Reportage

Dans le Médoc, le député RN Grégoire de Fournas vendange les difficultés sociales

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Les raisons de la colère. Dans la 5ème cir­con­scrip­tion de la Gironde, le député vitic­ul­teur du RN Gré­goire de Four­nas pour­rait être réélu par des habitant·es désabusé·es, pour qui l’écologie est devenu un gros mot. Reportage dans ce ter­ri­toire délais­sé.

Sur son stand du marché de Saint-Vivien-de-Médoc (Gironde), à quelques jours du deux­ième tour des lég­isla­tives anticipées, Nathalie assume de vot­er pour l’extrême droite depuis plusieurs scruti­ns. Née dans une famille d’origine espag­nole et polon­aise, cette maraîchère bio d’une soix­an­taine d’années se défend d’être raciste. «On ne peut juste plus accueil­lir tout le monde, on n’a déjà plus d’hôpitaux, plus d’écoles», souf­fle-t-elle. Dans la liste de ses décep­tions se trou­vent aus­si l’Europe, ou encore ces écol­o­gistes, aux­quels elle reproche un amour irraison­né pour les voitures élec­triques.

La ferme de Nathalie se trou­ve à Saint-Germain‑d’Esteuil, une com­mune qui accueille aus­si la pro­priété viti­cole de la famille de Gré­goire de Four­nas, député sor­tant du Rassem­ble­ment nation­al (RN).

Alors que l’élu d’extrême droite a réu­ni 42% des voix au pre­mier tour, le 30 juin dans la cinquième cir­con­scrip­tion de la Gironde, il réalise ici l’un de ses meilleurs scores : 67%. À Saint-Vivien-de-Médoc, il a aus­si séduit 52% des électeur·rices, et même 53% à Pauil­lac, où se trou­ve sa per­ma­nence. Ce dimanche 7 juil­let, pour le sec­ond tour des lég­isla­tives, le can­di­dat RN affron­tera la social­iste du Nou­veau Front pop­u­laire Pas­cale Got qui a obtenu 31,79% le 30 juin dernier.

«On a tout essayé, rien n’a marché, alors pourquoi pas eux ?», philosophe un Fran­co-Por­tu­gais, attablé au PMU situé en face du bureau du député. À côté de lui, un ouvri­er venu du Maroc pour tra­vailler dans les vignes con­tin­ue de grat­ter des jeux de hasard en silence.

Gré­goire de Four­nas en juil­let 2023. © Xose Bouzas / Hans Lucas / AFP

Pas d’immigrés, mais beaucoup de difficultés

L’immigration et la sécu­rité sont les prin­ci­paux sujets avancés par les électeurs médo­cains du Rassem­ble­ment nation­al. Pour­tant, avec 7,6% de résident·es nées à l’étranger selon l’Insee, la Gironde reste sous la moyenne nationale (10,3%), très loin de la Seine-Saint-Denis (31%). À Saint-Vivien-de-Médoc, le maire ne recense qu’une seule famille bina­tionale sur les 1 800 habitant·es de la com­mune. Les pires crimes, raille-t-il, ne sont d’ailleurs pas com­mis par des étrangers, mais par «les gamins du coin», qui volent par­fois de la nour­ri­t­ure avant les événe­ments du club de sport.

Comme l’expliquent les écon­o­mistes Julia Cagé et Thomas Piket­ty dans leur livre Une his­toire du con­flit poli­tique (Seuil, 2023), le véri­ta­ble ter­reau du vote d’extrême droite se trou­verait plutôt, comme ailleurs en France, dans l’isolement «géo-économique» du Médoc. Trans­ports en com­mun peu dévelop­pés, hôpi­taux raré­fiés, chô­mage plus élevé que dans le reste du départe­ment : à en croire le Con­seil départe­men­tal, le Médoc cumule la plu­part des fac­teurs aggra­vant le sen­ti­ment de déclasse­ment face aux élites urbaines.

Ici, la richesse des domaines viti­coles les plus pres­tigieux de France, les châteaux Latour et autres Mar­gaux situés sur les mêmes com­munes, ne ruis­selle pas. Les grandes familles qui pos­sè­dent ces pro­priétés, comme les Pin­ault, les Bouygues, ou les Roth­schild – sans par­ler des investis­seurs améri­cains ou chi­nois – vivent rarement sur place. «Même la plu­part des ingénieurs et des cadres qui tra­vail­lent dans les exploita­tions viti­coles du Médoc habitent à Bor­deaux, et font les aller-retour», déplore un vitic­ul­teur local. Ne restent dans les vil­lages que les salarié·es, et surtout les tra­vailleurs saison­niers étrangers qui occu­pent des postes dont les habi­tants ne veu­lent plus. «Sans les Roumains, les Por­tuguais ou les Maro­cains, il n’y aurait pas de vin de Bor­deaux», assure une vitic­ul­trice bio.

Un député en croisade contre «l’écologie punitive»

Ses électeur·rices ne prê­tent pas atten­tion au passé de Gré­goire de Four­nas, ni à ses écarts. Ex-secré­taire adjoint du mou­ve­ment activiste d’extrême droite Bloc iden­ti­taire au début des années 2010, le député a aus­si écopé de l’une des sanc­tions les plus lour­des de l’Assemblée en 2022 : il avait crié «qu’il retourne en Afrique !» durant une inter­ven­tion du député insoumis d’origine con­go­laise Car­los Martens Bilon­go. Une sail­lie qui, se défend-il, ne s’adressait pas au par­lemen­taire, mais au bateau Ocean Viking. «Je n’ai rien à me reprocher», main­tient le vitic­ul­teur inter­rogé par Vert dans sa per­ma­nence de Pauil­lac.

Der­rière lui, la bib­lio­thèque alig­nant les livres de Jean-Marie Le Pen, Eric Zem­mour, et Mali­ka Sorel mon­trent que les con­vic­tions d’extrême droite restent solide­ment ancrées. Mais alors que le nom de Gré­goire de Four­nas avait été évo­qué un temps pour devenir porte-parole de Jor­dan Bardel­la, l’élu s’est fait dis­cret dans l’hémicyle et sur les réseaux soci­aux après les sanc­tions, lim­i­tant les déc­la­ra­tions choc pour devenir plus respectable.

Par­ti­c­ulière­ment act­if à l’Assemblée en matière d’amendements, notam­ment dans le domaine de l’agriculture, le député médo­cain a même réus­si à obtenir une nom­i­na­tion comme rap­por­teur d’une com­mis­sion d’enquête sur la sou­veraineté agri­cole. Lui qui avait voté en novem­bre 2023 la propo­si­tion de loi des Insoumis instau­rant des prix planch­ers dans le secteur agri­cole souhait­erait par exem­ple, en cas de vic­toire le 7 juil­let, amélior­er le revenu des pro­duc­teurs en prenant mieux en compte leurs coûts de pro­duc­tion.

Con­tre l’«écologie puni­tive» et l’Europe «décrois­sante» qu’il fustige, un éventuel deux­ième man­dat lui per­me­t­trait aus­si d’assouplir les règles en matière de pes­ti­cides. En plus de sup­primer le plan Eco­phy­to, déjà mori­bond, Gré­goire de Four­nas aimerait don­ner au gou­verne­ment la déci­sion finale en matière d’autorisations de mise sur le marché des pes­ti­cides. Autrement dit : lorsque l’agence san­i­taire recom­mande d’interdire un pro­duit au nom de notre san­té et de l’environnement, les min­istres pour­raient mal­gré tout priv­ilégi­er les intérêts économiques des pro­duc­teurs.

Les fonctionnaires inquiets

«Les gens ne font pas le rap­proche­ment entre le RN et les pes­ti­cides», regrette Marie-Lys Bibeyran, ex-prési­dente du col­lec­tif Info Médoc pes­ti­cides. Parkin­son, can­cer de la prostate, lym­phome : comme le con­fir­ment les chiffres du Fonds d’indemnisation des vic­times des pes­ti­cides (FIVP), la viti­cul­ture représente l’un des secteurs les plus touchés par les mal­adies pro­fes­sion­nelles liées aux phy­tosan­i­taires en France. En tout, 94 salarié·es ou pro­prié­taires d’exploitations viti­coles ont été indemnisé·es en 2022 au titre d’une expo­si­tion à ces pro­duits tox­iques, dont 26 dans le seul départe­ment de la Gironde.

Comme sou­vent, ce prob­lème est peu évo­qué dans la cam­pagne. Le monde du vin évite d’ailleurs l’ensemble des sujets désagréables — élec­tions européennes, lég­isla­tives, ou la crise viti­cole en cours. Dans la cam­pagne médo­caine, entre la chute des expor­ta­tions et le désamour des jeunes pour le vin, la pro­duc­tion ne s’écoule plus et les pro­prié­taires sont nom­breux à met­tre la clé sous la porte. «La mon­tée de l’extrême droite n’a pas grand-chose à voir avec la crise, mais ils s’en ser­vent», rap­porte une vitic­ul­trice.

En revanche, des fonc­tion­naires n’hésitent pas à con­fi­er leur inquié­tude face à la per­spec­tive du renou­velle­ment du man­dat de Gré­goire de Four­nas. Début juin, dans le cadre de sa com­mis­sion d’enquête, le député et vitic­ul­teur a con­vo­qué le Lierre, asso­ci­a­tion qui réu­nit de nom­breux fonc­tion­naires et autres agents publics engagés pour la défense de l’environnement.

Comme le mon­trent les vidéos disponibles sur le site de l’Assemblée, les débats ont surtout été l’occasion de ques­tion­ner la légitim­ité et la légal­ité de l’organisation. Gré­goire de Four­nas assure qu’il n’y aura pas de «chas­se aux sor­cières» si son par­ti accède au pou­voir. Mais il s’en émeut encore : le Lierre n’aurait pas dû définir son par­ti comme cli­matoscep­tique à la veille des élec­tions européennes.

Le député a pour­tant déposé un amende­ment mon­trant son sou­tien aux hydro­car­bu­res dans le pro­jet de loi de finance pour 2024. Même le prin­ci­pal syn­di­cat agri­cole, la FNSEA, avait accep­té fin 2023 et après des dis­cus­sions avec Bruno Le Maire, un rehausse­ment pro­gres­sif et lim­ité de la taxe sur le gazole non agri­cole (GNR). Pour ce car­bu­rant util­isé dans les tracteurs, les agricul­teurs sont aujourd’hui exonérés de la plus grande par­tie de la taxe énergé­tique, un cadeau fis­cal estimé à 1,6 mil­liard d’euros, et iden­ti­fié comme la dépense la plus défa­vor­able à l’environnement du min­istère de l’Agriculture. Gré­goire de Four­nas, loin d’encourager la tran­si­tion énergé­tique des fer­mes, pro­po­sait à l’inverse de main­tenir l’aide en l’état.

Au PMU de Pauil­lac, ces débats parais­sent si loin­tains, que le pro­prié­taire du bar comme ses amis con­tin­u­ent de penser que la réélec­tion de Gré­goire de Four­nas à la place de sa con­cur­rente social­iste Pas­cale Got «ne chang­era rien au quo­ti­di­en».