Dans l'actu

La Fabrique des pandémies : le film à voir pour comprendre comment la biodiversité protège la santé

La dernière enquête de la journaliste Marie-Monique Robin s’intéresse aux liens entre la santé des écosystèmes et la nôtre. Elle y donne la parole à des scientifiques dont la mise en garde est claire : si nous continuons à détruire les espaces de vie sauvage, nous connaîtrons « une ère d’épidémie de pandémies ».
  • Par

Ça fait tiquer ! Pren­dre soin de son corps et de sa san­té com­mence par respecter le vivant. Tel est le mes­sage de Marie-Monique Robin, la jour­nal­iste-réal­isatrice spé­cial­isée dans les ques­tions envi­ron­nemen­tales et autrice des célèbres travaux Le monde selon Mon­san­to, Notre poi­son quo­ti­di­en ou Sacrée crois­sance ! Dans sa nou­velle enquête, La fab­rique des pandémies, elle explore l’écologie de la san­té.

« Tout a com­mencé en jan­vi­er 2020, à la lec­ture d’un arti­cle de David Quam­men dans le New York Times, inti­t­ulé « We made the coro­n­avirus epi­dem­ic ». J’y décou­vre que la prop­a­ga­tion de cer­tains virus — tels Ebo­la, VIH, grippe avi­aire, SARS, etc. est directe­ment liée à notre manière de détru­ire les espaces de vie sauvage », racon­te-t-elle à Vert. « J’ai prof­ité du con­fine­ment pour inter­view­er 62 sci­en­tifiques (viro­logues, par­a­sito­logues, écologiques, vétéri­naires, épidémi­ol­o­gistes, médecins, eth­nob­otanistes, etc.) qui tra­vail­lent sur les con­di­tions d’apparition de “ter­ri­toires d’émergences” des mal­adies infec­tieuses ».

Marie-Monique Robin et Juli­ette Binoche pen­dant le tour­nage de la Fab­rique des pandémies © Pier­rot Men

Après le livre éponyme pub­lié fin 2020 (La Décou­verte), le film de Marie-Monique Robin con­tin­ue de met­tre de la cohérence dans les désor­dres qui nous assail­lent. La réal­isatrice mon­tre à quel point la nature n’est pas un sim­ple décor, mais le sup­port de ce qui nous per­met de vivre. Un tour de force lié notam­ment à la présence, à l’écran, de l’actrice Juli­ette Binoche. Les deux femmes se sont ren­con­trées par hasard lors d’un dîn­er — de là est née l’idée d’embarquer la comé­di­enne dans le chemin de con­nais­sance pro­posé par la jour­nal­iste. « En prê­tant sa notoriété, son tal­ent et sa légèreté, Juli­ette Binoche donne à chacun•e la pos­si­bil­ité de s’identifier et de mon­tr­er que la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité doit aujourd’hui être placée dans l’opinion au même niveau que la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre », explique à Vert Marie-Monique Robin.

En leur com­pag­nie, les spectateur•ices par­tent à la ren­con­tre de 14 chercheur•ses dans huit pays dif­férents. De la galerie de l’évolution du Muséum nation­al d’histoire naturelle (MNHN) à l’Amazonie guyanaise, du Gabon à Atlanta, de la Thaï­lande en pas­sant par le Kenya ou Mada­gas­car, on com­prend que nos des­tins sont liés à ceux de mul­ti­ples organ­ismes vivants, à com­mencer par les bac­téries, les virus et autres par­a­sites — des agents pathogènes dont la pro­liféra­tion est atténuée par la richesse de la bio­di­ver­sité ani­male. « Beau­coup pensent que cer­taines espèces dites “nuis­i­bles” ou que les agents pathogènes doivent être détru­its en rai­son de leur poten­tiel néfaste sur l’humain, mais c’est tout le con­traire qui est néces­saire », explique Marie-Monique Robin, « le risque infec­tieux aug­mente quand la bio­di­ver­sité décline ».

Sa démon­stra­tion s’ap­puie notam­ment sur la notion d’« effet dilu­tion », iden­ti­fiée par Richard Ost­feld et Feli­cia Keesing, du « Tick project ». Depuis 30 ans, ce cou­ple de sci­en­tifiques améri­cains explore les liens entre la mal­adie de Lyme (trans­mise par les tiques) et les rongeurs : ils ont mon­tré qu’aux États-Unis, la souris à pattes blanch­es est le réser­voir de la bac­térie qui infecte les tiques, puis les humain•es. Or, la frag­men­ta­tion des habi­tats de la vie sauvage (par la déforesta­tion, l’urbanisation crois­sante ou le développe­ment du réseau routi­er) réduit l’espace vital des pré­da­teurs du rongeur. Cela fait aus­si dis­paraître d’autres familles de rongeurs, liés à des nich­es écologiques frag­iles. La place se libère donc pour la souris à pattes blanch­es : elle pro­lifère à sa guise, ce qui aug­mente la prob­a­bil­ité qu’une tique soit infec­tée lors d’un repas san­guin. Con­clu­sion : plus la bio­di­ver­sité ani­male est riche, plus le risque qu’une tique soit infec­tée est dilué.

Ce phénomène, observé dans de nom­breux autres écosys­tèmes, prou­ve que les activ­ités qui boule­versent les équili­bres naturels poussent les agents pathogènes, hébergés depuis la nuit des temps par des rongeurs, chauve-souris ou pri­mates, à « sor­tir du bois » et infecter les pop­u­la­tions humaines. Un effet boomerang dont les ani­maux ne sont pas respon­s­ables.