Analyse

La France n’anticipe pas assez les risques climatiques

Le second volet du sixième rapport du Giec l’indique clairement : il est moins coûteux de mener des politiques d’adaptation aux risques climatiques que de ne rien faire. Mais que fait la France pour être à la hauteur des enjeux ?
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Aucune solu­tion d’adaptation glob­ale, capa­ble de trans­former pro­fondé­ment la société à l’échelle d’un État, n’a encore véri­ta­ble­ment vu le jour, notent les auteur·ices du Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (Giec) dans le deux­ième volet de leur rap­port, pub­lié ce 28 févri­er. Comme le reste du monde, la France n’est claire­ment pas à la hau­teur des enjeux d’adaptation.

Vivian Depouès de l’Institute for cli­mate eco­nom­ics (I4CE) recon­naît volon­tiers que les ques­tions d’adaptation sont abor­dées plus régulière­ment qu’avant dans cer­tains secteurs ou ter­ri­toires (lors des indem­ni­sa­tions décidées pour rai­son de gels tardifs, lors du Varenne de l’eau sur les ques­tions de retrait du trait de cote, ou à l’occasion d’opérations d’aménagement ou de renou­velle­ment urbain). Mais cette dynamique d’adaptation ne suf­fit pas : « On investit dans la mod­erni­sa­tion des réseaux de trans­port ou dans la réno­va­tion ther­mique sans inté­gr­er les enjeux posés par l’adaptation », regrette-t-il, « les mesures sont sec­to­rielles et les actions dis­per­sées, avec des enjeux qui ne sont pas iden­ti­fiés. Or plus on attend, plus la fac­ture et la mal-adap­ta­tion seront élevées. »

Les dispositifs d’adaptation existants

Sous l’effet du change­ment cli­ma­tique, la France va con­naître plusieurs types de phénomènes : une mul­ti­pli­ca­tion des îlots de chaleur urbains, une diminu­tion de l’enneigement en moyenne mon­tagne, des phénomènes de pré­cip­i­ta­tions intens­es, des sécher­ess­es et des prob­lé­ma­tiques liées au lit­toral avec la mul­ti­pli­ca­tion d’événements extrêmes, en métro­pole comme en out­re-mer.

Les impacts déjà vis­i­bles et à venir en 2050, car­tographiés par le Min­istère de la tran­si­tion écologique

La pre­mière Stratégie nationale d’adaptation au change­ment cli­ma­tique, élaborée suite à une large con­cer­ta­tion menée par l’Observatoire nation­al sur les effets du réchauf­fe­ment cli­ma­tique (ONERC), a été adop­tée en 2006. Elle a été suiv­ie par la mise en place d’un pre­mier Plan nation­al d’adaptation au change­ment cli­ma­tique (PNACC) en 2011, puis d’un sec­ond en 2018. En 2020 naît aus­si le Cen­tre de ressources sur l’adaptation au change­ment cli­ma­tique ain­si que plusieurs bases de don­nées de suivi des enjeux cli­ma­tiques (le por­tail Drias, dévelop­pé par Météo-France pour suiv­re les pro­jec­tions cli­ma­tiques les plus récentes, l’application Cli­mat-HD pour suiv­re l’évolution du cli­mat par région).

Hélas, « il manque un référen­tiel stratégique opéra­tionnel, capa­ble de répon­dre au besoin de trans­ver­sal­ité et de mise en œuvre rapi­de. L’adaptation ne reposera pas unique­ment sur l’État. Mais elle n’a aucune chance de réus­sir et d’être à la hau­teur des défis qui nous atten­dent sans un cadrage et un pilotage fort de sa part », notent Vivian Depouès, Mor­gane Nicol d’I4CE, Alexan­dre Mag­nan de l’Iddri et Mag­a­li Reghez­za, maître de con­férences à l’É­cole nor­male supérieure dans un avis com­mun pub­lié ven­dre­di 25 févri­er.

L’urgence du long terme

Ces derniers en appel­lent donc à une « véri­ta­ble rup­ture dans la manière de con­cevoir et de traiter ces ques­tions ». Ils et elles esti­ment que la séquence qui s’ouvre prochaine­ment avec l’élaboration de la nou­velle Stratégie française énergie-cli­mat (Sfec) peut con­stituer un « moment poli­tique fort » : cette stratégie « com­pren­dra une loi de pro­gram­ma­tion énergie-cli­mat — la Stratégie nationale bas-car­bone révisée (SNBC 3) — et le Plan nation­al d’adaptation au change­ment cli­ma­tique révisé (PNACC 3). Ce con­texte, con­comi­tant de l’élection prési­den­tielle, doit être enten­du comme une oppor­tu­nité unique pour un pre­mier moment poli­tique sur l’adaptation en France ».

Animé•es par le désir de ne pas per­dre cinq années sup­plé­men­taires sur le front de l’adaptation, ils et elles pro­posent de faire du volet adap­ta­tion de la Sfec un cadre de référence com­mun, non seule­ment dans le cadre du plan nation­al, mais surtout dans la loi de pro­gram­ma­tion énergie-cli­mat : « L’adaptation doit être inté­grée à la sécu­rité civile, à la poli­tique san­i­taire, aux plans de préven­tion des risques, à la ges­tion inté­grée de la ressource en eau, à la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité, aux doc­u­ments d’aménagement et d’urbanisme, à la poli­tique agri­cole, à celle de réin­dus­tri­al­i­sa­tion, à la recherche et l’in­no­va­tion ».

Le chercheur Vivian Depouès détaille les enjeux de l’adap­ta­tion © I4CE

Elles et ils for­mu­lent ain­si une série de recom­man­da­tions pour s’assurer que la future stratégie endosse une vision partagée des enjeux via une juste répar­ti­tion des efforts et des béné­fices, et une struc­tura­tion plus claire des besoins et des ressources. Invi­tant les insti­tu­tions et les organ­i­sa­tions à ren­dre des comptes sur leur manière d’intégrer l’adaptation dans leurs pro­jets, elles et ils recom­man­dent aus­si de fournir des moyens pro­por­tion­nés à la mis­sion que pour­rait porter une coor­di­na­tion inter­min­istérielle ou une admin­is­tra­tion dédiée à l’adaptation.