Gare à toit ! Depuis le printemps dernier, une partie du toit de l’Académie du climat, en plein cœur de Paris, a été végétalisée pour réduire l’impact des fortes chaleurs sur le bâtiment. Un enjeu clé dans l’adaptation des grandes villes au changement climatique, surtout à Paris, où les vieux immeubles souffrent d’une piètre isolation.
100 mètres carrés de verdure, des genévriers, du romarin, du thym, des framboises bien juteuses à portée de main… Ne vous méprenez pas, nous sommes bien dans l’hyper-centre de Paris, à quelques encablures de l’Hôtel de ville. Depuis plusieurs mois, le toit de l’Académie du climat – lieu dédié à la mobilisation et à la formation aux enjeux écologiques –, est en partie recouvert d’une vaste structure en bois végétalisée. L’objectif : rafraîchir le bâtiment, construit en 1868 et très mal isolé.
À l’origine de ce projet, il y a Roofscapes. Lancée par trois architectes en 2020, cette start-up cherche à adapter les villes au réchauffement climatique grâce à la végétalisation du bâti. Elle installe des plateformes en bois végétalisées au-dessus des toitures pour les ombrager et limiter la chaleur dans les bâtiments. Partenaire du projet, la Ville de Paris finance l’expérimentation (frais d’installation, gestion du projet, etc.) à hauteur de 275 000 euros.
Une démarche essentielle, puisque Paris connaîtra le climat de Canberra, en Australie, d’ici à 2050, avaient estimé des chercheur·ses en 2019. Malheureusement, les bâtiments ne sont pas adaptés à cette nouvelle réalité climatique. 80% des toits de la capitale sont en zinc, un conducteur thermique. «C’est comme si les toits de la ville étaient des radiateurs géants, illustre Eytan Levi, l’un des cofondateurs de Roofscapes. «Quand il fait 40 degrés à l’ombre à Paris, il peut faire jusqu’à 70°C, 80°C ou 85°C sur du zinc.»
Une différence de température bluffante
L’expérimentation a été lancée pour cinq ans, et l’été 2024 a déjà permis d’observer des résultats spectaculaires. Le 30 juillet dernier, au cours d’une vague de chaleur nationale, les capteurs ont enregistré une différence de température de 30°C sur la surface de la toiture, entre le côté recouvert par la plateforme végétalisée (35,7°C) et le côté d’origine avec le zinc exposé (67,5°C, pour un mercure extérieur de 35,8°C). À l’intérieur du bâtiment, la différence est de 17°C : 29,7°C du côté de la plateforme, et 47°C du côté minéral. «Ce sont des ordres de grandeur impressionnants», se félicite Eytan Levi.
On doit cette réussite à l’alliance de l’ombrage, qui évite au zinc de surchauffer, et à la végétation, qui rafraîchit de quelques degrés la température de l’air ambiant. Les plantes «transpirent» pour se rafraîchir, et l’eau puisée dans les racines est ensuite rejetée par les feuilles sous forme de vapeur d’eau – ce qui contribue à adoucir l’air ambiant.
«Des refuges pour le vivant»
En végétalisant les toits des bâtiments, Roofscapes «cherche aussi à en faire des refuges pour le vivant», ajoute Eytan Levi. Les revêtements minéraux ne permettent pas du tout la continuité écologique de la biodiversité, qui ne peut pas se déplacer aisément d’un toit à l’autre. Les bacs de végétaux favorisent la présence d’animaux, et notamment de pollinisateurs. Il est encore trop tôt pour quantifier l’impact en termes de biodiversité, mais l’architecte assure pouvoir observer des espèces d’oiseaux et d’insectes qui n’étaient pas présentes avant la végétalisation du toit.
La Ville de Paris y voit une expérimentation «extraordinaire» : «En termes de régulation thermique et de développement de la biodiversité sur les toits, je ne vois que des avantages à essayer de mettre en place ce genre de solutions», se réjouit Pénélope Komitès, adjointe à la maire de Paris, chargée de l’innovation, de la prospective et de la résilience.
Tout a été pensé pour minimiser l’impact de ce chantier. Roofscapes a travaillé avec une société de construction en bois, Méha, et Topager, une entreprise paysagère. Le bois est d’origine française et la terre provient de l’excavation des chantiers du Grand Paris. Les paysagistes ont sélectionné des espèces complémentaires : une palette végétale locale (achillée millefeuille, sauge, etc.), connue par les pollinisateurs parisiens, et des plantes méditerranéennes (lavande, laurier, etc.), habituées aux vagues de chaleur. Pour ne pas aggraver le problème de stress hydrique, de plus en plus prégnant dans les grandes villes, le système fonctionne avec de l’eau pluviale et dispose d’une autonomie de plusieurs semaines en cas de fortes chaleurs, pour ne pas dessécher les végétaux.
Repenser l’usage des toits
Au-delà de l’évident intérêt climatique de la démarche, Roofscapes plaide pour un nouvel usage des toits – des espaces largement inexploités. «Dans les grandes villes, les gens ont déjà peu accès à l’extérieur», détaille Eytan Levi, en attrapant une framboise du bout des doigts. «À terme, les toits pourraient devenir des espaces sociaux et culturels communs», avance l’architecte. À l’Académie du climat, la plateforme n’est pas encore accessible au public, mais permet aux employé·es de profiter de pauses café, assis·es sur les bacs à compost.
Les prémisses de cette installation remontent à 2022, lorsque la Ville de Paris a lancé un appel à projets sur les questions de résilience et d’adaptation au changement climatique, remporté par Roofscapes. Le projet pilote à l’Académie du climat a été amorcé début 2023, puis finalisé au printemps 2024.
La mairie a longtemps bataillé avec les architectes des Bâtiments de France pour obtenir l’autorisation d’installer la plateforme à l’Académie du climat – située dans une zone classée. Elle a finalement obtenu le feu vert grâce à la réversibilité du projet et à son invisibilité depuis la rue. «Il faut trouver un équilibre entre l’innovation, les injonctions patrimoniales et la préservation de la beauté de la ville, tout en prenant en compte l’habitabilité des bâtiments dans un climat qui change, qui est un enjeu sanitaire majeur à Paris», raconte Pénélope Komitès.
Roofscapes aimerait déjà recouvrir le reste du toit de l’Académie du climat, mais la Ville de Paris préfère attendre la fin de l’expérimentation. La mairie projette de lancer d’autres projets en 2025 (peinture blanche sur les revêtements ou sarking – une méthode d’isolation qui consiste à réhausser le toit en ajoutant une couche d’isolant) pour continuer d’adapter l’urbanisme. De son côté, le trio d’architectes est d’ores et déjà en contact avec d’autres collectivités territoriales et des propriétaires privés pour étendre son projet de végétalisation des toits en zinc dans d’autres villes.
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