Un train d’avance ? Inspirée par l’Allemagne, l’eurodéputée écologiste Karima Delli milite pour la mise en place d’un «ticket climat» à l’échelle nationale qui permettrait aux abonné·es d’utiliser les transports en commun et les trains de manière illimitée. L’objectif : favoriser l’accès à une mobilité décarbonée sur l’ensemble du territoire français.
Pourquoi plaidez-vous pour la création d’un «ticket climat» ?
Le ticket climat est un abonnement qui permet d’accéder à tout le réseau public ferroviaire et les transports en commun — dont le bus, le métro, etc -, en excluant la grande vitesse [comme le TGV, NDLR]. C’est à l’image de ce qu’a instauré l’Allemagne il y a quelques mois, avec un abonnement mensuel illimité à 49 euros.
Le ticket climat ne doit pas être juste un slogan, c’est un levier qui vise à transformer notre rapport à la mobilité. L’accès à des transports décarbonés est un enjeu extraordinaire aujourd’hui. Il va falloir baisser les émissions des transports de 55% d’ici à 2030 [par rapport à 1990, conformément aux objectifs climatiques de l’Europe, NDLR]. C’est un virage à 180 degrés qu’il faut opérer. Si l’on met en place ce ticket climat, demain, le couple franco-allemand pourrait être la locomotive pour l’instaurer à l’échelle européenne.
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En quoi cela serait-il pertinent en France ?
En France, le secteur des transports représente 30% des émissions de gaz à effet de serre et il est le plus gros émetteur. Il y a un problème de fond, qui est que le secteur ne réduit pas ses émissions depuis 1990. Il y a urgence à ce que ça change ! Le train, qui est neuf fois moins émetteur que n’importe quel transport, doit absolument être privilégié et encouragé. Le ticket climat, c’est pour les usagers, mais cela permettra aussi de rénover les réseaux pour faciliter le transport de marchandises par la suite, ce qui est un énorme enjeu.
En dehors de l’intérêt pour le climat, à quoi pourrait servir un tel abonnement ?
Cela peut être un levier extraordinaire de réconciliation avec le train, pour réparer la fracture territoriale créée par l’opposition entre la France des villes et la France des champs. On a d’un côté une France des centres-villes, qui est ultra-connectée par les réseaux de transport et, de l’autre, des territoires en périphérie qui sont confinés au modèle du tout-voiture. Et ça, c’est pour ceux qui peuvent en avoir, car certains n’ont pas de voiture et ne peuvent simplement pas bouger. On ne peut pas se permettre d’avoir toute une partie du pays qui serait coupée de tout. Le ticket climat va nous permettre d’avoir accès aux vacances, mais aussi à la mobilité toute l’année. Ce sera la porte d’entrée du quotidien pour aller au travail, à l’école ou chez le médecin. C’est pour cela que je porte haut et fort le ticket climat. Le train est pour moi le levier d’action de demain : je veux redonner accès à une mobilité décarbonée, populaire et accessible à tout le monde.
«Si l’on veut que les Français abandonnent leur voiture au profit du train, il faut de la qualité, mais aussi de la fréquence.»
Comment pourrait-on l’instaurer en France ?
Il faut regarder ce qui a été fait en Allemagne. Ce qui est extraordinaire, c’est le coup de foudre entre les gens et le train. 250 000 tickets pour l’abonnement illimité ont été vendus en trois jours au lancement de l’offre. C’est 750 000 aujourd’hui, et l’Allemagne attend 16 millions d’abonnés à terme. Le coût est d’environ trois milliards d’euros par an pour l’État, et l’opération arrive en même temps que la rénovation du réseau. Les autorités ont décidé d’anticiper, car elles savent très bien que la question des mobilités décarbonées va devenir incontournable.
Maintenant, comment peut-on faire chez nous ? La question des financements est essentielle bien sûr, et tout le monde dit que ça va coûter très cher. Mais vous voyez, trois milliards d’euros par an, ce n’est pas si cher que ça. La question n’est pas tant le coût des abonnements, mais celle de l’investissement massif dans le réseau. Il faut absolument mettre le paquet sur l’existant, c’est ça qui fonctionne. Si l’on veut que les Français abandonnent leur voiture au profit du train, il faut de la qualité, mais aussi de la fréquence.
«Avec le ticket climat, on veut créer l’outil qui oblige les pouvoirs publics à investir dans le réseau une bonne fois pour toutes»
Alors que 7 Français sur 10 habitent à moins de 5 kilomètres d’une gare, aujourd’hui, la part modale du train dans tous les modes de transport est de 9% en France. Comment la fait-on augmenter ? Il n’y a pas de secret : on investit dans le réseau. La France investit trois fois moins que l’Allemagne dans le train. Le souci, c’est que tous les investissements récents ont été siphonnés par le TGV. Sauf que tout le monde ne prend pas le TGV chaque jour : ce n’est pas la mobilité du quotidien ! On n’a pas besoin de gros trains, on a besoin de trains à petite capacité, mais à grosse cadence.
Comment rendre cette proposition attrayante ?
L’objectif est d’avoir un prix attractif, qui permettra de recréer une appétence des gens pour le train. Si les Allemands peuvent faire 49 euros par mois, nous pouvons faire pareil, voire peut-être un peu moins. Et, comme l’abonnement est illimité, ça devient très intéressant pour les gens puisque au bout d’un trajet ou deux, ils considèrent presque que c’est gratuit. On a lancé une pétition en faveur du ticket climat, car le sujet doit s’imposer à l’échelle nationale avant de pouvoir entrer en négociation avec les différentes régions [les TER font partie des compétences des régions et non pas de l’État, NDLR].
On veut obliger les pouvoirs publics à se rendre compte que les gens veulent prendre le train, mais que les infrastructures ne suivent pas encore. Ce doit être le point de départ pour une nouvelle politique ferroviaire et de nouvelles mobilités décarbonées en France.
Attention, il y a un déclic à enclencher, car le train doit prendre le lead sur la voiture. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de voiture, évidemment, car des gens n’auront pas le choix, mais le train doit être prioritaire. On va passer de la mobilité individuelle par la voiture à une mobilité de partage. Pour cela, le train ne peut pas être tout seul : il faut que les gares deviennent des lieux de multi-modalité. En sortant d’un train, je dois pouvoir attraper facilement un vélo, un bus. Cela doit être complémentaire, même si l’accessibilité au train via un prix raisonnable est la première chose.
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