Reportage

Dans le Quercy blanc, des terres agricoles menacées par des projets d’agrivoltaïsme

À l’heure de la transition énergétique, de plus en plus d'agriculteur·rices acceptent d’équiper leurs champs de panneaux photovoltaïques contre un complément de revenu. Dans le Quercy blanc, associations et collectifs d’habitants craignent le détournement de près de 400 hectares de terres nourricières au profit de l'électricité.
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La route est raide pour attein­dre Bouloc-en-Quer­cy. Du haut de ce vil­lage de 200 âmes, appa­rais­sent les champs clairs et les cal­caires qui définis­sent le Quer­cy blanc, région lim­itro­phe du Lot, du Tarn-et-Garonne et du Lot-et-Garonne. L’avenir de ce paysage rur­al est juste­ment à l’ordre du jour dans la salle des fêtes, où s’en­tassent une cen­taine de per­son­nes en ce same­di ensoleil­lé du mois de mars.

Cette réu­nion d’information, organ­isée par un col­lec­tif d’habitant·es des envi­rons, porte sur les trois nou­veaux pro­jets pho­to­voltaïques à Montcuq, dans le Lot. Ceux-ci s’ajoutent aux 17 autres en cours dans la zone frontal­ière, égale­ment à cheval sur le Lot-et-Garonne. En tout, 398 hectares de ter­res agri­coles sont con­voités par les pro­mo­teurs. « C’est l’équivalent de 598 ter­rains de rug­by », cal­cule Tim Abady, prési­dent de l’association lotoise Envi­ron­nement juste, en pro­je­tant sur le mur une carte du ter­ri­toire avec des zones hachurées en rouge. « Ce sera bien­tôt une prom­e­nade élec­trisante », sourit ce Quer­cynois d’origine bri­tan­nique, pas peu fier de son jeu de mots. Comme la majorité des per­son­nes dans la pièce, il est fer­me­ment opposé au développe­ment de l’agrivoltaïsme. 

Lors du débat de l’en­tre-deux-tours, mer­cre­di 20 avril, le prési­dent-can­di­dat Macron a évo­qué sa volon­té de dévelop­per cette pra­tique, qui con­siste à inclin­er des pan­neaux solaires posés entre 1,5 et 3 mètres au-dessus des ter­res, tout en main­tenant une activ­ité agri­cole en dessous. « C’est don­nant-don­nant », estime auprès de Vert Vin­cent Bor­to­la­to-Robin, busi­ness devel­op­er et respon­s­able de la com­mu­ni­ca­tion de Pho­to­sol, le pro­mo­teur du pro­jet montcuquois de 66 hectares.

Sur cette cen­trale, la pro­duc­tion est estimée à 64 gigawattheures par an. Cela cor­re­spond à la con­som­ma­tion élec­trique d’environ 14 000 maisons. À l’échelle nationale, la pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’én­ergie (PPE) a fixé l’ob­jec­tif de capac­ité de pro­duc­tion solaire à 44 gigawatts d’i­ci à 2028. Selon le Monde, la fil­ière pho­to­voltaïque doit installer des pan­neaux sur 44 000 hectares pour y par­venir — un tiers de l’ob­jec­tif est atteint. Le pro­mo­teur de Pho­to­sol ajoute : « L’entreprise a une vraie con­cep­tion du renou­ve­lable en parte­nar­i­at avec les agricul­teurs ».

Mais les opposant·es y voient au con­traire un détourne­ment des sols arables. « Ces ter­res, on en a besoin pour manger ! », clame Sophie Poux, en lev­ant une pan­car­te numérotée pour deman­der la parole. Cette pro­duc­trice de fro­mages de vache bio n’y voit que des « fumis­ter­ies » organ­isées par une entre­prise décon­nec­tée des réal­ités locales. Des pan­neaux pho­to­voltaïques, elle en a sur son toit, mais elle n’en conçoit pas dans ses prairies. 

À Lacour, Sophie Poux craint que l’a­gri­v­oltaïsme ne trans­forme le mode de vie paysan qu’elle a trans­mis à son fils. © Emma Con­quet pour Vert

« Les gros voudront s’accaparer les terres »

Les « paysans », dénom­més « agricul­teurs » au milieu du 20e siè­cle, peu­vent désor­mais devenir « agri­v­oltaïstes ». Une utopie qui sonne faux pour Blaise Decar­pen­tries :  « Ce n’est qu’un pro­jet indus­triel repeint en vert. Ici, l’écologie est cos­mé­tique. » Micro à la main, face à l’assemblée, le mod­éra­teur du débat évoque même une forme de « coloni­sa­tion des ter­ri­toires ruraux par des tech­nocrates ». La semaine passée, cet élec­tricien et mil­i­tant écol­o­giste man­i­fes­tait con­tre le nucléaire devant la cen­trale de Golfech (Tarn-et-Garonne). Mais il dés­ap­prou­ve le développe­ment des éner­gies renou­ve­lables si celles-ci se font au détri­ment de la pro­duc­tion ali­men­taire.

 Cer­taines ter­res con­voitées sont par­ti­c­ulière­ment fer­tiles pour du maraîchage. © Emma Con­quet pour Vert

Sur ce causse argi­lo-cal­caire boudé par les légumes, ce sont surtout des céréales qui poussent. Mais plus ques­tion d’y semer du blé ou de l’orge, les machines ne pour­ront plus pass­er entre les rangées de pan­neaux. Der­rière son « agri­v­oltaïsme », Pho­to­sol impose en réal­ité l’élevage d’ovins. À Montcuq, les mou­tons ne pro­duiront pas de viande ou de lait, ils servi­ront à pâtur­er pour entretenir le parc pho­to­voltaïque. Les pro­prié­taires toucheront la rente de leurs ter­res, avec une indem­nité sup­plé­men­taire pour celui ou celle qui élèvera le trou­peau. « On leur injecte arti­fi­cielle­ment de l’argent pour que cette activ­ité agri­cole existe, ce n’est pas souten­able », avance Blaise Decar­pen­tries. Il fustige « le sur­saut écologique » de cer­tains élus et cul­ti­va­teurs dans une zone dom­inée par l’agriculture pro­duc­tiviste.  

Plutôt que d’aider « les paysans dans le besoin », comme l’avancent ses défenseurs, l’agrivoltaïsme ren­forcerait les iné­gal­ités et aggrav­erait les excès du sys­tème agri­cole pro­duc­tiviste. « L’éleveur va touch­er une prime de la PAC [Poli­tique agri­cole com­mune] à l’hectare et va en plus être indem­nisé par Pho­to­sol », explique Chris­t­ian Rossi, secré­taire général de la Con­fédéra­tion paysanne du Lot, un syn­di­cat opposé au mod­èle indus­triel. « Tant qu’on aura cette poli­tique, les gros voudront encore plus s’agrandir et s’accaparer les ter­res. »

À Lacour, le vil­lage voisin, Gilles Nougarede s’est vu pro­pos­er 3 000 euros par hectare et par an pour louer ses champs. Une somme « faramineuse » pour ce céréalier, dont l’activité ne rap­porte que 200 euros, même super­fi­cie et même péri­ode. Bien plus rentable, la loca­tion des ter­res incit­erait les pro­prié­taires à met­tre un terme à leur labeur. « C’est impens­able. À ce compte, on loue nos champs et on s’en va sous les cocotiers », iro­nise-t-il. Son « âme paysanne » a finale­ment poussé le presque retraité à déclin­er. D’autant qu’il con­naît des jeunes prêt·es à repren­dre des ter­res. 

À Lacour, les champs de pan­neaux rem­placeront peut-être les prés à vach­es. © Emma Con­quet pour Vert

Vers un modèle coopératif

L’an dernier, son ami Julien Pagano, 35 ans, s’est posi­tion­né pour racheter une trentaine d’hectares lais­sés en friche à la suite du décès du paysan. Hélas, le prix de l’hectare est passé de 4 000 à 6 500 euros. « Com­ment voulez-vous qu’on rivalise avec leurs tar­ifs ? », ques­tionne l’éleveur bovin, qui loue des champs pour le moment. Les entre­pris­es de pan­neaux solaires font grimper le prix d’un fonci­er agri­cole qui se raré­fie dans la région.

Actuelle­ment, l’Association pour le développe­ment de l’emploi agri­cole et rur­al (Adear), accom­pa­gne 120 paysan·nes lotois·es en attente de ter­res pour com­mencer leur activ­ité. « Avec 400 hectares, on peut installer plus d’une trentaine de pro­duc­teurs », avance le représen­tant de la Con­fédéra­tion paysanne. Il voit égale­ment la col­lab­o­ra­tion avec un éleveur comme un ali­bi pour con­tourn­er les règles d’urbanisme. Celles-ci inter­dis­ent la pose de pan­neaux sur des sols fer­tiles, sauf si le pro­jet con­tient une com­posante agri­cole. Il doit aus­si être com­pat­i­ble avec la régle­men­ta­tion du plan local d’urbanisme (PLU), or, beau­coup de vil­lages isolés du Quer­cy blanc n’en pos­sè­dent pas. 

Ces opposant·es insis­tent : elles et ils ne sont pas con­tre le renou­ve­lable, au con­traire ! Pour Tim Abady, c’est avant tout un prob­lème de dimen­sion : « Il y a des sché­mas de petite taille où l’on peut faire un mariage qui tient la route. Mais les nôtres sont 100 % indus­triels ». Envi­ron­nement juste peut aujourd’hui compter sur le sou­tien de Johann Vacan­dare, adjoint munic­i­pal (EELV) chargé de la tran­si­tion écologique à Cahors (Lot) et ani­ma­teur du réseau Éner­gies citoyennes locales et renou­ve­lables (ECLR) Occ­i­tanie. Pour lui, il faut prof­iter de ce débat pour accom­pa­g­n­er ce ter­ri­toire vers l’agroécologie, mais il dés­ap­prou­ve la créa­tion d’un parc pho­to­voltaïque dans ces con­di­tions. « Il faut repenser la gou­ver­nance, réalis­er des pro­grammes à taille humaine, en con­cer­ta­tion avec les habi­tants et les col­lec­tiv­ités », estime le prési­dent de l’association nationale Éner­gies partagées. En 2016, il a cofondé Céléwatt, une coopéra­tive locale d’in­térêt col­lec­tif, à but non lucratif, qui crée égale­ment des parcs solaires, sans voca­tion à la cap­i­tal­i­sa­tion ou au prof­it. Un mod­èle plus vertueux qui pour­rait éviter de tomber dans cer­tains tra­vers du busi­ness « vert ».