Reportage

Des cimetières naturels à l’«aquamation», comment mourir de façon écolo ?

Alors que l’inhumation d’un corps génère près de 800 kilogrammes de CO2 et pollue les sols, de nombreux Français·es réfléchissent à quitter ce monde différemment. Tour d’horizon de quatre alternatives à l’enterrement traditionnel.
  • Par

Les cimetières écologiques, moins chers et moins polluants

À Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), Sylvie rend vis­ite, comme chaque semaine, à son con­joint, qui repose en paix dans le pre­mier cimetière écologique d’Ile-de-France, inspiré de celui de Niort (Deux-Sèvres). Dans les allées de ce lieu de 1 560 mètres car­rés, qui compte 157 con­ces­sions, pas de stèles clas­siques : tout est biodégrad­able, du cer­cueil à l’urne. «Il voulait laiss­er une empreinte écologique faible, ça lui tenait vrai­ment à cœur», con­fie la veuve avec émo­tion.

Les cer­cueils sont com­posés de bois non traité (essences français­es ou issues de forêts fran­cili­ennes : aca­cia, chêne, châ­taig­nier), issus de matéri­aux recy­clés et biodégrad­ables. Les vête­ments portés par les défunts sont en fibres naturelles. Aucun pro­duit chim­ique pour la pré­pa­ra­tion et la con­ser­va­tion du corps n’est accep­té. Autour des tombes, fleurs et arbres ont poussé depuis plusieurs mois. Autre avan­tage, non nég­lige­able, de ce cimetière : à 294 euros pour une con­ces­sion de dix ans con­tre 376 euros en moyenne, une inhu­ma­tion écologique coûte env­i­ron 22% moins cher.

L’urne biodégradable, pour faire naître un arbre

Voilà une solu­tion orig­i­nale pour se faire enter­rer. Depuis plusieurs années, des urnes bios sont mis­es en terre dans cer­tains cimetières. Pro­duites en France, elles sont con­sti­tuées de matéri­aux 100% biodégrad­ables. Au-dessus des cen­dres, une petite cap­sule faite de terre est prête à faire ger­mer des graines pour don­ner nais­sance à un arbre à par­tir des cen­dres du défunt. Fab­riquées en terre crue, en sable ou même en sel, ces urnes per­me­t­tent de laiss­er le moins de trace pos­si­ble.

«Les gens ressen­tent de moins en moins le besoin de se recueil­lir devant une tombe, ils sont moins attachés à un lieu qu’avant, explique Franck Villeur, directeur de L’Autre rive, entre­prise de pom­pes funèbres qui vend en moyenne 30% d’urnes de ce type. Ces urnes bios se vendent très bien, les familles sont dans une recherche d’authenticité et de sim­plic­ité. Elles ont aus­si une fibre écologique indé­ni­able. De plus, elles ne veu­lent plus met­tre des mil­liers d’euros dans un cer­cueil». Mais tout est ques­tion de change­ment de men­tal­ités : «c’est une très belle avancée, mais la France demeure con­ser­va­trice. Nous sommes loin du mod­èle cal­i­fornien, où la plu­part des enter­re­ments sont éco­los», con­clut-il.

L’aquamation, dissout dans la machine

Autorisée en Aus­tralie, aux États-Unis et bien­tôt en Bel­gique, cette tech­nique n’est pas encore légale en France. L’aquamation con­siste à plonger le corps du ou de la défunte dans une eau bouil­lante (pou­vait aller jusqu’à 180 degrés), avec une solu­tion alca­line. Mise sous pres­sion, celle-ci va dis­soudre les pro­téines du corps, la graisse et le sang pour ne laiss­er que de l’eau. Cette tech­nique, vieille comme le monde, ser­vait à dis­soudre les corps d’animaux au Moyen-Âge. Ce procédé utilise dix fois moins d’énergie qu’une cré­ma­tion clas­sique.

«Cette solu­tion va détru­ire tous les tis­sus et il ne restera que les os. Bien que l’aquamation soit recon­nue comme très peu pol­lu­ante et respectueuse de notre terre, la lég­is­la­tion française ne l’autorise pas encore», déplore Michel Kawnik, prési­dent de l’Association française d’information funéraire (Afif). L’un des freins à l’autorisation de l’aquamation en France est la pres­sion des lob­bies funéraires, désireux de con­tin­uer à ven­dre des cen­taines de mil­liers de cer­cueils dans l’Hexagone.

«Ces grands groupes funéraires sont très con­ser­va­teurs. Ils font tout pour aug­menter le coût des obsèques depuis 30 ans, tonne Michel Kawnik. Ils font pres­sion pour que l’aquamation ne soit pas autorisée. Il faut rap­pel­er que le coût des obsèques pour une famille française est la troisième dépense après l’habitat et l’achat d’une voiture.»

L’humusation, pour (re)devenir compost

Cette alter­na­tive écologique à l’enterrement clas­sique est un proces­sus naturel, qui se déroule sur 12 mois et qui vise à trans­former un corps en com­post. Revê­tu d’un linceul biodégrad­able, le corps du ou de la défunt·e repose dans un cer­cueil, dont la base est une civière en inox réfrigérante, afin de ne pas recourir à des sub­stances tox­iques pour les sols. Avec cette tech­nique, la dépouille du corps peut se trans­former pro­gres­sive­ment en humus. Cette pra­tique est pour le moment inter­dite en France.

«L’humusation per­me­t­trait de réduire con­sid­érable­ment la pol­lu­tion. Les pro­duits injec­tés pour la con­ser­va­tion des corps avant l’inhumation sont très tox­iques, explique Michel Kawnik. Pour chaque corps, on injecte à peu près six litres de for­mol, pour que les défunts soient présenta­bles aux familles. Ce for­mol va ensuite pol­luer les nappes phréa­tiques. Ces injec­tions ne sont pas oblig­a­toires, mais les entre­pris­es funéraires les pro­posent encore aux familles. L’humusation, plaide-t-il, n’a aucun recours aux pro­duits chim­iques, il faudrait que cette tech­nique soit enfin légale en France

Un arti­cle de Paul Boy­er.