Le vert du faux

La réutilisation des eaux usées est-elle une bonne solution contre la sécheresse ?

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Il fal­lait eaux-usées. De plus en plus évo­quée comme une piste à dévelop­per pour économiser l’eau, la réu­til­i­sa­tion des eaux usées est une solu­tion intéres­sante dans un con­texte de stress hydrique — à con­di­tion d’être asso­ciée à de vraies mesures de sobriété.

Qu’est-ce que la réutilisation des eaux usées traitées ?

Aus­si appelé «Réut», ce dis­posi­tif con­siste à récupér­er les eaux traitées dans les sta­tions d’épuration pour les réu­tilis­er sans les rejeter dans les milieux naturels (riv­ières, fleuves, lit­toraux), comme c’est habituelle­ment le cas. Ces eaux subis­sent des traite­ments sup­plé­men­taires selon les usages que l’on souhaite en faire.

Où en est-on en France ?

En France, les eaux usées traitées peu­vent servir à l’irrigation agri­cole et à l’arrosage des espaces verts depuis 2010. Depuis mars 2022, un décret d’application de la loi «anti gaspillage pour une économie cir­cu­laire» autorise de nou­veaux usages urbains comme le lavage de voirie ou l’hydrocurage (net­toy­age des canal­i­sa­tions). En France, seule­ment 1% des eaux usées sont réu­til­isées, con­tre 8% pour l’Italie ou 14% en Espagne. Un retard qui s’explique par une vul­néra­bil­ité de longue date de ces pays aux sécher­ess­es, con­traire­ment à la France : «On n’a pas beau­coup dévelop­pé ces dis­posi­tifs, tout sim­ple­ment car on ne man­quait pas suff­isam­ment d’eau jusqu’à main­tenant», explique à Vert Julie Men­dret, chercheuse spé­cial­isée dans le traite­ment de l’eau à l’Université de Mont­pel­li­er. Le lent développe­ment de ces dis­posi­tifs s’explique aus­si par la longueur des procé­dures admin­is­tra­tives (qui se font au cas par cas) et par des freins psy­chologiques : «Il y a une grande mécon­nais­sance et incom­préhen­sion du procédé de la part du grand pub­lic ce qui pose le prob­lème de l’acceptabilité sociale, ça peut par­fois génér­er une réac­tion de dégoût», détaille la chercheuse.

Une solution pertinente… dans certains contextes

La Réut est intéres­sante pour le net­toy­age de voiries ou de canal­i­sa­tions, où l’eau potable n’est pas néces­saire — et où l’eau réu­til­isée vient con­cur­rencer les coûts de cette dernière. Idem pour la lutte con­tre les incendies, «à con­di­tion de sécuris­er la pra­tique pour les pom­piers», souligne la chercheuse. Ce dis­posi­tif peut égale­ment recharg­er des nappes phréa­tiques dont le niveau serait trop bas, tant que l’eau util­isée est de qual­ité au moins égale à celle de la nappe.

En agri­cul­ture, la Réut per­met à la fois de moins prélever d’eau et d’utiliser moins d’engrais. «L’eau usée traitée est en effet plus riche en élé­ments nutri­tifs que l’eau brute générale­ment util­isée. […] De ce fait, la Réut s’apparente à une fer­ti­ga­tion», une tech­nique d’irrigation con­tenant des fer­til­isants sol­ubles, selon un état des lieux de la pra­tique en France réal­isé par le Cere­ma (le Cen­tre d’ex­per­tise sur les risques, l’en­vi­ron­nement, la mobil­ité et l’amé­nage­ment) en 2020. Dans l’agriculture, la Réut reste une solu­tion plus onéreuse que l’eau «tra­di­tion­nelle», en rai­son du coût de traite­ment et de trans­port. «Dans tous les cas, les sta­tions de traite­ment doivent être à prox­im­ité des lieux où l’eau est réu­til­isée pour que ça reste intéres­sant», ajoute Julie Men­dret.

La réu­til­i­sa­tion n’est pas appro­priée partout : elle peut altér­er les écosys­tèmes envi­ron­nants. C’est une tech­nique beau­coup plus per­ti­nente en zone lit­torale, car les eaux traitées sont habituelle­ment rejetées dans la mer ; soit autant d’eau douce «per­due», alors que dans les régions con­ti­nen­tales, cette eau est réin­jec­tée dans les milieux naturels comme les fleuves ou les riv­ières et peut par­ticiper à leur équili­bre. Par exem­ple, le débit et la vital­ité de cer­tains fleuves dépen­dent des rejets des sta­tions d’épuration. Enfin, lim­iter les rejets d’eau traitée en zone lit­torale peut amélior­er la qual­ité de l’eau dans les zones de baig­nade ou pour la conchyli­cul­ture.

La plu­part des cas de Réut sont instal­lés dans les régions lit­torales. © Cere­ma

Sur les 58 cas de Réut en fonc­tion­nement en 2017, deux usages majori­taires se dis­tinguent, d’après le Cere­ma : l’irrigation agri­cole pour 32 d’entre eux (60%) et l’arrosage de golfs pour 15 autres (26%). «Dans une sit­u­a­tion de ten­sion où l’on prône la sobriété, je ne pense pas que le golf soit indis­pens­able en pre­mier vœu», estime Julie Men­dret. «Mais s’il y a une prox­im­ité entre une sta­tion de traite­ment des eaux usées et un golf, et que ça ne prive pas d’autres usages, pourquoi pas.»

Mais qui ne sera jamais une solution miracle

Hélas, la Réut n’est pas une solu­tion uni­verselle ou général­is­able à grande échelle. Elle ne doit pas empêch­er d’aller en même temps vers la sobriété pour lut­ter con­tre la sécher­esse : «Il faut absol­u­ment éviter l’effet rebond et l’illusion d’avoir une ressource d’eau sup­plé­men­taire qui génère de nou­veaux usages, aver­tit Julie Men­dret. La réu­til­i­sa­tion des eaux usées doit s’appliquer unique­ment pour de la sub­sti­tu­tion afin de rem­plac­er des prélève­ments d’eau potable». «Il est en effet préférable de tra­vailler à iden­ti­fi­er les caus­es des déficits et d’infléchir la demande en eau par des mesures d’économie d’eau, avant de rechercher des solu­tions telle que REUT pour pal­li­er des man­ques chroniques d’eau», appuie le rap­port du Cere­ma. La réu­til­i­sa­tion, oui, mais jamais sans la sobriété.