Entretien

Jacques Huybrechts : « l’Université de la Terre veut réunir tous les publics, des activistes aux dirigeants d’entreprises »

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Jacques Huy­brechts est le fon­da­teur de l’Université de la Terre, une vaste ren­con­tre autour de l’é­colo­gie qui se tient à l’Unesco, à Paris, les 25 et 26 novem­bre prochains. À Vert, il racon­te sa démarche pour en faire une Uni­ver­sité ouverte et portée sur l’action.

Pourquoi avoir créé l’Université de la Terre en 2005 ?

C’est un pro­jet qui vient d’assez loin puisqu’il est né au som­met de la Terre en 1992 avec le cri d’alarme de la Gre­ta Thun­berg de l’époque : Sev­ern Cullis-Suzu­ki. Je finis­sais mes études en 1990 et j’avais com­mencé à organ­is­er des con­férences — j’avais créé la Cité de la réus­site avec deux copains pour per­me­t­tre aux étudiant•es de ren­con­tr­er des hommes et des femmes inspi­rantes pour leur futur.

Après Rio, j’ai cher­ché à utilis­er mon savoir-faire pour réu­nir des gens sur l’écologie. Je suis allé voir com­ment financer ça, mais ça n’intéressait pas — sauf des médias comme Libé qui était très au fait de ces sujets. J’ai lais­sé le pro­jet dans les car­tons et, en 2004, j’ai ren­con­tré les équipes de l’Unesco qui m’ont dit : « on cherche un pro­jet pour les 60 ans des Nations Unies ». J’en avais un, et c’é­tait l’U­ni­ver­sité de la Terre. La pre­mière édi­tion a accueil­li quelques cen­taines de per­son­nes. Nous avons rapi­de­ment reçu les ténors : Pierre Rab­hi, Nico­las Hulot, Dominique Bourg. L’édition la plus suiv­ie a été celle de 2015, au moment de la COP21 car nous avons réus­si à être label­lisés comme l’un des événe­ments offi­ciels. 10 jours après les atten­tats de Paris, nous avons réus­si à faire venir plusieurs mil­liers de per­son­nes.

Quelles sont vos trois « pépites » de l’édition de la semaine prochaine ?

La pre­mière est incon­testable­ment la venue de chefs autochtones le 25 novem­bre. C’est une ses­sion « Ren­con­tre sous la Canopée » que nous avons cocon­stru­ite avec la boîte de pro­duc­tion qui réalise des films sur cinq gar­di­ens de la forêt du monde entier, films qui sor­tiront sur Arte et Ushuaïa. Twyla Edgi Masuzu­mi, une jeune femme Déné du Cana­da ; Mundiya Kepan­ga qui vient de Papouasie et Ben­ki Piyako, un chef de la com­mu­nauté Ashanin­ka du Brésil, vien­dront alert­er sur la vio­la­tion de leur ter­ri­toire et les men­aces qui pèsent sur leur com­mu­nauté. C’est la pre­mière fois que ces gar­di­ens se ren­con­trent.

Le deux­ième temps fort, pour moi, c’est un pro­gramme de trois heures pour les 8–12 ans avec les par­ents, sur « ma planète bleue et verte : com­ment la pro­téger ? ». Enfin, il y aura la remise en pub­lic d’un con­cours mon­di­al sur l’adaptation et la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, ain­si que la remise du prix de la fon­da­tion de France à 29 jeunes qui s’engagent. C’est une édi­tion très tournée vers la jeunesse.

L’Université existe depuis 2005. Est-il encore nécessaire aujourd’hui de faire de grands sommets de discussions ?

Oui, c’est utile à con­di­tion de con­cili­er plusieurs dimen­sions. L’université aide d’abord à la prise de con­science. Ensuite, nous avons un objec­tif de pass­er de la con­science à la con­nais­sance des enjeux. Nous sommes bien loin de com­pren­dre par­faite­ment les mécan­ismes de réchauf­fe­ment et des pertes de bio­di­ver­sité. Or, c’est cette com­préhen­sion qui nous per­met d’aller au-delà du fait de subir les crises et qui nous amène à la troisième dimen­sion : le pas­sage à l’action. C’est aus­si la plus dif­fi­cile : pourquoi, avec qui, com­ment, indi­vidu­elle­ment, col­lec­tive­ment ? Com­ment amen­er ces publics à s’engager dans des col­lec­tifs ?

Une autre ambi­tion de l’Université est de réu­nir tous les publics, des activistes aux dirigeants d’entreprises. Avec cette édi­tion, nous élar­gis­sons le pub­lic his­torique et con­va­in­cu. Nous avons inté­gré de nou­veaux for­mats pour s’adresser aux juniors et nous met­tons en place un « Green com­e­dy show » avec un stand up sur les enjeux verts. Nous sommes allés chercher des lycées et des asso­ci­a­tions grâce à une cinquan­taine d’alliés. Il est évi­dent que nous n’arriverons pas à touch­er cer­tains publics, mais nous ne pou­vons pas répon­dre à tout. En par­ti­c­uli­er, nous ne pou­vons pas rem­plac­er les COP qui se deman­dent, elles aus­si, si elles sont utiles. J’aimerais que chaque per­son­ne qui sera venue se dise : j’en sais plus et j’en fais plus sur le plan indi­vidu­el et sur le plan col­lec­tif.

L’Université est financée par de grosses entreprises comme le distributeur Casino ou le groupe de construction Bouygues, comment articulez-vous ces financements avec les enjeux qui seront discutés ?

Oui, nous avons des financeurs privés de grandes entre­pris­es, mais nous nous sommes mis des lim­ites. Je ne suis pas allé chercher les ban­ques comme la BNP, ni Total­En­er­gies. Idéale­ment, je préfèr­erais qu’on ait Bio­coop sauf qu’ils n’ont pas les moyens de financer ce genre de pro­jets. Nous deman­dons à nos parte­naires d’avoir une présence sincère donc d’être dans une démarche active pour amélior­er leur impact. Nous fer­ons un bilan sur leurs engage­ments après l’événement dans les deux ans qui vien­nent. Je deman­derai à Bouygues, Nature et Décou­vertes, Egis et les autres ce qui a changé. Pour la grande dis­tri­b­u­tion nous avons choisi de tra­vailler avec Casi­no. C’est plus com­pliqué pour ce secteur qui a des pro­grès à faire au regard d’un mod­èle de con­som­ma­tion qui peut être cri­tiqué. Mais il faut se rap­pel­er qu’à par­tir du moment où vous com­mencez une activ­ité économique, vous avez un impact sur la planète, ain­si même les entre­pris­es les plus engagées ne sont pas par­faites.

Il y a quelques mois, Casi­no a été pour­suivi par des ONG sur la ques­tion de la déforesta­tion. Je vais mon­ter une ren­con­tre entre Casi­no et des chefs autochtones. Ils en sont d’accord et c’est l’un des rôles que nous pou­vons jouer avec l’Université. Après, les entre­pris­es ne nous atten­dent pas pour agir.