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La justice met fin aux activités de la cellule Demeter contre « l’agribashing »

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La fin d’un cli­mat Deme­ter. Créée en 2019, cette cel­lule qui unit la gen­darmerie et le syn­di­cat de la FNSEA a servi à sur­veiller et entraver les asso­ci­a­tions écol­o­gistes. Celles-ci ont applau­di la déci­sion du tri­bunal admin­is­tratif, qui a enjoint le min­istère de l’In­térieur à cess­er de réprimer les « actions de nature idéologiques ».

« De plus en plus, nos agricul­teurs sont visés par des intim­i­da­tions, des dégra­da­tions, des insultes. Des indi­vidus s’introduisent dans leurs exploita­tions agri­coles […] et font des films aux com­men­taires orduri­ers, avant de jeter les exploitants en pâture sur les réseaux soci­aux. Par­fois même, les intrus dégradent, cassent et volent. » En con­fon­dant sci­em­ment crim­i­nal­ité et activisme lorsqu’il annonce sa créa­tion en décem­bre 2019, le min­istre de l’In­térieur d’alors, Christophe Cas­tan­er, offre un aperçu du mau­vais mélange des gen­res qui sera celui de la cel­lule Deme­ter.

Fruit d’un parte­nar­i­at entre la gen­darmerie, la FNSEA et les Jeunes agricul­teurs, Deme­ter devait per­me­t­tre de lut­ter con­tre les « actes cra­puleux » com­mis con­tre les paysan·nes. Mais aus­si con­tre les « actions de nature idéologiques », comme le « dén­i­gre­ment du milieu agri­cole ». Le min­istre s’émouvait alors de l’« agrib­ash­ing » : le dén­i­gre­ment sys­té­ma­tique dont seraient vic­times les agriculteur·rices, mais qu’au­cune étude n’at­teste.

En réal­ité, cette cel­lule a servi d’outil de sur­veil­lance et de répres­sion des activistes opposé·es aux pra­tiques dis­cuta­bles de l’a­gri­cul­ture indus­trielle. L’as­so­ci­a­tion Généra­tions futures, qui lutte con­tre l’usage des pes­ti­cides chim­iques, avait dénon­cé des con­vo­ca­tions abu­sives en gen­darmerie ou la présence des forces de l’or­dre au cours d’une réu­nion de pré­pa­ra­tion d’actions en vue de la « Semaine pour les alter­na­tives aux pes­ti­cides ». Avec Polli­nis, elle avait déposé un recours con­tre Déméter en 2020.

Visée explicite­ment par Christophe Cas­tan­er, l’as­so­ci­a­tion L214, qui s’in­tro­duit régulière­ment dans des exploita­tions pour filmer les abus de l’él­e­vage indus­triel, avait égale­ment déposé un recours en jus­tice. Son directeur des enquêtes, Sébastien Arsac, a été la cible de telles intim­i­da­tions après une intru­sion dans un éle­vage de veaux, qui lui vaut un juge­ment le 1er avril prochain. « Quand j’ai été con­vo­qué, j’ai décou­vert que les gen­darmes ont demandé à mon opéra­teur les relevés de mes appels. Ils m’ont aus­si demandé qui m’avait per­mis d’obtenir ces images », racon­te-t-il à Vert. Ses déplace­ments ont égale­ment été scrutés à tra­vers le bor­nage de son télé­phone. L’activiste dénonce une « police de la pen­sée » au ser­vice de la FNSEA  — le syn­di­cat agri­cole majori­taire, qui empêche la tenue d’un débat de société sur le mod­èle agri­cole français. 

L’en­quête de L214 qui a valu à Sébastien Arsac d’être pour­suivi © L214

« Il n’est ni soutenu ni établi que la sur­veil­lance de telles asso­ci­a­tions aurait été effec­tuée en vue d’éviter la com­mis­sion d’infractions, dans un but de préser­va­tion de l’or­dre pub­lic », a con­clu le tri­bunal admin­is­tratif de Paris, dans une déci­sion ren­due ce mar­di. Les juges ont enjoint au min­istère de l’In­térieur de « faire cess­er les activ­ités de la cel­lule […] qui visent à la préven­tion et au suivi d’ ”actions de nature idéologique” ». Le gou­verne­ment a deux mois pour y met­tre fin, sous peine d’une astreinte de 10 000 € par jour de retard. « Les gen­darmes pour­ront se recon­cen­tr­er sur leurs mis­sions d’o­rig­ines, comme celles de courir après les voleurs de tracteurs », savoure Sébastien Arsac.

« C’est une vic­toire pour la démoc­ra­tie, applau­dit Nico­las Laar­man, délégué général de Polli­nis. La let­tre de mis­sion de Deme­ter visait explicite­ment à ver­rouiller le débat sur les pra­tiques agri­coles con­ven­tion­nelles et l’usage des pes­ti­cides, et menaçait directe­ment la lib­erté d’expression ». « Grâce à cette déci­sion, une par­tie de cette pres­sion va cess­er pour les lanceurs d’alerte et pour les ONG de défense des ani­maux et de l’en­vi­ron­nement », salue Brigitte Goth­ière, cofon­da­trice de L214.

L’as­so­ci­a­tion se tourne désor­mais vers les candidat·es à l’élec­tion prési­den­tielle, afin qu’elles et ils s’en­ga­gent à pro­téger davan­tage les lanceur·ses d’alertes. Porte-parole de Généra­tions futures, François Veillerette appelle le gou­verne­ment actuel, ain­si que le prochain, à « cess­er d’opposer le monde agri­cole aux ONG et met­tre en place un plan ambitieux de tran­si­tion agri­cole, qui béné­ficiera aux citoyens et aux agricul­teurs eux-mêmes ».