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La Commission européenne fait du gaz et du nucléaire des « énergies de transition »

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Une idée fumeuse. La Com­mis­sion européenne a finale­ment inclus le gaz et le nucléaire dans sa « tax­onomie verte », leur per­me­t­tant de recevoir des finance­ments dédiés à la tran­si­tion écologique. Une déci­sion large­ment décriée par des ONG et des expert·es.

Mer­cre­di, la Com­mis­sion européenne, qui détient une par­tie du pou­voir exé­cu­tif de l’Union Européenne (UE), a approu­vé un texte qui inclut cer­taines activ­ités du gaz et du nucléaire dans la « tax­onomie européenne pour les activ­ités durables ». Elle jus­ti­fie cette entrée par la néces­sité « d’accélérer la tran­si­tion, en util­isant toutes les solu­tions qui peu­vent nous aider à attein­dre nos objec­tifs cli­ma­tiques » et estime que ces éner­gies « per­me­t­tent de délaiss­er plus rapi­de­ment des activ­ités plus pol­lu­antes, telles que les cen­trales à char­bon ».

Cette « tax­onomie verte » vise à class­er l’ensem­ble des activ­ités économiques selon des critères envi­ron­nemen­taux afin d’ori­en­ter les investisse­ments publics et privés vers des secteurs « durables » (Vert). Six critères sont retenus : atténu­a­tion du change­ment cli­ma­tique, adap­ta­tion, usage durable des ressources d’eau, pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité, préven­tion et con­trôle des risques de pol­lu­tion, et respect des règles de l’économie cir­cu­laire. Pour faire par­tie de cette clas­si­fi­ca­tion, une activ­ité doit répon­dre au moins à l’un de ces objec­tifs sans être néfaste vis à vis des cinq autres. Ini­tiale­ment, seules les « éner­gies vertes » devaient y fig­ur­er. Sous la pres­sion de cer­tains États mem­bres, Brux­elles a donc décidé d’y inclure des « éner­gies de tran­si­tion » telles que le gaz et le nucléaire.

Bilan des émissions de gaz à effet de serre des différentes sources d'énergie
Bilan des émis­sions de gaz à effet de serre des dif­férentes sources d’én­ergie © Revue de lit­téra­ture IPCC par le Giec

Cette inclu­sion est lim­itée dans le temps : les cen­trales au gaz les plus pol­lu­antes ne béné­ficieront plus de cette label­li­sa­tion en 2030 et les cen­trales nucléaires, en 2045. Mais « en met­tant le gaz et le nucléaire sur un pied d’é­gal­ité avec les éner­gies renou­ve­lables, ça brouille le sig­nal qu’on envoie aux investis­seurs », affirme auprès de Vert Neil Makaroff, respon­s­able Europe du Réseau action cli­mat, qui fédère une trentaine d’associations écol­o­gistes français­es. Il traduit la bron­ca qui émane de nom­breuses ONG de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement et de spé­cial­istes. 

Il y a quelques jours, le groupe d’expert·es tech­niques sur la finance durable, chargé d’émet­tre des avis sci­en­tifiques sur cette tax­onomie, avait jugé ces éner­gies incom­pat­i­bles avec cette dernière (Actu-envi­ron­nement). Out­re le lourd bilan car­bone du gaz, elles et ils ont jugé que le nucléaire « pour­rait nuire à l’u­til­i­sa­tion durable et à la pro­tec­tion des ressources hydriques et marines, à la tran­si­tion vers une économie cir­cu­laire, à la préven­tion et au con­trôle de la pol­lu­tion, ou à la pro­tec­tion et à la restau­ra­tion de la bio­di­ver­sité et des écosys­tèmes », soit qua­tre des six critères qui per­me­t­tent l’entrée — ou non — dans la tax­onomie.

« On est sor­ti du côté sci­en­tifique de la tax­onomie et on a lais­sé le poli­tique s’y infil­tr­er, déplore Neil Makaroff. La Com­mis­sion a cédé à une offen­sive des États mem­bres, dont la France qui a mil­ité pour l’in­clu­sion du nucléaire et du gaz, avec des pays comme la Hon­grie, la Pologne et la République tchèque. » Paris a effec­tive­ment noué une alliance improb­a­ble avec ces États très dépen­dants des fos­siles, sou­tenant l’inclusion du gaz en l’échange de leur appui en faveur du nucléaire (Medi­a­part).

Emmanuel Macron, entouré du pre­mier min­istre hon­grois Vik­tor Orban (droite), du pre­mier min­istre polon­ais, Mateusz Moraw­iec­ki (gauche) et celui de République Tchèque, Andrej Babis, lors d’une réu­nion des qua­tre pays du groupe de Viseg­rad — dont fait égale­ment par­tie la Slo­vaquie, le 14 décem­bre dernier © Ludovic Marin / AFP

Plusieurs moyens de con­tes­ta­tion sub­sis­tent encore : le texte doit être validé par le Con­seil de l’UE et le Par­lement européen. S’il est dif­fi­cile de con­cevoir un vote con­tre au Con­seil de l’UE alors que la France le pré­side depuis jan­vi­er, plusieurs députés européens ont affir­mé leur oppo­si­tion au texte. Par ailleurs, l’Autriche et le Lux­em­bourg ont annon­cé hier leur inten­tion de porter l’affaire devant la Cour de jus­tice de l’Union européenne si cette nou­velle tax­onomie entrait en vigueur.