Reportage

François, agriculteur bio, et Louis, éleveur en conventionnel, veulent tous deux «nourrir le monde et entretenir la terre»

De terre en fils. François Renou et Louis Besnard, la vingtaine, se sont chacun mis à leur compte récemment, tous deux en plein cœur du bocage sarthois, à une trentaine de kilomètres du Mans. Portrait croisé de deux jeunes agriculteurs que tout semble opposer.
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Âgé de 25 ans, François Renou a rejoint son père dans la ferme famil­iale en juin 2023, alors en pleine tran­si­tion vers le bio. Son arrivée a mar­qué un tour­nant dans l’exploitation, puisque c’est à ce moment qu’est décidé de cess­er l’élevage de porc. «C’était ma déci­sion, explique-t-il à Vert. Ça ne me plai­sait pas comme éle­vage, ce n’é­tait pas dans ma philoso­phie. Je n’ai pas envie d’élever des mangeurs de graines. Je préfère que les céréales soient con­som­mées par les êtres humains.»

Entourée par une grande plaine céréal­ière, la ferme repose désor­mais sur un chep­tel de 40 charo­lais­es allai­tantes (soit une quar­an­taine de veaux chaque année), 15 tau­ril­lons et une dizaine de bœufs avec 150 hectares, dont 40 de prairies per­ma­nentes pour la pâture. «Avant, toutes nos cul­tures allaient dans l’alimentation des porcs, décrit le jeune homme. Main­tenant, on peut semer des var­iétés pour les humains et par­ticiper à la sou­veraineté ali­men­taire, sans faire mal au cli­mat.»

François Renou veut met­tre l’élevage de rumi­nants au cœur de son exploita­tion. ©Alexan­dre Carré/Vert

À une ving­taine de kilo­mètres plus à l’est, Louis Besnard, 24 ans, s’est instal­lé seul il y a deux ans. Il a racheté une ferme pour relancer un éle­vage de tau­ril­lon charo­lais arrêté par l’ancien pro­prié­taire sept ans plus tôt. «Tout le monde savait que le cédant allait par­tir à la retraite, donc je suis allé le voir il y a trois ans pour négoci­er le prix d’achat, racon­te-t-il. J’ai fait un plan d’étude pour savoir ce qui mar­chait dans la ferme et j’ai racheté après une tonne de paperasse».

Après quelques réno­va­tions dans les deux bâti­ments d’élevage, il a investi dans 150 tau­ril­lons charo­lais. Ces jeunes bovins mâles, non cas­trés, de 350 à 400 kilo­grammes, sont nour­ris par l’éleveur pen­dant huit mois à la ferme. Il les ali­mente avec ses 25 hectares d’ensilage de maïs — broy­at de toute la plante — pro­duits sur la ferme, en plus d’aliments achetés à base de blé. «Chaque bête prend 1,6 kilo de masse par jour, indique Louis. À terme, elles pren­nent donc env­i­ron 425 kilos de poids vif», soit le dou­ble de leur poids ini­tial. L’agriculteur les nour­rit tous les matins avant de s’occuper de ses 100 hectares de poly­cul­tures autour de sa ferme le reste de la journée.

Louis Besnard nour­rit ses tau­ril­lons tous les matins et utilise le fumi­er pour fer­tilis­er ses champs. © Alexan­dre Carré/Vert

Une question d’héritage

À pre­mière vue, peu de choses les sépar­ent. D’ailleurs, à la ques­tion : «Qu’est-ce qu’un agricul­teur pour toi ?», les deux ont répon­du «C’est quelqu’un qui nour­rit le monde et qui entre­tient la terre.»

Comme pour la majorité des fils et filles d’agriculteur·ices, tous deux ont hérité leur vision et leur méth­ode de tra­vail de leurs fig­ures parentales (voir notre arti­cle sur les lycées agri­coles). Cha­cun tra­vaille d’ailleurs avec son père. «Je suis baigné dans l’agriculture depuis que je suis né. J’ai tou­jours voulu faire ça, racon­te Louis. L’exploitation de mon père est à qua­tre kilo­mètres. Je fais exacte­ment comme lui. J’ai tou­jours con­nu ça». Père et fils s’entraident au quo­ti­di­en. L’un four­nit le matériel quand l’autre donne un coup de main sur des chantiers. Les deux pra­tiquent une agri­cul­ture con­ven­tion­nelle héritée par les grands-par­ents.

François Renou et son père, eux, sont en Gaec ou Groupe­ment agri­cole d’ex­ploita­tion en com­mun. Ils parta­gent la même exploita­tion. «Ma vision de l’agriculture a beau­coup évolué, con­fie-t-il. Même si j’ai gran­di dans la ferme, je n’y por­tais pas un grand intérêt». Au cours de ses études d’économie, il se pas­sionne pour l’écologie, fasciné par l’idée de trou­ver des solu­tions à un prob­lème qui l’angoissait : «Je suis revenu à la terre parce que je me suis aperçu que l’agriculture était une solu­tion pour les prob­lèmes envi­ron­nemen­taux actuels».

François et son père ont com­mencé la mise au pré de cer­taines vach­es. © Alexan­dre Carré/Vert

Les phytos qui divisent

C’est à ce moment que son père prend l’initiative de pass­er au bio. «Les pro­duits phy­tosan­i­taires ce n’é­tait vrai­ment pas son truc. Il trou­vait qu’il s’empoisonnait un peu à faire ça. Il trou­vait ça un peu aber­rant».

L’approche est dif­férente chez les Besnard. «Quand je suis malade, je vais chez le médecin et il me donne un Doliprane. Ma plante, quand elle est malade, je la soigne. C’est néces­saire», explique Louis. Le jeune exploitant ne voit pas l’intérêt de réduire les intrants chim­iques, si c’est pour met­tre en péril la récolte et ven­dre à moin­dre prix. «Les bio vendent au même prix que nous en ce moment. Il y a deux exploita­tions bio à côté qui vont revenir en con­ven­tion­nel», explique-t-il.

L’impact sur la san­té et sur la bio­di­ver­sité n’est pas un sujet pour lui. La mise en pause du plan Eco­phy­to a été vue d’un bon œil dans la ferme. «On entend tout et rien. On ne sait plus ce qui est vrai ou faux, déplore-t-il. Ça ne m’inquiète pas plus que ça».

Les tau­ril­lons gran­dis­sent dans trois bâti­ments fer­més, entretenus par Louis. ©Alexan­dre Carré/Vert

Des avenirs ambitieux

Les per­spec­tives dif­fèrent aus­si entre les deux. Louis veut faire «ce qui marche» et «s’agrandir si pos­si­ble», quand François a une idée plus pré­cise. «Une agri­cul­ture épanouie va jusqu’à la trans­for­ma­tion et la vente de ses pro­duits», rêve l’agriculteur bien­tôt en bio. La fab­ri­ca­tion de pain sur l’exploitation serait la pre­mière étape pour lui, avant d’accueillir, pourquoi pas, une brasserie et une fro­magerie.

«Je veux pro­duire pour ceux qui ont à cœur de bien manger et qui ont com­pris l’importance de la nour­ri­t­ure, dit le paysan de 25 ans. Ceux qui veu­lent con­som­mer des pro­duits ultra-pes­ti­cides et qui vien­nent de l’autre bout du monde, ils n’ont qu’à le faire». Une semaine après avoir ven­du sa pre­mière vache au détail à la ferme, il ne voit que des béné­fices pour tout le monde. «Je vends des pro­duits de meilleure qual­ité et moins chères pour le client et je gagne plus d’argent aus­si, sourit-il. C’est du win-win!»

Des terres encore préservées

Ques­tion dérè­gle­ment cli­ma­tique, «on a vrai­ment de la chance d’être ici», répon­dent-ils tous deux. Les ter­res et le cli­mat du nord de la Sarthe sont très sim­i­laires aux ter­res fer­tiles de la Beauce, plus au nord-est. «2023, c’é­tait une très bonne année. Tous les agris ont fait des ren­de­ments de malades, rit François. Je com­prends que cer­tains ne soient pas inqui­ets pour le cli­mat dans le coin».

En revanche, François déplore la douceur des hivers. «Nous qui sommes tou­jours dehors, on a même plus froid. Les champs et les arbres com­men­cent déjà à bour­geon­ner. Si du gel passe par là en mars, c’est foutu». De son côté, Louis a quand même vu des voisins aux champs inondés qui n’ont pas pu semer leur blé cette année.

Cette année pas loin de 40 veaux sont nés sur la ferme de François. ©Alexan­dre Carré/Vert

Tous deux se sont recon­nus dans les man­i­fes­ta­tions récentes des agricul­teurs. «Je me suis inscrit aux Jeunes Agricul­teurs pour aller sur les routes avec eux, sou­tient Louis. On a con­trôlé des camions qui trans­portaient des poulets de Pologne. C’est inad­mis­si­ble quand on sait que des poulaillers sont fer­més en France.»

L’éleveur de tau­ril­lons est con­scient de l’importance de main­tenir les échanges inter­na­tionaux pour tout un tas de raisons. Notam­ment pour s’équiper avec du matériel agri­cole, majori­taire­ment pro­duit à l’étranger. «Sur cer­tains pro­duits, il faut que les autres pays s’alignent avec nos normes. Ils achè­tent notre qual­ité pour nous ven­dre de la viande que je ne don­nerai même pas à mon chien», relate-t-il. Louis a par­ticipé aux man­i­fes­ta­tions, surtout en sou­tien pour ses col­lègues, car il est l’un des seuls pour qui la loi Égal­im fonc­tionne. «J’ai le seul con­trat qui est bien pro­tégé par cette loi, exprime-t-il. Je vends ma viande aux abat­toirs SVA qui four­nissent Mcdo. Je suis très chanceux sur ce point».

François de son côté juge l’État irre­spon­s­able : «Oppos­er l’agriculture à l’écologie, c’est com­plète­ment idiot, fustige-t-il. Le gou­verne­ment trou­ve de fauss­es solu­tions à court terme pour étouf­fer l’affaire». L’éleveur estime aus­si que l’occasion était par­faite pour que toute la pop­u­la­tion s’empare du sujet : «J’aurais aus­si voulu que les con­som­ma­teurs s’engagent un peu plus pour que la trans­for­ma­tion du sys­tème agri­cole puisse être encour­agée des deux côtés».