Des plantes qui s’étouffent lentement, blanchissent et se dessèchent : c’est le résultat d’une bactérie qui ravage les champs d’oliviers du sud de l’Italie. Il n’existe à ce jour aucun remède connu pour cette maladie.
Depuis que les scientifiques ont découvert en 2013 la Xylella fastidiosa dans la région des Pouilles, celle-ci a tué un tiers des 60 millions d’oliviers de la région, dont beaucoup étaient centenaires et produisaient la moitié de l’huile d’olive italienne.
«La plus grande partie du territoire a été rendue complètement vulnérable puis détruite», décrit Donato Boscia, virologue végétal et chercheur principal sur la Xylella à l’Institut pour la protection durable des plantes de Bari, dans le sud de l’Italie. Les exploitations agricoles ont cessé de produire, les moulins à olives ont fait faillite et les touristes ont reporté leurs visites. Jusqu’à présent, la Xylella a causé des dommages évalués à un milliard d’euros environ.
En février 2024, des scientifiques des Pouilles ont trouvé une sous-espèce de Xylella qui a anéanti les vignobles américains ; elle n’avait jamais été détectée en Italie. Si rien n’est fait, elle pourrait mettre en péril l’avenir de la viticulture européenne.
Xylella est l’un des plus dangereux parasites de plantes au monde. Au cours du siècle dernier, il a ravagé les vignes aux États-Unis, les orangers au Brésil et les poiriers à Taïwan. L’Union européenne a inscrit la bactérie sur sa liste d’organismes de quarantaine prioritaires, mais celle-ci a tout de même franchi ses frontières.
Les recherches montrent que la bactérie est venue d’Amérique latine, très probablement transportée par des caféiers, et transitant par les Pays-Bas. Ce pays a une longue tradition et de forts intérêts économiques dans l’importation de plantes. Entre 2005 et 2014, environ 30 milliards de plantes, boutures, bulbes ont été importés de pays tiers en Europe, principalement via les ports néerlandais.
Ce système d’importation de plantes est ouvert et poreux ; rien qu’en Italie, par exemple, on compte 33 ports d’entrée. Ce système permet à un nombre croissant de ravageurs et de maladies étrangères, comme Xylella, d’entrer dans l’Union et de ravager l’agriculture et la biodiversité.
Agrumes, carottes, céléri et frênes en danger
Bien que les États membres aient pris des mesures pour prévenir et enrayer les épidémies, les scientifiques, les épidémiologistes des plantes et les agronomes disent que ces efforts sont largement insuffisants.
Selon Pierfederico La Notte, épidémiologiste italien spécialiste des plantes, certaines cultures, comme la vigne, sont fortement réglementées. Cependant, d’autres, comme les plantes ornementales, ne le sont pas ; elles sont potentiellement porteuses d’organismes exotiques nuisibles. Avec les palettes de bois, les ventes de plantes sur Internet et les végétaux que les voyageurs ramènent chez eux, le commerce végétal est accusé d’introduire plusieurs maladies.
L’UE a pris en 2016 des mesures importantes avec un nouveau règlement pour mieux gérer ce qui entre et comment, et ainsi faire face rapidement aux épidémies. Pourtant, avec autant de points d’entrée, les scientifiques et les régulateurs n’arrivent pas à tout contrôler efficacement.
Trioza erytreae, un poux sauteur, a ainsi mis en danger les agrumes portugais ; une bactérie infectant les carottes et le céleri a suscité des inquiétudes sur tout le continent ; tandis que Hymenoscyphus fraxineus a tué des frênes en Pologne. La liste est longue ; et, au cours des dernières décennies, elle s’est allongée, soutenue par le changement climatique, avec une Europe toujours plus chaude et propice aux nouveaux parasites.
«Je ne comprends pas comment, après Xylella, nous avons si peu appris», constate Pierfederico La Notte.
Avec les contrôleurs du port de Ravenne
L’année dernière, par une matinée caniculaire de juin, Paolo Solmi, inspecteur phytosanitaire au port de Ravenne, dans le nord de l’Italie, a demandé à son équipe d’ouvrir le premier des 28 conteneurs de pommes de terre égyptiennes à contrôler ce jour-là. Son équipe a rempli des sacs de 100 pommes de terre chacun avant de les apporter aux laboratoires pour effectuer les tests normalisés en cours au sein de l’UE.
«Une fois ces contrôles passés, les marchandises peuvent circuler librement dans l’Union européenne», a déclaré Paolo Solmi.
L’UE dispose d’un système d’importation ouvert : tout ce qui n’est pas réputé nocif peut entrer, ce qui favorise une circulation plus fluide des marchandises. D’autres pays, comme la Nouvelle-Zélande et le Chili, ont opté pour un système fermé, bloquant tout ce qui est potentiellement coupable jusqu’à preuve du contraire.
Selon Alberto Santini, pathologiste forestier au Conseil italien de la recherche, ce système ouvert a permis l’entrée d’un nombre alarmant de parasites et de maladies des plantes en provenance de pays tiers.
«Si vous connaissez votre ennemi, vous pouvez essayer de l’empêcher d’entrer dans votre pays», précise Alberto Santini. Mais, a‑t-il ajouté, de nombreux agents pathogènes sont inoffensifs ailleurs parce que les écosystèmes ont évolué avec eux. Si le Xyllela n’a peut-être pas affecté les plants de café au Costa Rica, il a prospéré sans conteste lorsqu’il a rencontré les oliviers sans défense du sud de l’Italie.
2018, année noire
Les données fournies pour notre enquête par les chercheurs de Wageningen University & Research (Pays-Bas), Wopke van der Werf et Hongyu Sun, montrent qu’entre 1975 et 2020, dans l’UE, 1 720 foyers ont été enregistrés (906 causés par des insectes, 689 causés par des agents pathogènes et 125 causés par des nématodes), l’Italie, la France et l’Espagne étant à l’origine de la moitié des foyers connus. L’année 2018 a été la pire, avec 115 cas connus.
Les représentants des pays du sud de l’Europe ont tenté de faire pression pour obtenir des règles plus strictes lors de l’élaboration du règlement de 2016 afin de protéger leur agriculture et leur biodiversité. Toutefois, ils ont été mis en minorité, explique Bruno Caio Faraglia, directeur du service phytosanitaire italien, qui a participé aux négociations.
Tous les intérêts de l’UE ne sont pas alignés. Lors des consultations préliminaires de 2011, Plantum, l’association néerlandaise pour le matériel de reproduction des plantes, s’est inquiétée du fait que «les études scientifiques concernant les produits à haut risque seront très lentes et complexes et ne répondront pas au rythme du commerce».
Plus tard, lors du débat de 2016, Jan Huitema, homme politique néerlandais et membre du Parlement européen, a clairement indiqué que son pays était opposé à des règles plus strictes en matière d’importation de végétaux, car elles iraient à l’encontre de ses intérêts commerciaux.
«Les grands lobbies du commerce des plantes en profitent. Donc, essentiellement les Néerlandais, les Danois, les Belges et les Allemands», détaille Luigi Catalano, directeur de l’association italienne des pépiniéristes CIVI-Italia, qui a vu comment Xylella a paralysé son secteur. «Ils sont détachés du monde de la production, ils s’en fichent».
Une longue histoire de négoce
En juillet 2023, Christian Linden, 59 ans, fondateur et PDG d’IBH Export, se promène dans son entrepôt de 14 000 mètres carrés situé dans la salle des ventes aux enchères de fleurs d’Aalsmeer, aux Pays-Bas. Il importe des fleurs coupées et des plantes en pot, principalement de Turquie et d’Afrique de l’Est ; puis les redistribue dans toute l’Europe.
Christian Linden admet qu’il ne sait pas grand-chose des agents pathogènes ou des insectes liés au commerce des plantes, mais il n’est pas inquiet, car les autorités phytosanitaires «sont très strictes». Il estime que le nouveau règlement phytosanitaire renforce la protection de l’UE et souligne l’efficacité des passeports phytosanitaires, qui n’existaient pas à l’époque où Xyella est arrivée en Italie. Aujourd’hui, souligne-t-il, si un client trouve une maladie ou un insecte sur une plante importée, toute la cargaison est inspectée et détruite.
Pragmatique dans l’âme, Christian Linden s’est montré ouvert à la discussion sur toute nouvelle réglementation : «Lorsque c’est nécessaire pour protéger l’environnement, il faut le faire».
John Van Ruiten, directeur de Naktuinbouw, le service d’inspection néerlandais pour l’horticulture, affirme que les contrôles sur le matériel importé sont stricts et que, sans documentation appropriée, les plantes ne sont même pas contrôlées. Cependant, il admet qu’il est difficile de tout détecter — insectes, symptômes de bactéries ou de virus — surtout lors d’une inspection visuelle : «Il est impossible que les inspecteurs aient connaissance de toutes les maladies dans tous les produits.»
Seul un échantillon d’environ 2% des plantes importées est inspecté, conformément aux protocoles internationaux, pour détecter la présence de symptômes, indique l’Autorité néerlandaise de sécurité des aliments et des produits de consommation (NVWA). Étant donné le nombre de plantes qui passent par les principaux ports de l’UE, il est «possible que de nouvelles espèces soient introduites».
La NVWA estime toutefois que les Pays-Bas disposent d’un système de contrôle solide. Par exemple, lorsque certaines plantes vivantes passent la frontière et aboutissent dans une pépinière, l’inspecteur phytosanitaire les revérifie après deux semaines pour voir si elles ne sont pas porteuses d’une maladie latente.
Pour John Van Ruiten, toute la charge ne devrait pas reposer sur les épaules des importateurs, qui, selon lui, font du bon travail. Il renvoie la balle dans l’autre camp et estime que c’est aux pays exportateurs d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine qu’il incombe d’effectuer tous les contrôles nécessaires.
Dans le cadre de cette enquête, nous avons demandé à la NVWA, responsable de la supervision de la plus grande importation/exportation de plantes vivantes et de matériel végétal vers l’UE, d’assister à l’une de ses inspections. Après plusieurs demandes, ils ont refusé l’accès, suggérant d’aller vérifier en Italie ou ailleurs.
Le difficile chiffrage des pertes
Dans le port italien de Ravenne, l’inspecteur phytosanitaire Paolo Solmi reconnaît ce à quoi ils sont confrontés. «L’Europe est née de la circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. Notre mission consiste à faire de notre mieux dans le cadre du système phytosanitaire ouvert, car il n’existe pas d’alternative à l’heure actuelle».
Mais si le coût économique de ce que l’UE pourrait perdre en termes de commerce est connu, le prix des dommages causés par les ravageurs et les maladies exotiques ne l’est pas. Comment chiffrer la perte d’une forêt de frênes ?
«Le principal problème économique est que les données sont rares», constate Françoise Petter, ancienne directrice adjointe de l’OEPP. Quels seraient les coûts et les avantages d’un système moins globalisé ? Les pertes encourues par un système commercial plus lent seraient-elles compensées par la valeur préservée de l’agriculture et de la biodiversité de l’UE ?
«Nous n’avons jamais essayé de faire une comparaison complète avec un système fermé, reconnaît Françoise Petter. C’est un peu déprimant, n’est-ce pas ?»
Cette enquête de Regin Winther et Agostino Petroni a été publiée conjointement par plusieurs médias européens : Vert, The Guardian (Grande-Bretagne), Follow the Money (Pays-Bas) et Aktuálně (République tchèque). Elle a reçu le soutien de l’association Journalismfund Europe.
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