Vous intervenez le 6 mars au salon Talents for the planet, qu’allez-vous raconter à celles et ceux qui veulent embrasser une carrière dans la transition écologique ?
J’étais surprise d’être contactée par Talents for the planet, car je ne suis pas connue pour être spécialiste de la transition écologique. Mais sans démocratie ni pluralisme, il n’y a pas de transition. On entend beaucoup de discours sur la menace d’une «dictature verte». Ce qui m’inquiète, c’est la dictature tout court. Le Rassemblement national est donné vainqueur aux élections européennes à 40% et Reconquête à 8%. C’est gravissime. Cela veut dire qu’ils contribueraient à bâtir des lois européennes, qui s’imposeront au droit français.
Sans démocratie, il n’y a pas de protection de l’environnement. On décorrèle énormément de l’environnement la menace de l’extrême droite. Il va falloir voter pour des partis démocratiques qui garantissent la sauvegarde des libertés fondamentales : les droits des réfugiés, la Convention de Genève [sur les droits humanitaires, qui dicte les règles de conduites en cas de conflit armé], l’Interruption volontaire de grossesse. À peine élu, Donald Trump a retiré les États-Unis de l’Accord de Paris.
La colère des agriculteurs, comme celle des Gilets jaunes, a montré que mettre en place des mesures climatiques sans concertation, c’est un déni démocratique. Les agriculteurs ne sont pas contre la transition, ils souffrent de n’être pas écoutés.
Comment analysez-vous ce mouvement social agricole ?
La colère des agriculteurs est très légitime, car ils sont laissés pour compte. Nous avons besoin de repenser le lien, la dignité des personnes. Malheureusement, il n’y a que l’extrême droite qui leur parle. Il faut passer du temps avec eux. Finies les notes de bas de page et les déplacements en baskets. Cela fait des décennies que les gouvernements successifs sont dans le déni de ce qu’est la réalité de la vie des gens. Mon partenaire est producteur italien, je me sens concernée au premier chef.
L’extrême droite est aux portes du pouvoir, comment cela se manifeste-t-il ?
Une entreprise de la transition écologique m’a dit qu’elle avait fait un business plan [un scénario de développement de son activité économique, NDLR] qui prenait en compte la montée de l’extrême droite. La mobilité, la production agricole, le vélo… c’est toute une économie qui peut s’effondrer du jour au lendemain. Cela me choque parce que la menace est si proche qu’elle est déjà dans des perspectives de business plan.
La montée de l’extrême droite n’est pas que politique, elle est surtout culturelle. Elle est le fruit d’influenceurs, de médias, d’associations, de financeurs, d’entrepreneurs qui ont préparé le terrain depuis 40 ans.
Comment contrecarrer la progression des idées d’extrême droite ?
Ni la gauche ni la droite n’arrivent à se distinguer. Seul Jordan Bardella fait 15 000 likes sur Instagram en 15 minutes. Les partis sont déconnectés.
Il faut apprendre à connaître l’extrême droite et ses méthodes, et mener la bataille culturelle. La question est de savoir comment on met de vrais gros moyens, pas juste pour sensibiliser ou répondre à ses narratifs, mais pour prendre en compte les peurs auxquelles ils répondent. Les gens veulent savoir comment ils vont pouvoir manger, se loger, mettre leurs enfants à l’école, garder leur emploi. Nous avons besoin d’apporter de vraies réponses.
Hillary Clinton a dit que les électeurs de Trump étaient des imbéciles. Ça n’est pas vrai. Les gens ne sont pas bêtes ; ils veulent des réponses à leurs questions. Aujourd’hui, les forces progressistes et engagées, les acteurs de la transition écologique, ne savent pas communiquer. Il faut aussi qu’il y ait des moyens pour les diffuser. Avec Vincent Bolloré ou Elon Musk, on voit l’énormité des moyens déployés pour ne pas laisser la place à ces messages.
C’est aussi pour faire exister des idées progressistes dans le débat public que vous avez créé l’Académie des futurs leaders. De quoi s’agit-il ?
Il y a une phrase qui m’horripile : «il faut être fou pour être en politique». L’Académie des futurs leaders veut précisément mettre en politique des personnes issues du terrain qui y sont sous-représentées. Souvent, on me dit que c’est l’ennemi de l’ENA. Ce n’est pas le cas, mais le monde politique est endogame, viriliste, monochrome. Là, on se connecte avec les gens en racontant son histoire. Ce sont des personnes qui ont vécu dans leur chair des inégalités et une violence, qui sont le produit du capitalisme et de la destruction de l’environnement.
C’est une école où il n’y a pas de critère d’âge ou de diplôme, mais un combat pour la justice sociale, l’environnement, la démocratie. Les candidats ne savent pas qu’ils sont nommés. Les présélectionnés passent devant un jury et la quinzaine qui est sélectionnée bénéficie d’un cursus de 350 heures, avec 200 profs : des politiques qui ont exercé le pouvoir, des neuroscientifiques, des coachs, des psys, des profs de Sciences po. C’est un condensé de tout ce dont un énarque aurait pu bénéficier, mais avec l’ancrage en plus.
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