Décryptage

Greenhushing versus greenwashing : vaut-il mieux se taire plutôt que d’en faire trop sur l’écologie ?

Et c’est la chut. Les entreprises privées parlent de moins en moins d’écologie. Un mouvement de défense face au greenwashing, mais qui leur porte aussi préjudice.
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Alors que le monde vient de connaître l’année la plus chaude de l’histoire de l’humanité, de nombreuses entreprises ont fait le choix de ne plus communiquer sur le climat et l’écologie, de peur de faire l’objet d’un procès en greenwashing.

Ce décryptage a été réalisé par Quota Climat, une association qui veut mettre l’écologie à la Une des médias, pour Chaleurs actuelles : la rubrique de Vert consacrée à la désinformation climatique et à l’extrême droite. Abonnez-vous gratuitement à la newsletter Chaleurs actuelles pour tout savoir de ces sujets majeurs.

En 2024, d’après le dernier rapport du cabinet spécialisé South Pole, 86% des entreprises commercialisant des biens de consommation et 72% des compagnies pétrolières disaient avoir réduit leurs communications environnementales. Cette pratique ne concerne pas uniquement les entreprises les plus polluantes : 88% des entreprises proposant des services environnementaux déclarent moins communiquer sur le sujet, alors que 93% d’entre elles respectent leurs objectifs en la matière.

Selon le docteur en sciences de l’information et de la communication Mathis Navard, ou encore le politologue François Gemenne, les entreprises seraient passées du greenwashing – cette pratique commerciale trompeuse visant à dépeindre une activité de façon plus vertueuse que la réalité –, au greenhushing, ou «éco-silence» : ne plus du tout parler d’écologie, et dissimuler son action le cas échéant.

François Gemenne a même affirmé sur les ondes de Radio France, il y a quelques semaines : «Je préférais nettement quand les entreprises faisaient du greenwashing.» Une question se pose donc : vaut-il mieux communiquer, quitte à désinformer, plutôt que se taire ?

L’exposition à l’écologie favorise les comportements vertueux

Les sciences sociales nous informent de deux choses. Pour commencer, l’exposition à une thématique permet de la mettre à l’agenda public, d’en faire une priorité et d’attirer l’attention des parties prenantes.

L’exposition à l’information environnementale agit également sur l’attitude, l’intention et les comportements pro-environnement, en jouant à la fois sur l’acceptation psychologique et l’incitation comportementale. L’exposition répétée à une information est, par ailleurs, un facteur clé permettant de renforcer des croyances sur la durée (le fait de considérer l’action environnementale comme importante, par exemple) – un préalable à l’action.

Bangalore (Inde), décembre 2023. L’entreprise Uber communiquait sur son service «Uber green» et vantait des trajets écologiques à bord de véhicules électriques. © P. L. Tandon/Flickr

En parallèle, les entreprises sont considérées comme des émettrices légitimes pour parler d’environnement et de changement climatique, puisque 69% du public leur accordent leur confiance.

D’où l’importance de communiquer à un certain volume et sur la durée, à condition de le faire de manière honnête et cohérente. Le risque est, sinon, de perdre la confiance et d’inciter au rejet.

L’éco-silence, une autocensure infondée

Au-delà de l’importance pour la société qu’un important volume d’informations environnementales soit disponible, certaines entreprises pourraient croire stratégique de se taire ; que le silence serait efficace pour éviter un procès en éco-blanchiment, à l’heure où l’écologie paraît moins faire recette dans l’opinion.

Une étude tout juste parue vient contredire cette théorie : par défaut, les citoyen·nes sont pessimistes, et communiquer sur les engagements environnementaux les rend optimistes.

L’étude nous apprend qu’à l’exception des personnes «très sceptiques» sur le climat, la communication fiable sur les enjeux environnementaux augmente la tendance pour les sondés initialement sceptiques à soutenir des politiques publiques ambitieuses en matière environnementale ou à soutenir des structures qui les plébiscitent.

Ne pas communiquer sur ses engagements renforcerait donc le scepticisme, et communiquer permettrait d’en sortir. Cela signifie qu’adopter le silence comme stratégie ne permet pas de se protéger du risque de mauvaise réputation – au contraire.

Le greenwashing : une pratique commerciale trompeuse, et illégale

Enfin, se pose la question de la légalité d’attribuer des bienfaits environnementaux à un produit ou un service sans fondement.

La loi tranche désormais le sujet : le greenwashing est défini parmi les «pratiques commerciales trompeuses» dans le code de la consommation.

La raison est double : il est illégal d’induire le consommateur en erreur et de semer le doute dans son esprit à des fins commerciales.

Un doute d’autant plus problématique qu’il se couple à un insuffisant accès à l’information environnementale, notamment en ce qui concerne les solutions et les raisons d’espérer : 69% des Français·ses corroborent ce déficit.

Il est donc à la fois urgent de communiquer sur l’environnement en tant qu’entreprise, mais cela ne peut être utile qu’à la condition que les pratiques de communication soient légales.

La nostalgie vis-à-vis du greenwashing est aussi malvenue que la pratique du silence, qui contribue à déprioriser un débat qui n’a jamais été aussi urgent, ainsi qu’à dégrader la réputation de ceux qui se taisent.

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