Reportage

Dans les Causses du Quercy, les habitants se mobilisent contre TotalEnergies, qui veut raser la forêt pour installer des panneaux solaires

Solaire de rien. Le géant de l’énergie prévoit de couper quelque 7 000 arbres anciens sur 19 hectares pour installer des panneaux photovoltaïques en plein parc naturel régional du Quercy. Les opposant·es dénoncent un «écocide» au profit des «marchands de soleil». Reportage.
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«Total assas­sin !», «les Causs­es ne sont pas à ven­dre», scan­dent deux hommes au milieu de la foule, ce ven­dre­di 30 août, au pied de la cathé­drale de Cahors. Plus de 150 per­son­nes sont venues man­i­fester devant la pré­fec­ture du Lot, con­tre le pro­jet agri­v­oltaïque (des pan­neaux solaires sur des ter­res agri­coles) de Total­En­er­gies sur la com­mune de Tour-de-Fau­re, à 27 kilo­mètres de là.

Cette bour­gade de 330 habitant·es est située en con­tre­bas de Saint-Cirq-Lapopie, label­lisé «Plus beau vil­lage de France» en plein cœur du Parc naturel région­al (PNR) des Causs­es du Quer­cy, lui-même classé à l’Unesco pour sa richesse géologique. La multi­na­tionale compte ain­si ras­er 19 hectares de bois et pelous­es sèch­es – l’équivalent de 26 ter­rains de foot – et sac­ri­fi­er 7 000 arbres anciens. Les 44 000 «ombrières solaires» seront placées en hau­teur, afin que des bre­bis puis­sent entretenir le parc.

Vue aéri­enne du futur site solaire bap­tisé «Le Cartey­rou». © Total Quad­ran

«L’éleveur exploit­era la sur­face clô­turée en y faisant pâtur­er ses mou­tons», indique par mail Elodie Billerey, respon­s­able com­mu­ni­ca­tion de Total­En­er­gies, qui ne pré­cise pas le mon­tant perçu par cet agricul­teur. Selon elle, «ce parc d’une puis­sance instal­lée de 18MW con­tribue à la tran­si­tion énergé­tique de la France». Les pan­neaux solaires seront reliés à la cen­trale élec­trique de Cajarc, à 18 kilo­mètres, via une dor­sale de rac­corde­ment.

Fondée il y a plus d’un an en oppo­si­tion à ce pro­jet et forte de plus de 350 adhérent·es, l’Association Envi­ron­nement Lot Célé (AELC) dénonce les inten­tions de ces «marchands de soleil». «Nous lut­tons con­tre ces usines solaires et pour que le Causse con­serve sa voca­tion, au prof­it des activ­ités rurales et d’un tourisme respon­s­able», pré­cisent les représentant·es de cette asso­ci­a­tion locale, qui fusti­gent un «désas­tre» pour la bio­di­ver­sité. L’oiseau œdic­nème cri­ard, la grenouille verte ou encore le ser­pent coro­nelle giron­dine, représen­tés sur des car­tons bran­dis lors de la man­i­fes­ta­tion du 30 août, sont ain­si directe­ment men­acés par la coupe des arbres.

Cyrille, autrice près de Tour-de-Fau­re, est venue man­i­fester à Cahors pour pro­téger la forêt. © Emma Conquet/Vert

Des élus mobilisés

«On tient à défendre la qual­ité de nos ter­ri­toires et de nos exploita­tions agri­coles, on ne va pas ven­dre nos ter­res pour faire des watts !», déplore Alain Gouget, maire du vil­lage de Saint-Chels, micro en main et écharpe tri­col­ore en ban­doulière. Le géant pétroli­er a déposé son dossier en Pré­fec­ture en s’appuyant sur un doc­u­ment d’urbanisme, mais au détri­ment de l’avis con­sul­tatif défa­vor­able du PNR des Causs­es du Quer­cy, du Départe­ment du Lot, ain­si que de plusieurs com­munes voisines.

«Ce parc pho­to­voltaïque ne servi­ra pas le ter­ri­toire, c’est une manne finan­cière, qui ne servi­ra les intérêts que d’une minorité», selon Cather­ine Mar­las, prési­dente du PNR et con­seil­lère départe­men­tale, qui rap­pelle que l’énergie la plus pro­pre «est celle qui n’est pas con­som­mée». Mal­gré les réti­cences des pou­voirs publics locaux, la mairie de Tour-de-Fau­re, ain­si que la Préfète du Lot, main­ti­en­nent le pro­jet.

Plusieurs élus locaux ont tenu à apporter leur sou­tien à la lutte con­tre ce pro­jet devant les grilles de la Pré­fec­ture du Lot. © Emma Conquet/Vert

Actuelle­ment, une dizaine de pro­jets agri­v­oltaïques sont en cours dans le départe­ment. Une sit­u­a­tion qui, selon l’élue, pour­rait faire grimper le prix du fonci­er agri­cole : «Dans cer­taines zones, le prix de vente de l’hectare passe de 1 000 à 6 000 euros, affirme-t-elle à Vert. Des agricul­teurs en fin de car­rière se posent la ques­tion de leurs revenus à la retraite et pour­raient trou­ver un com­plé­ment économique en louant ou en ven­dant leurs ter­res à des pro­mo­teurs. Mais nap­per le ter­ri­toire d’ombrières ne va pas résoudre le prob­lème de la crise agri­cole ! Ça ne va béné­fici­er qu’à quelques-uns, prévient encore Cather­ine Mar­las. Pro­téger l’é­conomie liée au tourisme, c’est aus­si très impor­tant».

«Les touristes vien­nent dans le Quer­cy pour ses espaces naturels préservés. Ils ne vien­nent pas pour se promen­er dans une zone indus­trielle, explique Antoine Dri­on, pro­prié­taire d’un gîte à prox­im­ité du futur site solaire et mem­bre de l’AELC. Le développe­ment de parcs pho­to­voltaïques dans le Quer­cy aura un impact indé­ni­able sur l’économie du tourisme et par ric­o­chet sur les autres secteurs de l’économie locale comme le bâti­ment ou les com­merces.»

Contre Total, ici et ailleurs

Sur la place pavée, des sym­pa­thisants de l’Association Envi­ron­nement Lot Célé vendent des tee-shirts flo­qués du slo­gan «Sur les toits, pas dans les bois». Nadine, insti­tutrice à la retraite, a fait le déplace­ment pour «empêch­er la destruc­tion du pat­ri­moine naturel» et par sol­i­dar­ité envers les autres pays men­acés par Total­En­er­gies, au-delà des fron­tières du Quer­cy. «C’est intolérable qu’une multi­na­tionale qui fait de l’extractivisme en Ougan­da et en Tan­zanie (notre arti­cle) puisse faire du renou­ve­lable dans le Lot. Elle maquille son éco­cide en développe­ment durable, c’est de la supercherie». Pour cette habi­tante de Cahors, «si l’État ne veut pas servir l’intérêt général, c’est aux citoyens de se mobilis­er».

«La pro­duc­tion pho­to­voltaïque, pourquoi pas, mais pas à la place de la pho­to­syn­thèse que pro­duisent les arbres», sig­nale Guil­laume, qui a prof­ité des achats de four­ni­tures sco­laires en ville pour rejoin­dre le cortège avec ses deux enfants et ses amis.

Léonard, Anna, Moni­ka, Tom et Guil­laume (de gauche à droite), sont venus man­i­fester en famille et entre amis. © Emma Conquet/Vert

«C’est du greenwashing»

«Dans la con­cep­tion du pro­jet, nous appliquons la séquence “Éviter, Réduire et Com­penser”. Celle-ci per­met d’éviter les atteintes à l’environnement, de réduire celles qui sont inélucta­bles et de com­penser les con­séquences nota­bles qui n’ont pu être évitées ou réduites», assure la représen­tante de Total. Un argu­ment qui ne passe pas auprès de Cyrille, pro­tégée du soleil par un foulard dans les cheveux : «C’est du green­wash­ing ! Je suis absol­u­ment con­tre cette folie», insiste cette Quer­cynoise

«Aujourd’hui, on a besoin de paix sociale et ces pro­jets génèrent des ten­sions énormes, entre élus et entre com­munes», insiste la con­seil­lère départe­men­tale Cather­ine Mar­las. Pour elle, pas ques­tion de «baiss­er les bras».

Même dis­cours chez les autres élus, qui assurent devant la Pré­fec­ture que «la suite sera poli­tique» en cas de mise en œuvre du pro­jet. Jean-Luc Gaf­fard, vice-prési­dent de l’AELC, se veut ras­sur­ant : «Tant qu’il y aura un recours, aucune pel­leteuse ne pour­ra entr­er sur le site».

L’association tente en effet de repouss­er le début des travaux grâce à des actions en jus­tice. «On est en appel sur le per­mis de défriche­ment, dont le délibéré devrait avoir lieu en octo­bre», indique-t-il à Vert. Déter­minée à enter­rer le pro­jet, l’association organ­ise une nou­velle man­i­fes­ta­tion le 19 sep­tem­bre prochain dans la com­mune de Cajarc.