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La Suisse condamnée pour inaction climatique : une décision historique qui «ouvre la voie à de nombreuses autres actions»

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Que jus­tice soit fête. Dans un juge­ment inédit, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a don­né rai­son à l’affaire portée par les Aînées suiss­es pour la pro­tec­tion du cli­mat, de quoi créer plusieurs précé­dents.

«Leur vic­toire est une vic­toire pour nous et pour tout le monde !», plaide Sofia Oliveira, à l’annonce de l’arrêt délivré par la Cour européenne des droits de l’Homme en faveur des plaig­nantes suiss­es ce mar­di. La jeune Por­tu­gaise de 19 ans était requérante dans une des deux autres affaires cli­ma­tiques jugées le même jour par la Cour (notre arti­cle), toutes deux rejetées, mais elle ne laisse pas sa décep­tion obscur­cir la portée de cette déci­sion qui fera date.

«C’est la pre­mière affaire en matière cli­ma­tique qui est favor­able aux deman­deurs à la CEDH, ce qui en fait un résul­tat his­torique», con­firme à Vert Mar­ta Torre-Schaub. Cette direc­trice de recherche au CNRS est spé­cial­isée dans le droit de l’environnement et les con­tentieux cli­ma­tiques et enseigne à Sci­ences Po Paris et à l’Université Paris 1. L’arrêt de la Cour après la requête des Aînées suiss­es (aus­si appelée «affaire Kli­maSe­nior­in­nen») crée plusieurs précé­dents.

Tout d’abord, la juri­dic­tion recon­naît qu’elle est com­pé­tente pour traiter de la ques­tion cli­ma­tique dans le cadre de l’article 8 de la Con­ven­tion européenne des droits de l’homme, qui con­sacre le droit au respect de la vie privée et famil­iale. Ensuite, elle admet que les con­di­tions de la qual­ité de vie peu­vent être détéri­orées à cause des effets du change­ment cli­ma­tique (canicule, pol­lu­tion de l’air, incendies, etc). Enfin, la CEDH estime que les poli­tiques lacu­naires d’un État en matière de baisse des émis­sions de gaz à effet de serre peu­vent vio­l­er la Con­ven­tion européenne des droits de l’Homme. «Ils auraient cer­taine­ment pu aller plus loin, mais c’est déjà une très belle avancée», con­sid­ère la direc­trice de recherche.

Réuni·es à Stras­bourg pour le juge­ment, des Aînées suiss­es pour le cli­mat posent avec les requérant·es portugais·es mar­di 9 avril. © Green­house com­mu­ni­ca­tions

L’arrêt qui con­damne la Suisse est théorique­ment con­traig­nant, mais il ne s’accompagne pas de mesures pré­cis­es pour remédi­er aux lacunes du gou­verne­ment, ni de sanc­tions si ce n’est pas fait. «L’É­tat suisse doit l’exé­cuter et les autres États sont ici, en quelque sorte, aver­tis qu’ils ont un devoir de cohérence : affich­er de grands objec­tifs ne suf­fit plus», analyse Arnaud Gosse­ment, avo­cat spé­cial­isé en droit de l’environnement. «La Cour a dressé le con­stat que l’État suisse n’a pas fait assez, mais elle ne lui dit pas pour autant ce qu’il doit faire. Dans ce sens-là, je trou­ve que c’est plus déclaratif que con­traig­nant», juge Mar­ta Torre-Schaub.

C’est surtout au-delà des fron­tières de la Suisse que ce juge­ment risque de faire ric­o­chet. «Si l’ar­rêt influ­ence directe­ment les États européens, ses ram­i­fi­ca­tions s’é­ten­dent à l’échelle mon­di­ale. Il con­stitue un point de référence essen­tiel pour les tri­bunaux du monde entier dans l’in­ter­pré­ta­tion des oblig­a­tions des États en matière de droits de l’Homme dans le cadre de l’ac­tion cli­ma­tique», jauge Joana Set­zer, pro­fesseure asso­ciée à l’Institut de recherche Grantham sur le change­ment cli­ma­tique.

Le juge­ment servi­ra tout d’abord d’exemple pour les États européens, qui auront intérêt à adopter des poli­tiques cli­ma­tiques plus ambitieuses pour éviter d’être pour­suiv­is à leur tour. Cela aura aus­si pour effet d’encourager les asso­ci­a­tions à mul­ti­pli­er les recours sur la base de ce précé­dent, en Europe comme ailleurs. «Il est évi­dent que cet arrêt aura une influ­ence impor­tante sur les con­tentieux cli­ma­tiques à l’avenir, car il ouvre la voie à de nom­breuses autres actions», anticipe Mar­ta Torre-Schaub. Pour la mil­i­tante sué­doise Gre­ta Thun­berg, présente à Stras­bourg en sou­tien aux plaignant·es ce mar­di : «Ce n’est que le début».