Le compte est rond. Alors que le seuil de huit milliards d’êtres humains sur Terre a officiellement été dépassé la semaine dernière, on entend souvent que nous serions trop nombreux·ses pour le bien-être de la planète. Décryptage de cet argument fallacieux.
« La seule solution au dérèglement climatique, c’est la réduction drastique des naissances humaines partout dans le monde », ou encore « on est 8 milliards. Et si tous les efforts pour le climat ne servaient à rien ? », a-t-on pu lire sur les réseaux sociaux le 15 novembre dernier, jour où les Nations unies ont annoncé l’atteinte du nombre symbolique de huit milliards d’êtres humains vivant sur Terre.
Les liens entre la croissance de la population et les limites planétaires ont régulièrement été explorés pour justifier des théories de contrôle de la démographie. « Le facteur démographique est l’un des facteurs principaux du maintien et de la radicalisation du problème climatique et, dans cette optique, lutter efficacement contre le changement climatique impliquerait logiquement la mise en place de politiques de réduction de la croissance démographique », détaille le chercheur en philosophie Michel Bourban, dans un article publié en 2019 dans la revue La pensée écologique. De nombreuses personnes font le parallèle entre la hausse des émissions mondiales de CO2 (60% entre 1990 et 2015 par exemple) et la croissance de la population (passée de 5,3 à 8 milliards au cours de la même période, soit +35%), et l’augmentation des émissions par habitant·e (de 3,9 à 4,5 tonnes de CO2 par an, soit +15%).
« C’est un calcul qui est juste mathématiquement, mais qui n’a aucun sens. Il est fait à l’échelle de la Terre entière, alors que quand on regarde le détail par continent, on se rend compte que la population augmente dans les pays pauvres où il y a peu d’émissions, tandis que les émissions augmentent dans les pays riches ou la population ne bouge pas énormément », explique à Vert Emmanuel Pont, ingénieur et auteur du livre « Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? ». Dans son ouvrage, il réfute cet argument en pointant que les pays ayant la plus forte natalité (plus de trois enfants par femme) représentent 20% de la population mondiale, et seulement 3% des émissions de CO2.
D’autant que la soutenabilité de huit milliards de personnes dépend entièrement des individus dont on parle. Le mode de vie de huit milliards d’Américain·es et huit milliards d’Éthiopien·nes n’induit pas le même niveau de consommation de ressources (voir ci-dessus). Selon le calcul réalisé chaque année par le think tank Global footprint network, il faudrait 5,1 planètes si tous les humains vivaient comme des Américain·es, et seulement 0,8 si l’on vivait comme des Indien·nes. « Ainsi, le nombre d’humains est beaucoup moins important que la manière dont ces derniers vivent et s’organisent », conclut Emmanuel Pont dans son livre.
Pour ce dernier, se poser une telle question n’est de toute façon pas pertinent. « On y est déjà, c’est un fait, et on sait qu’à court terme, on arrivera aussi à dix milliards. Dans tous les cas, il faudra s’y adapter », juge-t-il. Ce qui passera par un changement de système économique, l’adoption de technologies moins polluantes, ou le partage plus équitable des ressources planétaires disponibles.