des combats des personnes LGBT+ permet aussi de renouveler les modes d’action. «L’activisme queer est habité depuis longtemps par de nombreux savoirs, notamment stratégiques, sur la manière de mêler humour, créativité et colère dans ses luttes», précise Cy Lecerf-Maulpoix. «Militer dans la joie a aussi un pouvoir très puissant : cela permet de déstabiliser les oppositions», ajoute Élise Naccarato. Elle mentionne les luttes joyeuses de femmes, tel que le camp de femmes pour la paix de Greenham Common, installé au début des années 80 dans le sud de l’Angleterre pour s’opposer à l’installation de missiles nucléaires, et démantelé en 2000.
A Paris, une pride plus écolo
Samedi dernier, dans le cortège de la marche des fiertés de Paris, au milieu des danses et des drapeaux multicolores, les chars à moteurs thermiques ont été remplacés par des mobilités douces : vélos cargos, petit train électrique… Un tournant écologique poussé par l’inter-LGBT, organisatrice de la marche. «On lutte pour les droits, mais on lutte aussi pour les générations futures, pour une meilleure vie et un meilleur environnement», explique Élisa Koubi, l’une des organisatrices, pour qui il était important de mener ces combats «ensemble». Audrey, militante écologiste et queer, a décidé de rejoindre la pride sous la bannière de son ONG Greenpeace, pour «montrer que les associations environnementales sont aussi derrière les luttes queer».
*Queer signifie «bizarre» au sens littéral en anglais. À l’origine une insulte envers les minorités sexuelles et de genre, ces dernières se sont réappropriées cette qualification. C’est la lettre Q dans l’acronyme LGBTQIA+.
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