En cet après-midi de juillet, ce beau village aux couleurs ocres typiques de la région, entouré de champs de vignes, a des airs de scène post-apocalyptique. Pas un chat ne se promène sur le bitume brûlant des petites ruelles de Planèzes. «C’est maintenant qu’on se rend compte que l’eau est précieuse», lance Sidney Huillet, retraité et maire de la commune depuis 2001. Reclus au frais dans sa maison au cœur du village, l’homme de 72 ans a l’habitude de recevoir des journalistes. «Planèzes est l’un des premiers villages français à être touché par un tel niveau de sécheresse. On est mondialement connu», sourit-il.
Depuis juin 2023, la commune a recours à un ravitaillement hebdomadaire en eau, car le puits historique n’en offre plus assez pour assurer la consommation quotidienne de la centaine d’habitant·es. «On reçoit environ 30 mètres cube d’eau par semaine qui viennent de Saint-Paul-de-Fenouillet, à 20 kilomètres, explique le maire. Cela fait environ 40 000 mètres cube à l’année, en sachant que chaque rechargement coûte environ 600€.»
Pour les Planesols et les Planesoles, ce coût ne s’est pour l’instant pas fait ressentir sur la facture d’eau. La communauté de communes d’Agly-Fenouillèdes, chargée de l’approvisionnement en eau du village, réfléchit cependant à instaurer de nouveaux tarifs pour réparer la fuite financière qu’engendre la sécheresse. «Une option serait de définir un seuil de consommation maximum à un prix normal qui, s’il est dépassé, passe à un prix plus élevé», décrit Sidney Huillet. De quoi faire payer plus aux gens qui remplissent leur piscine ou ne respectent pas les restrictions d’eau. «Actuellement, que l’on consomme un ou dix mètres cube, c’est le même prix, fustige-t-il. Le consommateur paye environ un euro par mètre cube lorsque cela coûte dix euros à la commune.»
Des petits gestes devenus réflexes
Nancy Huillet, la sœur du maire, habite sur les hauteurs du village depuis 1981. Comme les autres habitant·es de Planèzes, elle a l’habitude des fortes températures et de la sécheresse. Mais c’est la première fois qu’elle connait une telle situation de crise. «C’est arrivé une fois qu’on n’ait plus d’eau au robinet. Ça fait peur», confie-t-elle.
Pour autant, le village ne cède pas à la panique. En plus du ravitaillement, les habitant·es ont rapidement pris de nouveaux réflexes pour que l’eau puisse continuer de couler tous les jours. «On a un arrosoir sous la douche pour récupérer l’eau avant qu’elle ne chauffe, montre Nancy Huillet. On s’en sert pour arroser les plantes ou pour remplacer la chasse d’eau.» Faire ses besoins dans de l’eau potable fut d’ailleurs l’une des premières aberrations de la vie quotidienne à laquelle l’habitante s’est confrontée : «Quand on a du mal à avoir de l’eau pour s’hydrater, c’est très difficile de se dire qu’on va en gaspiller autant juste pour faire pipi. C’est stupide».
Au détour d’une ruelle, l’infirmière de Planèzes, Géraldine Archambault, se voit reprendre les réflexes de ses grands-parents. Garder l’eau du lavage des légumes pour arroser le jardin, par exemple. «Ces petites gestes se sont complètement perdus à la génération de mes parents», soupire-t-elle. L’été dernier, elle a vu pour la première fois du thym et du romarin mourir en pleine nature. «Je n’avais jamais vu ça. Ça fait peur de ne pas savoir si ça va s’arranger.»
Du vin sauvé par la pluie
Dans les vignes de la vallée de l’Agly, la rivière qui passe en contrebas de Planèzes, l’image est similaire : les rangs sont aussi déserts que le village. Pas un vigneron ou une vigneronne à l’horizon cet après-midi-là. Et pour cause : toutes et tous ont profité de la fraîcheur de la nuit pour travailler. Dans sa cave prête à accueillir les raisins des vendanges à venir, Damien Petitfils, vigneron indépendant depuis cinq ans, a échappé de peu à l’hécatombe : «On a eu 250 millimètres de pluie en un mois et demi ce printemps, c’est quasiment ce qui est tombé en deux ans».
Ces légères précipitations ont sauvé la récolte de cette année, malgré quelques cas de mortalité sur ses quatre hectares de culture. «Chez moi, la sécheresse avance surtout la maturité du raisin. Avant, je récoltais aux alentours du 25 août, aujourd’hui c’est début août», raconte Damien Petitfils. Pour l’instant, la sécheresse n’a pas impacté significativement, ni la quantité de son vin, ni sa qualité. «Certaines de mes vignes ont plus de 60 ans et leurs racines sont profondes. Elles sont habituées à ce genre de contexte, explique le vigneron. Ce sont plutôt les jeunes vignes qui souffrent, qui peuvent stresser et produire moins.»
Comme Planèzes, le village de Saint-Michel-de-Llotes, à 30 kilomètres plus au sud, a aussi eu recours au ravitaillement d’eau, mais en bouteille cette fois. «Le puits qui était là depuis des années n’avait plus d’eau, donc on a dû en creuser un nouveau, décrit Jean-Claude Solère, maire de la commune. On a distribué des packs d’eau en attendant l’autorisation des analyses de la potabilité de l’eau du nouveau puits.» Le maire de 52 ans, qui a toujours vécu ici, n’avait jamais connu ça.
La nappe phréatique qui alimente le nouveau puits du village est connectée aux rivières alentours, dont l’eau est régulée par le grand barrage de Vinça, situé à une vingtaine de kilomètres en amont. «On a manifesté il y a quelques mois pour que plus d’eau soit consacrée aux rivières qui alimentent les villages et moins pour la Têt [le fleuve principal qui traverse Perpignan avant de se jeter dans la Méditerranée, NDLR] pour alimenter nos nappes». Pour lui, l’idéal serait de construire des retenues d’eau sur les petites rivières pour garder l’eau artificiellement toute l’année et «moins en donner aux villes balnéaires côtières qui utilisent de l’eau sans réellement sans soucier».
Un département entier à sec
À l’image du village gaulois d’Astérix, le département des Pyrénées-Orientales résiste encore et toujours aux précipitations et apparait comme le seul point rouge sur la carte de l’état des nappes phréatiques du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Interdiction de remplir les piscines, de laver sa voiture, de faire fonctionner les douches de plages ou encore les fontaines… «Avec ces mesures, nous arrivons à économiser trois millions de mètres cube d’eau par an, soit l’équivalent de la consommation annuelle de 70 000 habitants», indique Nicolas Garcia, maire de la ville d’Elne et président du Syndicat mixte pour la protection et la gestion des nappes souterraines de la plaine du Roussillon. Cet organisme chargé de relever chaque semaine la quantité et la qualité de l’eau dans les nappes du territoire indique que «plus de la moitié des relevés sont à leur niveau le plus bas historique».
Pendant longtemps, le cycle de l’eau était bien réglé : les nappes se rechargeaient en hiver grâce aux nombreuses précipitations et irriguaient la région via 3 000 kilomètres de canaux et des cours d’eau bien entretenus. L’été, au moment où les précipitations se font rares, les nappes redistribuaient l’eau jusqu’au prochain hiver, et ainsi de suite. «On a oublié que ce système n’était pas infaillible et qu’il reposait que sur une forte pluviométrie l’hiver, déplore Nicolas Garcia. Or, depuis trois ans, il ne pleut que 200 à 300 millimètres par an, contre plus de 600 auparavant, soit 60% de pertes.»
Repenser le tourisme et régénérer le vivant
Pour le maire de cette commune de 10 000 habitant·es, plusieurs questions se posent quant à la pérennité du tourisme estival et la préservation de l’agriculture locale. Pour étaler le pic de consommation de 250 000 mètres cubes supplémentaires par saison que représentent les touristes qui viennent chaque année entre juin et août, le département réfléchit à travailler sur les quatre saisons. «Comme pour la montagne et le ski, estime le maire d’Elne, il faut repenser le tourisme et attirer des vacanciers toute l’année pour en avoir moins l’été.»
Dans le cas de l’agriculture et de la végétalisation du département, c’est un projet sur le plus long terme qui doit se mettre en place. «On doit planter plus de 20 000 hectares de haies et de forêts dans les prochaines années, explique le président du syndicat. Cela doit nous permettre de désimperméabiliser les sols, de rafraîchir nos villes, de capter du carbone et favoriser la formation de nuages sur le département.» Le maire souhaite aussi que l’État français prenne les choses en mains et reconnaisse l’urgence de la situation afin d’aider les agriculteur·ices à transitionner vers des méthodes adaptées aux nouvelles conditions climatiques. «On doit les aider à migrer vers l’agroécologie que ce soit pour les sols, pour le captage de carbone ou même pour la santé des gens», déclare Nicolas Garcia.
Chacun a bien conscience du rôle du changement climatique dans la sécheresse qui perturbe le quotidien depuis trois ans. «Tout ceci n’a pas de sens sans un travail profond contre le réchauffement climatique, livre Nicolas Garcia. Cette situation, on la lui doit.»
Cet article est issu d’«Eau secours» : notre série d’enquêtes sur l’eau pour faire émerger les vraies bonnes solutions dans un monde qui s’assèche. Mégabassines, régies de l’eau, technosolutionnisme… Pendant tout l’été 2024, nous explorons les sujets les plus brûlants liés à notre bien le plus précieux. Cette série est financée en grande partie par les lectrices et lecteurs de Vert. Pour nous aider à produire du contenu toujours meilleur, soutenez Vert.
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