Reportage

«C’est maintenant qu’on s’aperçoit que l’eau est précieuse» : dans les villages des Pyrénées-Orientales, la vie sans la pluie

Sec un début ? Depuis le printemps 2022, les 99 habitant·es de Planèzes, village des Pyrénées-Orientales, n’ont quasiment pas vu la pluie. À tel point que leur puits historique doit être ravitaillé en eau par camion depuis plus d’un an. Reportage dans cette commune, reflet d’un département en surchauffe où l’on apprend à vivre dans un monde à sec.
  • Par

En cet après-midi de juil­let, ce beau vil­lage aux couleurs ocres typ­iques de la région, entouré de champs de vignes, a des airs de scène post-apoc­a­lyp­tique. Pas un chat ne se promène sur le bitume brûlant des petites ruelles de Planèzes. «C’est main­tenant qu’on se rend compte que l’eau est pré­cieuse», lance Sid­ney Huil­let, retraité et maire de la com­mune depuis 2001. Reclus au frais dans sa mai­son au cœur du vil­lage, l’homme de 72 ans a l’habitude de recevoir des jour­nal­istes. «Planèzes est l’un des pre­miers vil­lages français à être touché par un tel niveau de sécher­esse. On est mon­di­ale­ment con­nu», sourit-il.

Depuis juin 2023, la com­mune a recours à un rav­i­taille­ment heb­do­madaire en eau, car le puits his­torique n’en offre plus assez pour assur­er la con­som­ma­tion quo­ti­di­enne de la cen­taine d’habitant·es. «On reçoit env­i­ron 30 mètres cube d’eau par semaine qui vien­nent de Saint-Paul-de-Fenouil­let, à 20 kilo­mètres, explique le maire. Cela fait env­i­ron 40 000 mètres cube à l’année, en sachant que chaque recharge­ment coûte env­i­ron 600€.»

Sid­ney Huil­let, maire de la com­mune de Planèzes où l’eau du robi­net vient d’un vil­lage à 30 kilo­mètres au sud © Alexan­dre Carré/Vert

Pour les Planesols et les Planesoles, ce coût ne s’est pour l’instant pas fait ressen­tir sur la fac­ture d’eau. La com­mu­nauté de com­munes d’Agly-Fenouillèdes, chargée de l’approvisionnement en eau du vil­lage, réflé­chit cepen­dant à instau­r­er de nou­veaux tar­ifs pour répar­er la fuite finan­cière qu’engendre la sécher­esse. «Une option serait de définir un seuil de con­som­ma­tion max­i­mum à un prix nor­mal qui, s’il est dépassé, passe à un prix plus élevé», décrit Sid­ney Huil­let. De quoi faire pay­er plus aux gens qui rem­plis­sent leur piscine ou ne respectent pas les restric­tions d’eau. «Actuelle­ment, que l’on con­somme un ou dix mètres cube, c’est le même prix, fustige-t-il. Le con­som­ma­teur paye env­i­ron un euro par mètre cube lorsque cela coûte dix euros à la com­mune.»

Des petits gestes devenus réflexes

Nan­cy Huil­let, la sœur du maire, habite sur les hau­teurs du vil­lage depuis 1981. Comme les autres habitant·es de Planèzes, elle a l’habitude des fortes tem­péra­tures et de la sécher­esse. Mais c’est la pre­mière fois qu’elle con­nait une telle sit­u­a­tion de crise. «C’est arrivé une fois qu’on n’ait plus d’eau au robi­net. Ça fait peur», con­fie-t-elle.

Pour autant, le vil­lage ne cède pas à la panique. En plus du rav­i­taille­ment, les habitant·es ont rapi­de­ment pris de nou­veaux réflex­es pour que l’eau puisse con­tin­uer de couler tous les jours. «On a un arrosoir sous la douche pour récupér­er l’eau avant qu’elle ne chauffe, mon­tre Nan­cy Huil­let. On s’en sert pour arroser les plantes ou pour rem­plac­er la chas­se d’eau.» Faire ses besoins dans de l’eau potable fut d’ailleurs l’une des pre­mières aber­ra­tions de la vie quo­ti­di­enne à laque­lle l’habitante s’est con­fron­tée : «Quand on a du mal à avoir de l’eau pour s’hydrater, c’est très dif­fi­cile de se dire qu’on va en gaspiller autant juste pour faire pipi. C’est stu­pide».

Nan­cy Huil­let a inté­gré de nom­breux réflex­es pour économiser l’eau © Alexan­dre Carré/Vert

Au détour d’une ruelle, l’infirmière de Planèzes, Géral­dine Archam­bault, se voit repren­dre les réflex­es de ses grands-par­ents. Garder l’eau du lavage des légumes pour arroser le jardin, par exem­ple. «Ces petites gestes se sont com­plète­ment per­dus à la généra­tion de mes par­ents», soupire-t-elle. L’été dernier, elle a vu pour la pre­mière fois du thym et du romarin mourir en pleine nature. «Je n’avais jamais vu ça. Ça fait peur de ne pas savoir si ça va s’arranger.»

Du vin sauvé par la pluie

Dans les vignes de la val­lée de l’Agly, la riv­ière qui passe en con­tre­bas de Planèzes, l’image est sim­i­laire : les rangs sont aus­si déserts que le vil­lage. Pas un vigneron ou une vigneronne à l’horizon cet après-midi-là. Et pour cause : toutes et tous ont prof­ité de la fraîcheur de la nuit pour tra­vailler. Dans sa cave prête à accueil­lir les raisins des ven­dan­ges à venir, Damien Petit­fils, vigneron indépen­dant depuis cinq ans, a échap­pé de peu à l’hécatombe : «On a eu 250 mil­limètres de pluie en un mois et demi ce print­emps, c’est qua­si­ment ce qui est tombé en deux ans».

Ces légères pré­cip­i­ta­tions ont sauvé la récolte de cette année, mal­gré quelques cas de mor­tal­ité sur ses qua­tre hectares de cul­ture. «Chez moi, la sécher­esse avance surtout la matu­rité du raisin. Avant, je récoltais aux alen­tours du 25 août, aujourd’hui c’est début août», racon­te Damien Petit­fils. Pour l’instant, la sécher­esse n’a pas impacté sig­ni­fica­tive­ment, ni la quan­tité de son vin, ni sa qual­ité. «Cer­taines de mes vignes ont plus de 60 ans et leurs racines sont pro­fondes. Elles sont habituées à ce genre de con­texte, explique le vigneron. Ce sont plutôt les jeunes vignes qui souf­frent, qui peu­vent stress­er et pro­duire moins.»

Damien Petit­fils, vigneron indépen­dant, doit ven­dan­ger de plus en plus tôt à cause de la sécher­esse. © Alexan­dre Carré/Vert

Comme Planèzes, le vil­lage de Saint-Michel-de-Llotes, à 30 kilo­mètres plus au sud, a aus­si eu recours au rav­i­taille­ment d’eau, mais en bouteille cette fois. «Le puits qui était là depuis des années n’avait plus d’eau, donc on a dû en creuser un nou­veau, décrit Jean-Claude Solère, maire de la com­mune. On a dis­tribué des packs d’eau en atten­dant l’autorisation des analy­ses de la pota­bil­ité de l’eau du nou­veau puits.» Le maire de 52 ans, qui a tou­jours vécu ici, n’avait jamais con­nu ça.

La nappe phréa­tique qui ali­mente le nou­veau puits du vil­lage est con­nec­tée aux riv­ières alen­tours, dont l’eau est régulée par le grand bar­rage de Vinça, situé à une ving­taine de kilo­mètres en amont. «On a man­i­festé il y a quelques mois pour que plus d’eau soit con­sacrée aux riv­ières qui ali­mentent les vil­lages et moins pour la Têt [le fleuve prin­ci­pal qui tra­verse Per­pig­nan avant de se jeter dans la Méditer­ranée, NDLR] pour ali­menter nos nappes». Pour lui, l’idéal serait de con­stru­ire des retenues d’eau sur les petites riv­ières pour garder l’eau arti­fi­cielle­ment toute l’année et «moins en don­ner aux villes bal­néaires côtières qui utilisent de l’eau sans réelle­ment sans souci­er».

Un plan de vigne mort à cause de la sécher­esse à Planèzes. © Alexan­dre Carré/Vert

Un département entier à sec

À l’image du vil­lage gaulois d’Astérix, le départe­ment des Pyrénées-Ori­en­tales résiste encore et tou­jours aux pré­cip­i­ta­tions et appa­rait comme le seul point rouge sur la carte de l’état des nappes phréa­tiques du Bureau de recherch­es géologiques et minières (BRGM). Inter­dic­tion de rem­plir les piscines, de laver sa voiture, de faire fonc­tion­ner les douch­es de plages ou encore les fontaines… «Avec ces mesures, nous arrivons à économiser trois mil­lions de mètres cube d’eau par an, soit l’équivalent de la con­som­ma­tion annuelle de 70 000 habi­tants», indique Nico­las Gar­cia, maire de la ville d’Elne et prési­dent du Syn­di­cat mixte pour la pro­tec­tion et la ges­tion des nappes souter­raines de la plaine du Rous­sil­lon. Cet organ­isme chargé de relever chaque semaine la quan­tité et la qual­ité de l’eau dans les nappes du ter­ri­toire indique que «plus de la moitié des relevés sont à leur niveau le plus bas his­torique».

Le fleuve de l’Agly est qua­si­ment à sec à cer­tains endroit. © Alexan­dre Carré/Vert

Pen­dant longtemps, le cycle de l’eau était bien réglé : les nappes se rechargeaient en hiv­er grâce aux nom­breuses pré­cip­i­ta­tions et irriguaient la région via 3 000 kilo­mètres de canaux et des cours d’eau bien entretenus. L’été, au moment où les pré­cip­i­ta­tions se font rares, les nappes redis­tribuaient l’eau jusqu’au prochain hiv­er, et ain­si de suite. «On a oublié que ce sys­tème n’était pas infail­li­ble et qu’il repo­sait que sur une forte plu­viométrie l’hiver, déplore Nico­las Gar­cia. Or, depuis trois ans, il ne pleut que 200 à 300 mil­limètres par an, con­tre plus de 600 aupar­a­vant, soit 60% de pertes.»

Repenser le tourisme et régénérer le vivant

Pour le maire de cette com­mune de 10 000 habitant·es, plusieurs ques­tions se posent quant à la péren­nité du tourisme esti­val et la préser­va­tion de l’agriculture locale. Pour étaler le pic de con­som­ma­tion de 250 000 mètres cubes sup­plé­men­taires par sai­son que représen­tent les touristes qui vien­nent chaque année entre juin et août, le départe­ment réflé­chit à tra­vailler sur les qua­tre saisons. «Comme pour la mon­tagne et le ski, estime le maire d’Elne, il faut repenser le tourisme et attir­er des vacanciers toute l’année pour en avoir moins l’été.»

Nico­las Gar­cia revégé­talise la com­mune d’Elne pour lut­ter con­tre le ruis­selle­ment. © Mairie d’Elne

Dans le cas de l’agriculture et de la végé­tal­i­sa­tion du départe­ment, c’est un pro­jet sur le plus long terme qui doit se met­tre en place. «On doit planter plus de 20 000 hectares de haies et de forêts dans les prochaines années, explique le prési­dent du syn­di­cat. Cela doit nous per­me­t­tre de désim­per­méa­bilis­er les sols, de rafraîchir nos villes, de capter du car­bone et favoris­er la for­ma­tion de nuages sur le départe­ment.» Le maire souhaite aus­si que l’État français prenne les choses en mains et recon­naisse l’urgence de la sit­u­a­tion afin d’aider les agriculteur·ices à tran­si­tion­ner vers des méth­odes adap­tées aux nou­velles con­di­tions cli­ma­tiques. «On doit les aider à migr­er vers l’agroécologie que ce soit pour les sols, pour le cap­tage de car­bone ou même pour la san­té des gens», déclare Nico­las Gar­cia.

Cha­cun a bien con­science du rôle du change­ment cli­ma­tique dans la sécher­esse qui per­turbe le quo­ti­di­en depuis trois ans. «Tout ceci n’a pas de sens sans un tra­vail pro­fond con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, livre Nico­las Gar­cia. Cette sit­u­a­tion, on la lui doit.»

Cet arti­cle est issu d’«Eau sec­ours» : notre série d’en­quêtes sur l’eau pour faire émerg­er les vraies bonnes solu­tions dans un monde qui s’assèche. Mégabassines, régies de l’eau, tech­noso­lu­tion­nisme… Pen­dant tout l’été 2024, nous explorons les sujets les plus brûlants liés à notre bien le plus pré­cieux. Cette série est financée en grande par­tie par les lec­tri­ces et lecteurs de Vert. Pour nous aider à pro­duire du con­tenu tou­jours meilleur, soutenez Vert.