Sang façon. Dans D’Ivoire et de sang, roman de l’Indo-américaine Tania James, trois voix – l’éléphant, le braconnier et la cinéaste – font résonner la lutte à mort pour l’ivoire dans une langue simple et imagée.
C’est un film qui se lit. Dans les forêts de bambous d’Inde du sud, un éléphanteau assiste à l’assassinat de sa mère par des braconniers qui lui ôtent ses précieuses défenses. Devenu adulte, la colère du « Fossoyeur » à l’égard des humains ne tarit pas : il traque les villageois jusque dans leur palli, puis les enterre sous des monceaux de feuilles. Frère d’un braconnier jeté en prison pour avoir abattu 56 pachydermes, Manu prend à son tour le fusil lorsque son ami Raghu est éventré et que la fascinante épouse de son frère, Leela, est blessée par l’éléphant-tueur. Enfin, Emma, une jeune cinéaste américaine, réalise un reportage avec son ami Teddy dans la réserve de Kavanar où un centre vétérinaire, dirigé par le séduisant Ravi, recueille des éléphanteaux orphelins.

A travers une écriture condensée et vibrante, ces trois points de vue éclairent un ignoble trafic d’ivoire où l’argent est maître et dont éléphants et villageois sont les égales victimes. Le récit donne aussi corps à des réflexions sur la conscience animale, introduites notamment par le personnage du jeune gardien, Mani-Mahai : « Le garçon soupira dans la nuit, le regard songeur. Est-il né en captivité ? – Il a été capturé tout petit. Sa mère a été tuée par des braconniers. Quand les gardes forestiers l’ont découvert, il était pelotonné contre elle. – A votre avis, il se souvient d’elle ? – Il se souvient de tout. C’est le don magnifique de l’éléphant. – Après un silence durant lequel l’esprit du garçon parut errer, Mani-Mahai dit : Un don terrible. » Un roman noble et poignant qu’on ne quitte plus des mains.
Tania James, D’ivoire et de sang, Rue de l’échiquier, septembre 2021, 264p., 22€