Entretien

«Le vélo, ça doit être le truc le plus cool pour venir en festival»

Mathilde Lamotte d’Argy est la cofondatrice des Pluies de juillet, un festival de musique indépendant qui se tient du 7 au 9 juillet au Tanu (Manche). Dans cet entretien à Vert, elle explique ce que veut dire organiser un festival «écolo», sa charte ambitieuse pour diminuer l’empreinte écologique de l’événement et son riche programme de conférences et d’ateliers.
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C’est quoi les Pluies de juillet ?

C’est un festival de musique indépendant dans la Manche qui existe depuis six ans. L’idée de départ était d’utiliser l’art et la culture pour se poser des questions sur l’écologie. On voulait toucher des gens qui, a priori, n’iraient pas voir des conférences mais plutôt des concerts. Le côté familial du village et la musique font venir des familles éloignées de ces sujets.

Quelle est la place de l’écologie dans le festival ?

Elle est centrale. On aborde l’écologie en deux axes : d’abord la programmation, avec un pôle conférence qui permet de comprendre les enjeux aux côtés de spécialistes, d’ingénieurs. Et un village d’initiatives où on peut adhérer à une association locale et s’essayer à l’habitat durable, construire un mur en chaux avec ses enfants ou faire des ateliers de sensibilisation. On essaie de créer du lien entre les conférences et le village pour transformer tout de suite l’essai en action.

Ensuite, on se voit comme un petit laboratoire pour essayer de réduire au maximum l’impact du festival sur son environnement. Nous avons fait notre bilan carbone et nous avons une charte d’engagement.

Le premier problème dans les festivals, c’est souvent la mobilité, avec tous les festivaliers qui viennent en voiture, voire en avion. Comment les inciter à faire autrement ?

Il faut se sentir responsable du public à partir du moment où il part de chez lui et jusqu’au moment où il y revient. Nous mettons en place des navettes depuis la gare et du covoiturage. Avec Mobicoop, on peut créer sa propre plateforme et mettre les gens en contact les uns avec les autres.

Mathilde Lamotte d’Argy, fondatrice des Pluies de juillet © Lia Goarand

La nouveauté, cette année, c’est qu’on met en place un grand challenge vélo. On l’avait testé très rapidement l’an dernier et presque 100 personnes étaient venues à vélo. C’est à l’image de ce qu’on veut faire : ça diminue l’impact carbone de l’édition et ça crée de nouveaux récits. Le festival, c’est une aventure qui commence depuis le bas de chez soi. Grâce au vélo, on a un nouveau rapport au territoire, plus lent, on peut visiter des lieux sur le chemin. Jeanne, qui s’occupe du challenge aux Pluies de juillet, a tracé des itinéraires avec un guide du cycliste, les endroits pour s’arrêter, des fermes alternatives.

On va aussi créer des boucles Whatsapp pour que les gens qui font le même itinéraire puissent se rencontrer. A l’arrivée, il y aura une remise de prix marrante et on va essayer de proposer des massages aux cyclistes en partenariat avec une école de kiné. Bref, le vélo, ça doit être le truc le plus cool !

Au niveau de l’alimentation et des boissons, ça se passe comment ?

On ne bosse qu’avec des prestataires locaux à 100 kilomètres à la ronde. Notre alimentation est végétarienne à 95% et on travaille avec des maraîchers locaux. La charte évolue au fur et à mesure de nos erreurs. Un festival, c’est une microsociété : les gens dorment, mangent, se rencontrent. Il faut favoriser l’économie locale. On défend des idées, donc il faut les incarner au maximum. C’est une organisation monstre. Dans l’asso, on est quatre et on est rejoints par 30 bénévoles en amont, puis 180 bénévoles sur site. On vise 1 500 personnes par jour soit 4 ou 5 000 personnes.

C’est quoi le modèle économique d’un festival indépendant ?

On a trois sources de financement : un tiers de subventions, un tiers de mécénat qui provient de PME locales qui nous sponsorisent, un tiers d’autofinancement avec la billetterie.

Chez les festivals, faut-il forcément être petit pour être écolo ?

Il est évident qu’il est plus facile pour nous d’être écolo que des gros poissons comme les Vieilles charrues. La question des jauges est le cœur de tout. Les grosses institutions ont une utilité sociale importante. Mais parfois, il y a aussi une certaine hypocrisie. Certains gros festivals disent qu’ils sont écolo : ils trient leurs déchets, mettent des éco-cups, mais font venir leur public et leurs artistes de l’international. Plus la jauge est grande, moins il y a de contrôle sur le projet.

«Si les maraîchers locaux ne peuvent pas fournir le festival, c’est que c’est trop gros»

Je pense que la bonne jauge, c’est celle qui permet de s’approvisionner au niveau local. Si les maraîchers locaux ne peuvent pas fournir le festival, c’est que c’est trop gros. Il ne faut pas attendre d’être parfait pour se mobiliser. Le plus important est de diffuser le message et de l’incarner.

Comment un festival véhicule-t-il de nouveaux imaginaires ?

Les Pluies de juillet ont un gros programme de conférences et d’échanges d’idées. On accueillera le biologiste Marc-André Selosse et la journaliste Agnès Sinaï, qui réfléchit à la manière de composer avec notre territoire pour redonner du pouvoir au citoyen et au local. On aura aussi l’écrivaine Corinne Morel Darleux, ou le philosophe Dominique Bourg qui proposent de nouveaux imaginaires et de nouveaux récits. L’idée, c’est de sortir des chiffres pour aller vers des choses plus concrètes et des récits plus entraînants.

«Des histoires d’amour sont nées ici.»

Ensuite, il y a un village avec des associations locales, par exemple Manche nature qui se mobilise pour la préservation des haies bocagères en Normandie, et des ONG comme Greenpeace. Avec le village, on dresse un panel large des différents types d’engagement. Tout le monde ne va pas interrompre les Césars.

Le philosophe Dominique Bourg en conférence aux Pluies de juillet, en 2022. © Lia Goarand

Le festival permet des rencontres fructueuses. Des habitants ont monté leur jardin partagé à Villedieu, à côté. Ça fait trois ans qu’ils sont potes et qu’ils ont leur potager. C’est important pour nous de créer du lien social. D’ailleurs, à la cantine, tout le monde mange à la même table. Il n’y a pas pas d’espace VIP. Les artistes et les techniciens sont logés chez l’habitant. Des histoires d’amour, de copains, sont nées ici.

Il y a aussi plein d’ateliers pour les enfants. On bosse avec une ludothèque locale. Et des ateliers de sensibilisation comme Inventons nos vies bas-carbone, une fresque quiz, une librairie. On peut apprendre à enduire un mur lors d’un atelier d’écoconstruction.

Comment embarquer plus largement le monde de la culture ?

Aujourd’hui, on travaille avec plusieurs autres festivals en Normandie. C’est parti de quelques réunions zoom pendant le covid où on se demandait comment on allait survivre en tant qu’événement public. Puis, le groupe a évolué vers les sujets de transition et on a créé des groupes de travail informels. Nous avons réussi à avoir un impact à l’échelle de la politique régionale. Enfin, Norma [Normandie musiques actuelles, NDLR] est née il y a six mois. L’initiative regroupe des salles de concert et des festivals sur le territoire.

«Dans un monde à +2, +3, +5 degrés, nos événements ne pourront plus exister»

Si on veut instaurer des changements structurels, il faut que les structures publiques prennent une part au projet global. Norma a été discutée avec la région, le département et le Centre national de la musique qui finance un grand nombre de festivals. Les pouvoirs publics ont décidé de mettre 95 000 euros pendant quatre ans sur deux appels à projet : la mobilité décarbonée et la consommation d’énergie.

Qu’est-ce qu’il reste à améliorer aux Pluies de juillet ?

Il y a toujours des choses à améliorer. Par exemple, on ne parle pas des nuisances sonores pour la biodiversité parce qu’on ne sait pas les mesurer. On a aussi besoin de monter une marche en termes de notoriété pour pérenniser le projet. On peut encore s’améliorer sur l’utilisation d’énergie pour faire fonctionner les scènes et les sonos – 70% de celle-ci provient du réseau électrique de la ville, mais on a encore des groupes électrogènes qui fonctionnent au fioul si jamais ça saute.

Dans un monde qui se réchauffe, est-ce que les «Pluies de juillet» se tiendront en avril ?

C’est vrai que la pluie en juillet ça va devenir un truc exceptionnel ! Pour l’instant, en Normandie, ça va. Mais les orages ont déjà affecté plusieurs festivals qui ont dû annuler des journées. Dans un monde à +2, +3, +5 degrés, nos événements ne pourront plus exister, car on n’aura pas les ressources suffisantes en eau, en énergie. Un festival de 200 000 personnes, ça ne pourra pas exister dans le futur.

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