L'estivale

Les feus artifices

Chères toutes et chers tous,

🕶️ En juillet et en août, les éditions quotidiennes et hebdomadaires ne font plus qu'une : l'estivale vous est envoyée chaque mercredi à midi !


Un numéro où l'on verra qu'ensevelir des trésors naturels sous des paradis artificiels finit par faire peser sur notre avenir une menace bien réelle.


Artificialisation des sols : la France « au bord du gouffre »

Laisse béton ! Tout juste adoptée par les parlementaires, la loi « climat et résilience » est passée à côté d’un défi majeur : lutter efficacement contre la disparition des sols, qui fait un ravage en France. 

Un département tous les dix ans, la surface de Marseille chaque année, un terrain de foot toutes les cinq minutes... les chiffres de l'artificialisation des sols en France sont vertigineux. Et les conséquences le sont tout autant. Car bétonner le sol, c'est le priver de fonctions écologiques et sociales majeures, comme le rappelle Tanguy Martin, chargé de Plaidoyer à l'association Terre de liens, qui défend les terres agricoles. « En détruisant l'habitat des espèces, la bétonisation participe directement à la sixième extinction de masse. Un sol artificialisé perd en outre ses capacités à stocker du CO2, à réguler l'eau et les températures. Et puis la disponibilité des sols conditionne tout bonnement notre capacité à se nourrir », prévient-il.

Or la tendance ne fléchit pas, ou si peu : le béton couvre désormais près de 10% du territoire. 52% des surfaces sont agricoles et 39 % naturelles, selon le ministère de l’agriculture. Le schéma suivi est implacable : « on artificialise car ça coûte moins cher que de faire du renouvellement urbain », explique Tanguy Martin. Tandis que les centre-villes se meurent, les maisons individuelles et les zones d'activité pullulent en périphérie : elles représentent à elles seules 83% de l'artificialisation en France.

L’habitat représente 68% de l’artificialisation mesurée sur la période 2009-2018, contre 25% pour les activités, selon le Cerema) © Labex Dynamite

Avec la loi « Climat et résilience », votée par le Parlement le 20 juillet dernier, « nous changeons de braquet et faisons un grand pas pour mieux protéger la biodiversité », promet la ministre de l’Écologie, Barbara Pompili. « Les mesures sont largement insuffisantes », rétorque Tanguy Martin. Les élu·e·s auront la charge de faire baisser le rythme de l'artificialisation sur leur territoire, jusqu'à atteindre zéro artificialisation nette en 2050. Or la pression qu'ils subissent pour artificialiser est énorme. « Déclarer un terrain constructible peut augmenter sa valeur d'un facteur 500 », illustre Tanguy Martin.

« La France est au bord du gouffre mais au lieu de faire demi-tour, on freine seulement un peu », regrette Tanguy Martin. Pour permettre la transition agroécologique, les associations environnementales réclamaient un moratoire strict sur l'artificialisation, à l'exception de la construction de logements sociaux. C'est raté.

• Cette semaine, des événements climatiques extrêmes directement liés au réchauffement climatique ont continué de sévir aux quatre coins de la planète. La province chinoise du Henan au sud-ouest de Pékin a connu « ses pires pluies depuis 1 000 ans » selon les météorologistes, faisant 71 morts selon un bilan provisoire (Futura). Des précipitations torrentielles ont également touché la côté ouest de l'Inde causant la mort de 159 personnes au dernier décompte (Le Monde). Au même moment, le continent américain est toujours au prise avec des températures record et une sécheresse alarmante. En Californie, les pompiers luttent depuis la mi-juillet contre le Dixie Fire, qui a déjà dévoré une surface de végétation équivalente à la ville de Chicago. - Le Monde

• Depuis lundi, les experts du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) travaillent à l'approbation de leur sixième rapport, dont des ébauches alarmantes ont fuité il y a quelques semaines (Figaro). Cette immense synthèse de la littérature scientifique sur le climat paraîtra en trois volets : le premier, consacré aux sciences physiques du climat sera publié le 9 août prochain et constituera le principal apport scientifique aux négociations internationales de la COP26 de Glasgow en novembre prochain. Les deuxième et troisième volets seront dévoilés en 2022, ils portent sur les conséquences du changement climatique et sur l'adaptation/atténuation. - Reporterre

• C'est dans ce contexte qu'aujourd'hui, plus de 14 000 scientifiques ont signé une tribune pour alerter au sujet de l'état de la planète. Sur 31 « signes vitaux » - qui incluent les émissions de gaz à effet de serre, l’épaisseur des glaciers ou la déforestation - 18 atteignent des records, selon ce texte publié dans la revue BioScience. En novembre 2019, 11 000 de ces scientifiques avaient déjà appelé à agir pour éviter « des souffrances indescriptibles ». Quelque 2000 juridictions dans 34 pays ont officiellement déclaré l'urgence climatique mais rien n'a changé sur le fond, regrettent-ils. - AFP

•  Erratum : une erreur s'est glissée dans le début du précédent numéro : c'est bien le vote de la loi « climat et résilience » qui a eu lieu mardi 20 juillet et non l'accord entre l'Assemblée et le Sénat sur sa version définitive, trouvé le 12 juillet.

Jeudi 29 juillet 2021

Ça dépend, ça dépasse. Ce jeudi, l'humanité aura consommé l'ensemble des ressources biologiques que la planète est capable de générer en un an. Ce jour, dit du « dépassement », est désigné annuellement par l'ONG américaine Global Footprint Network. Atteint le 29 décembre en 1970, il arrive de plus en plus tôt chaque année, à l'exception de 2020 : sous l'effet de la pandémie de Covid-19, la date a reculé de trois semaines (au 22 août). Mais elle est revenue au niveau d'avant crise dès 2021. Avec le rebond économique actuel, l’empreinte carbone de l'humanité a crû de 6,6% tandis que la biocapacité de la terre (sa capacité à se régénérer) a baissé de 0,5% « due en grande partie au pic de déforestation en Amazonie » (Vert).

• Suantes et trébuchantes. Entre 2015 et 2020, les canicules ont causé près de 10 000 morts en France et coûté jusqu'à 37 milliards d'euros, a révélé, mardi, l'agence nationale Santé publique France. Elle rappelle que les canicules sont les événements climatiques les plus meurtriers, et regrette une « perception du risque qui demeure faible » en France. Elle évalue l'excès de mortalité entre 16 et 30 milliards d'euros tandis que la restriction d'activité coûterait environ 6 milliards d'euros – France Inter

• Déso, pas déso. Le géant pétrolier Shell va faire appel de sa condamnation à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, prononcée en mai dernier par le tribunal néerlandais de la Haye (Vert). Le juge avait ordonné à l'entreprise de réduire son bilan carbone d'au moins 45% au cours de la décennie, une première. Mais s'attaquer à une seule entreprise est inefficace, proteste le directeur général de Shell, Ben van Beurden, dans un communiqué paru le 20 juillet : « ce qu'il faut, ce sont des politiques claires et ambitieuses qui entraîneront des changements fondamentaux dans l'ensemble du système énergétique ». Politiques qu'il s'emploie, malheureusement, à saboter...

• C'est mâle. Les hommes causent plus d'émissions de gaz à effet de serre que les femmes, révèle une étude suédoise menée, pendant une année, auprès de 620 célibataires. A niveau de dépenses similaire, la consommation des hommes génère 16% d'émissions de gaz à effet de serre en plus que celle des femmes. Ces derniers consomment plus de viande (rouge) et recourent à des modes de déplacement plus polluants (voiture, avion) tandis que les femmes ont une alimentation plus végétale et prennent plus souvent le train. En revanche, elles orientent une importante partie de leurs dépenses vers le mobilier et les vêtements. - The Guardian (en anglais)

155,7 milliards d'euros

Ça brouille les coûts. La pollution sonore coûte de plus en plus cher en France, alertent l'Agence de la transition écologique (Ademe) et le Conseil national du bruit dans une nouvelle étude parue jeudi 22 juillet. Le bruit génère à la fois des dépenses de santé, des dépréciations immobilières ou encore des pertes de productivité dont le coût sociétal a presque triplé en cinq ans ! Sur les 155,7 milliards d'euros estimés pour 2021, la moitié provient uniquement du trafic routier. Avec une mention spéciale pour les nuisances des deux-roues ! On estime ainsi que neuf millions de Français·es sont exposé·e·s à des niveaux de bruit excessifs. Or le bruit est un fort marqueur d'inégalités sociales, puisque les plus exposé·e·s sont aussi les plus précaires, constate l'étude.

• Gestes barrières. Lundi, le Conseil d’État a donné six mois au gouvernement afin que celui-ci durcisse les règles d'épandage de pesticides « pour mieux protéger la population ». La plus haute juridiction administrative juge notamment que les distances minimales à respecter entre les zones d'épandage et les habitations sont insuffisamment protectrices. Au grand dam des associations, le gouvernement les avait fixées, en décembre 2019, à cinq mètres pour les cultures dites basses (légumes, céréales) et dix pour les cultures hautes (arbres ou vignes). - Que Choisir

• Magiciens d'eaux. Pour prévenir les pénuries d'eau potable, la Vendée compte recycler ses eaux usées. Le département est très dépendant de ses eaux de surfaces, vulnérables au changement climatique. C'est pourquoi il s'est associé à l'entreprise Véolia pour tester la production d'eau potable directement à partir d'eaux usées. En France, seuls 0,6% des eaux usées sont recyclées, dans l'irrigation agricole et l’arrosage des espaces verts. Dans le monde, la moyenne est de 4%. Toutefois, leur utilisation à des fins domestiques reste encore largement taboue. - Novethic

La Méditerranée va-t-elle passer l'été ?

L'amer monte. Le désastre se pare parfois des plus belles couleurs, comme le montre le documentaire d'Alexis Marrant « La Méditerranée va-t-elle passer l'été ? ». Ses eaux turquoises qui abritent 10% de la biodiversité de la planète se troublent et se vident de leurs habitants. Au large, des pêcheurs s'appauvrissent, des promoteurs s'avilissent et des riverains tombent malades. Autant de scandales qui augurent un avenir sombre. A regarder avant d'y envisager une baignade... ou pas.

La Méditerranée va-t-elle passer l'été ?, Alexis Marrant, 2018, Arte France

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