Reportage

Encres véganes, peaux de fruits et crèmes biologiques : ce tatoueur toulousain met l’écologie au cœur de son métier 

Tattoo gagné. Alors que plus de 500 tatoueur·ses investissent La Villette à Paris à l’occasion du mondial de tatouage ce vendredi, Vert a poussé les portes d'un salon toulousain qui tente d’adopter des pratiques plus écoresponsables, face à la surconsommation de plastique ou à l’usage de produits d’origine animale.
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Mato enfile des gants et prépare son plan de travail. Sur la petite table recouverte d’une protection, trônent ses aiguilles et cartouches, un godet à encre – aussi appelé cap –, un rasoir et sa machine soigneusement enveloppée. «Quand le client arrivera, je protégerai le siège en fonction de la partie du corps que je dois tatouer», précise-t-il, tout en posant un film alimentaire biodégradable «trouvé au supermarché en bas de chez [lui]».

Dans ce salon toulousain, le plastique issu du pétrole a disparu pour faire place à des alternatives davantage «écoresponsables» et plus facilement recyclables. Une affiche à destination des client·es indique la composition du matériel jetable employé : le bio-cellophane, utilisé pour protéger le plan de travail et les machines, est élaboré à partir de fécule de maïs – tout comme les caps à encre. Les rasoirs sont composés de paille de blé et les crèmes hydratantes sont bios et véganes.

Depuis bientôt dix ans, Thomas, alias Mato, traque les solutions disponibles pour éliminer le plastique. «Au début, j’étais obligé d’importer d’Angleterre ou des États-Unis, se remémore le Toulousain, mais de plus en plus d’entreprises françaises voient le jour et proposent des produits de qualité.»

Avant de rencontrer Mato, Guillaume n’avait pas conscience de l’impact de ses tatouages : «Personne n’en parle !» © Armelle Desmaison

En avril 2023, après plusieurs années à tatouer seul, Mato cofonde avec Claire, sa femme, la boutique «écoresponsable» La vie sauvage. Depuis, trois artistes les ont rejoints : Sad’ink, Esther Vener et Ada. «Nous leur fournissons le matériel, sauf la machine, les aiguilles et l’encre, détaille Mato. Ainsi, nous sommes sûrs qu’il n’y a pas de plastique issu du pétrole dans la boutique, mais nous ne prétendons pas être parfaits !» Yohan, alias Sad’ink, a adopté avec facilité les équipements mis à disposition par le couple. «Je n’ai pas eu à changer mes habitudes», constate ce quadragénaire pour qui «la qualité des produits est identique, à l’exception d’un ou deux cellophanes testés et abandonnés à cause de la texture.»

«Souvent, les clients n’ont pas conscience des déchets que nous engendrons, remarque Mato. Ils arrivent et tout est prêt !». Pourtant, pour un simple petit tatouage, «il nous faut minimum trois paires de gants : une pour monter le plan de travail, une pour tatouer et une pour ranger.» Si la quantité de déchets générée ne diminue pas dans cette boutique, c’est bien la nature des résidus qui change. «Nos gants sont en nitrile, ils se décomposent à 90% en deux ou trois ans, contre 99 ans pour ceux en plastique», décrit Mato.

Sur le plan de travail de Mato, le plastique a disparu. Pour chaque élément qui le compose, le tatoueur a trouvé une alternative plus respectueuse de l’environnement. © Armelle Desmaison

Après avoir discuté de son nouveau projet de tatouage, Nathan, client habitué, échange les bonnes adresses de boulangeries véganes. «Je suis Mato depuis sept ans, j’ai vu son évolution», raconte cet étudiant en histoire qui partage les convictions écologiques de son tatoueur. Il se rappelle «l’époque où Mato se servait de la vaseline. Aujourd’hui, il applique un baume qui sent bon», élaboré en France à partir de beurre de karité et d’huiles végétales issus de l’agriculture biologique. Mais les clients choisissent les artistes de La vie sauvage avant tout pour leur univers graphique – davantage que pour des raisons écologiques. «Quand on leur explique notre démarche, pour eux c’est un plus, mais ce n’est pas primordial», analyse Claire. Les tatoué·es ne sont pas pour autant sceptiques vis-à-vis des produits utilisés : «Au contraire ! Ils sont contents quand on leur dit que nos crèmes ne contiennent pas de pétrole», s’exclame Mato.

18 kilos de plastique par mois et par tatoueur

La consommation de plastique «n’est pas une priorité pour la majorité des membres du syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT), observe Karine Grenouille, secrétaire du SNAT, qui énonce en premier lieu les difficultés de la profession face à une recrudescence de pratiques clandestines». Le thème semble pourtant trouver son public. En 2022, Ghaïs Molié, fondateur de la marque Organink, grossiste pour tatoueur·ses de matériel éco-conçu à partir de maïs ou de blé, a interrogé son entourage : «Nous avons estimé à 18 kilos mensuels la quantité de plastique à usage unique jetée par chaque tatoueur». Cet artiste nantais fabrique pour son propre usage des prototypes de protections de matériel à partir de bioplastiques et une imprimante 3D. Aujourd’hui, la marque compte «à peu près 1 000 clients réguliers et double ses chiffres chaque année». Il vient d’ouvrir une usine pour répondre à la demande croissante.

«J’achetais de la couenne au boucher du coin»

Ce portrait de chat dessiné par Ada, de son prénom Aurélie, pourrait s’apparenter à une photo. Formée depuis un an à La vie sauvage, elle s’entraîne sur des peaux synthétiques avant de reproduire le dessin sur les clients. «Elles sont en plastique, ce n’est pas l’idéal», soupire-t-elle, avant d’ajouter : «au moins, je n’ai pas à tatouer des cadavres !». Les trois autres artistes se sont, eux, exercés sur des peaux d’animaux – une pratique courante dans le milieu. «J’achetais de la couenne au boucher du coin en échange d’un euro symbolique», raconte Esther Vener, qui a aussi testé les épluchures d’oranges, de bananes et de pastèques. Sad’Ink est passé par le même processus : «On s’entraîne pour le positionnement de la main sur les peaux de fruits, mais c’est la peau de porc qui a la texture qui ressemble le plus à celle des humains». Quant à Mato, aujourd’hui végétarien, il se souvient avec dégoût des oreilles de cochon ou des pieds de veau tatoués : «C’était horrible, ça puait !».

En plus des peaux pour s’initier, les encres n’ont pas toujours été véganes et free cruelty (sans cruauté). Elles contenaient des ingrédients d’origine animale comme la gélatine. Laura a commencé avec des encres véganes, une pratique qui était peu développée il y a dix ans. «À l’époque, on me disait : tu tatoues avec des carottes et des navets, s’amuse-t-elle, certains clients pensaient même que je fabriquais mes propres produits chez moi, dans mon laboratoire». Aujourd’hui, «la quasi totalité des marques disponibles sur le marché professionnel proposent, a priori, des encres véganes», note Karine Grenouille. «Je ne sais pas si ce passage au véganisme a été un effet de mode ou s’il y avait une vraie réflexion sur le bien-être animal», s’interroge de son côté Laura, qui souhaite «une vraie sensibilisation sur ce thème».

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