Effet de cerf. Introduit avec la colonisation, ce petit cervidé s’est reproduit à une vitesse folle dans l’archipel. Sa prolifération pose des problèmes écologiques et économiques.
💡 Pollutions, surexploitation, changements climatiques… le «Giec de la biodiversité» a identifié cinq grandes causes de l’effondrement de la biodiversité. Vert part à la rencontre de cinq espèces qui symbolisent ces problématiques en France.
Tout est parti d’un simple cadeau. En 1870, le gouverneur de l’île de Java offre douze cerfs rusa à son homologue de Nouvelle-Calédonie. Relâchés sur l’archipel pour être chassés, les animaux se reproduisent à une vitesse incontrôlable. On en compte aujourd’hui plusieurs centaines de milliers.
«C’est vraiment un modèle type de l’espèce invasive : une prolifération en un temps record, qui impacte le milieu naturel, mais aussi les activités humaines», liste Émilie Berlioz. Paléobiologiste associée au laboratoire Palevoprim de Poitiers, elle a étudié l’espèce pendant un an en Nouvelle-Calédonie.
«Ils mangent tout ce qui pousse, des feuilles à la moindre graine qui tombe au sol»
Le cerf rusa est un mammifère asiatique, bien différent des cerfs de France hexagonale (qui sont des cerfs élaphes). Sa petite taille se rapproche plutôt de celle d’un daim et les bois des mâles n’ont que trois pointes. À l’origine, le cerf rusa vient d’Indonésie, où – ironie du sort – il est menacé par le braconnage et la destruction de ses habitats.
Herbivore vorace, le cerf rusa ne rencontre aucune concurrence en Nouvelle-Calédonie, si ce n’est celle – légère – des cochons sauvages, eux aussi importés par les colons européens. Les humain·es sont ses uniques prédateurs.
Sa prolifération a de lourds impacts sur les écosystèmes locaux. «Ils mangent tout ce qui pousse, des feuilles à la moindre petite graine qui tombe au sol, et frottent leurs bois contre les troncs jusqu’à les faire mourir, liste Émilie Berlioz. Cela empêche la régénération des sous-bois et entraîne la quasi-extinction de certaines espèces de fougères arborescentes».
En ratiboisant des surfaces entières de forêts, les cerfs rusa favorisent le développement d’autres espèces invasives végétales, qui pullulent dans cet archipel marqué par la colonisation européenne.
Chasses locales et prime à la mâchoire
Cela bouleverse aussi les activités humaines, à commencer par l’agriculture. La ressource en eau est concernée, explique Émilie Berlioz : «sans arbres, la terre n’est plus stabilisée, elle s’érode à la moindre pluie et descend dans les cours d’eau».
Pourtant, le cerf rusa (que les Calédoniens appellent «cerfe») fait aujourd’hui partie de la culture locale : «en 150 ans, il a vraiment trouvé sa place, les habitants n’imaginent pas la Nouvelle-Calédonie sans lui».
Que ce soient les Kanaks (la population autochtone) ou les Caldoches (les descendants des colons européens), tous le chassent, s’en nourrissent et s’en servent comme monnaie d’échange. Pour lutter contre sa prolifération, une «prime à la mâchoire» a été mise en place en 2008.
Mais ces chasses locales sont insuffisantes pour contrôler cette population très mobile. C’est ce qu’ont montré Émilie Berlioz et ses collaborateur·ices dans une étude parue en 2023 : «un plan de gestion à l’échelle de l’île serait plus efficace, mais aussi plus coûteux». Mais face à la grave crise sociale que traverse la Nouvelle-Calédonie depuis mai 2023, l’écologie n’est pas la priorité.
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Photo de couverture : Wikimedia Commons