Dans sa vidéo de présentation, l’entreprise Pure Salmon exhibe des images de scientifiques en blouses blanches, d’usines ultra-modernes et de saumons frétillants. Sa spécialité ? Élever des milliers de poissons sur la terre ferme, dans de grands bassins où tous les paramètres sont contrôlés par l’informatique. Un concentré de haute-technologie, présenté comme au service d’un élevage sain et durable, mais qui, en réalité, cache bien son jeu.
Depuis 2020, cette entreprise portée par le fonds d’investissement singapourien 8F a jeté son dévolu sur la ville de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), où elle souhaite installer une usine qui produirait 10 000 tonnes de saumons par an. Il s’agirait du plus grand élevage aquacole terrestre d’Europe.
Des projets controversés qui se multiplient
En France, pas moins de trois projets de ce type sont en cours de développement. Boulogne-sur-Mer devrait aussi accueillir Local Ocean et ses 8 000 tonnes de saumons par an. Quant au Norvégien Smart Salmon, il a décidé de s’installer à Plouisy (Côtes-d’Armor), près de Guingamp. 10 000 tonnes de saumons par an sortiront de son usine. Avec plus de 192 000 tonnes consommées en France chaque année, le saumon est un marché juteux. Mais malgré les risques qu’ils présentent pour l’environnement, ces projets ont toujours été largement soutenus par les communautés d’agglomération. Comme par l’Etat : l’installation de Pure Salmon dans le Nord a été présentée par l’exécutif comme l’une des grandes réussites du sommet Choose France, qui vise à attirer des investisseurs étrangers
Parmi les craintes des associations écologistes, l’immense consommation d’eau requise par ce type d’élevage. En effet, en dépit du recours à un système dit « recirculé » (RAS Recirculation Aqua System) où l’eau est filtrée et oxygénée en permanence pour être réinjectée dans les bassins, ce système nécessite des apports extérieur en eau situés entre 550m3 à 2 750 m3, selon les saisons, pour l’usine Pure Salmon.
« On se questionne sur la capacité du territoire à pouvoir mettre à disposition ce volume d’eau. Il y a déjà des périodes de l’année où la situation hydrique du territoire est tendue », indique à Vert Dominique Le Gout, membre de l’association Eau et Rivières de Bretagne. Un point qui inquiète aussi dans le Nord : au mois de mai, la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) a émis un rapport qui pointait les nombreuses insuffisances du projet de Pure Salmon. Dans un autre rapport, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) dénonçait, lui aussi, l’impact négatif sur la biodiversité d’un tel projet : le site de Pure Salmon devrait être implanté dans un « corridor écologique », qui relie des espaces naturels les uns aux autres, entraînant une gêne pour les populations d’oiseaux, d’amphibiens et d’insectes. De plus, l’installation devrait se faire sur des terres agricoles, causant la destruction de haies du bocage boulonnais qui servent de zone de transit, de reproduction et de refuge pour certaines espèces protégées, comme le martin pêcheur d’Europe. Les mesures compensatoires présentées par Pure Salmon ont été jugées trop légères par les autorités environnementales. Chargée par les autorités de revoir sa copie, l’entreprise n’a pour le moment rendu publique aucune solution.
En cause également, les déchets produits par ces entreprises – les déjections des poissons en tête. En Bretagne, Smart Salmon explique qu’il revalorisera les rebuts de son usine afin de fertiliser des serres maraîchères et produire du biogaz, grâce à un processus de méthanisation. Or, pour Dominique Le Gout, « la méthanisation ne fait pas disparaître l’azote. Dans une région où l’on s’inquiète des marées vertes [un phénomène provoqué par les rejets d’azote issus de l’agriculture industrielle – Ndlr] ça nous parait assez hallucinant ».
Le bien-être animal en question
Autre point de préoccupation des écologistes : le bien-être des saumons. « En moyenne la densité en saumon dans ces systèmes se situe aux alentours de 80kg/m3. Notre recommandation pour l’élevage en mer c’est 10kg/m3 », note Lucille Bellegarde, référente France du CIWF (Compassion in world farming), une ONG spécialisée dans la défense des animaux d’élevage. « Ces poissons vont tourner en rond, alors que dans les milieux sauvages, ils parcourent des milliers de kilomètres », alerte également Maud Grégoire, responsable L214 pour le Nord-Pas-de-Calais. En janvier 2020, Reporterre notait d’ailleurs que l’entreprise israélienne Aquamaof, partenaire de Pure Salmon, menait des expériences en Pologne pour tester des densités de saumons allant jusqu’à 175kg/m3.
La moindre défaillance technique peut provoquer la mort de milliers d’animaux, des incidents qui ont déjà eu lieu au Danemark et en Floride. Car, malgré les arguments des industriels, ce système ne préserve pas de façon certaine des pathogènes et des contaminations de l’eau et, dès lors, les conséquences sont catastrophiques. « Un système clos, c’est plus contrôlé, en effet, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problématiques de contamination. Les saumons peuvent tout à fait être contaminés par des erreurs humaines et par les gens qui travaillent là-bas », commente Lucille Bellegarde.
Point positif : alors qu’elle devait commencer à l’automne 2021, la construction de l’usine Pure Salmon à Boulogne semble interrompue pour le moment et l’enquête publique n’a pas encore été lancée. Dans le Pas-de-Calais et la Bretagne, les riverain·es des deux autres projets restent mobilisé·es afin d’empêcher leur mise en place.
Contactée par nos soins à plusieurs reprises, l’entreprise Pure Salmon n’a pas répondu à nos sollicitations.