La quotidienne

Espèces trébuchantes

Un numéro où l'on verra que la facture du climat se réglera en espèces animales et végétales.


Engrais azotés : l'envers du progrès

Engrais mal gré. Dans le cadre de l’examen de la loi « climat et résilience », les député·e·s se penchent, à partir de demain, sur le sort des engrais azotés : de puissants fertilisants qui ont révolutionné l'agriculture d'après-guerre avant de révéler leurs multiples pollutions.

Parmi les 146 propositions de la Convention citoyenne présentées en juin, celle de créer une redevance sur les engrais azotés est considérée par beaucoup d'observateurs comme l'une des plus structurantes. Obtenus par synthèse de l'azote de l'air avec de l'hydrogène, ces engrais chimiques sont une bénédiction pour les plantes, mais un poison pour les sols et l'air. En effet, l’azote qui n’est pas absorbé par les plantes se transforme en polluants divers : le nitrate, qui nourrit notamment les envahissantes algues vertes du littoral breton ; le protoxyde d'azote (N20), à l’effet de serre 300 fois supérieur au CO2 ; et l'ammoniac (NH3) à l’origine de pics de pollution de l’air. On considère ainsi que les fertilisants azotés représentent environ 43 % des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture (Haut Conseil pour le Climat).

© Flickr / Bill Meier

Censé reprendre les propositions de la Convention citoyenne, le projet de loi climat prévoit bien un décret qui doit fixer une trajectoire annuelle de réduction des émissions de protoxyde d'azote (N2O) et d'ammoniac (NH3) liées au secteur agricole. Le but est d'atteindre progressivement les objectifs préalablement fixés par la France : - 15 % des émissions de protoxyde d'azote en 2030 par rapport à 2015, et -13 % des émissions d'ammoniac en 2030 par rapport à 2005. En revanche, la mise en place d'une taxe sur les engrais azotés est uniquement « envisagée » si les objectifs annuels ne sont pas atteints pendant deux ans.

Pour se justifier, le gouvernement indique qu’il refuse de punir les agriculteur·rice·s. Mais des député·e·s, y compris dans la majorité, souhaitent mettre en place une telle redevance, notamment pour financer la transition agroécologique des exploitant·e·s agricoles. La députée LREM et agricultrice bio, Sandrine Le Feur, a ainsi annoncé sur Twitter qu'elle défendrait un amendement proposé par les Amis de la terre, pour l'instauration d'une taxe de 27 centimes par kilogramme d'engrais qui dégagerait 618 millions d'euros. 

• Mercredi, dans le cadre de la loi « climat et résilience », les député·e·s ont reporté l’entrée en vigueur de l’interdiction de chauffer les terrasses extérieures - prévue initialement dès 2021 - au 31 mars 2022. Un des rapporteurs du texte, Mickaël Nogal a prétexté sur Twitter « la situation de nos cafés et restaurants, frappés de plein fouet par la crise sanitaire ». - Twitter

Seuls 3% des écosystèmes sont restés « écologiquement intacts » avec des populations d'animaux originelles et en bonne santé dans un habitat non modifié par l'humain, révèle une étude scientifique parue ce jeudi dans Frontiers. Ces zones privilégiées se situent majoritairement dans les forêts tropicales d'Amazonie et du Congo, en Sibérie et dans les forêts du nord canadien ainsi que le Sahara. - The Guardian (anglais)

L'Organisation mondiale de la santé et le Programme des Nations unies pour l'environnement recommandent de suspendre en urgence le commerce d'animaux sauvages vivants et de fermer les marchés qui les vendent. La communication des deux organisations vise en premier lieu à limiter la propagation de nouveaux virus, tels que le Covid 19, mais « les usages des animaux sauvages nécessitent une approche de conservation de la biodiversité et de bien-être animal », soulignent les deux organisations. – 20 Minutes

Les espèces endémiques seront les plus meurtries par le bouleversement climatique

La facture du climat se règle en espèces. Les êtres vivants endémiques - qui ne vivent que sur un seul territoire - seront les plus durement touchés par le réchauffement.

Menée par Stella Manes, chercheuse en écologie de l'université de Rio de Janeiro, une équipe de 15 scientifiques a synthétisé plus de 8 000 publications scientifiques anticipant les effets du changement climatique sur le vivant. Publiée le 9 avril dans Biological Conservation, leur méta-analyse (une étude de plusieurs études) s’est penchée sur 273 aires exceptionnelles de biodiversité, terrestres et marines.

Leur travail distingue les espèces endémiques, présentes exclusivement sur un seul territoire, des non-endémiques, présentes sur plusieurs aires géographiques. Cette présence peut être naturelle, par exemple du fait de migrations. Quand elle est provoquée par les humains, on parle d'espèces introduites. Si ces dernières ne seront que peu impactées dans leur ensemble, les bouleversements du climat feront trois fois plus de victimes chez les espèces non-endémiques natives et dix fois plus chez les espèces endémiques. Ces dernières sont moins capables de s’adapter à un environnement en mutation.

Toutes les espèces de lémuriens sont endémiques de Madagascar, c'est-à-dire qu'elles ne vivent que sur cette île à l'état sauvage

Si le réchauffement suit la trajectoire actuelle, pour dépasser de 3 °C le niveau de l'ère pré-industrielle, le tiers des espèces endémiques terrestres et la moitié des marines seront menacées d'extinction. Dans les écosystèmes insulaires, 100 % de ces espèces rares seront menacées, et 84 % de celles de montagne. Elles seront remplacées par des concurrentes opportunistes ou invasives, au prix d'une lourde perte de biodiversité.

Des scénarios plus optimistes sont étudiés, rapporte Carbon Brief. Nous verrions disparaître « seulement » 4 % des espèces endémiques si l'accord de Paris, qui vise une limite au réchauffement de 1,5°C, voire 2 °C, était respecté. Dès 1,5 °C – un seuil qui pourrait être atteint en 2024 – 2 % d'entre elles perdront plus de 80 % de leur population.

La Nouvelle-Zélande veut contraindre les banques à révéler l'impact climatique de leurs investissements

Planète à crédit. La Nouvelle-Zélande veut être le premier pays à rendre accessibles au public des données révélant précisément l'impact de certains placements financiers sur le climat.

« Nous ne pouvons tout simplement pas parvenir à l'objectif de neutralité carbone pour 2050 si le secteur financier ne connaît pas l'impact de ses investissements sur le climat ». Ce sont les mots prononcés par David Clarke, ministre néo-zélandais du Commerce, lors de la présentation d’un projet de loi sur ce sujet, lundi 12 avril. S'il est adopté, celui-ci prévoit que les institutions financières devront se soumettre dès 2023 à cet exercice inédit de transparence.

De nombreuses ONG dénoncent l'impact désastreux des investissements réalisés par des grands noms de la finance internationale, tout en pointant le manque d'accessibilité des données, souvent protégées par le secret bancaire. Dernière en date, l'ONG française Reclaim Finance a révélé en mars 2021 que les 60 plus grandes banques du monde avaient accordé 3 800 milliards de dollars à des entreprises du pétrole, du gaz et du charbon depuis l’Accord de Paris fin 2015 (lire notre article sur le sujet). Pire, la tendance est à la hausse.

Les banques qui ont le plus financé l’industrie fossile entre 2016 et 2020. Les valeurs sont exprimées en dollars. Cliquez sur l’image pour l’afficher en grand. © Banking on climate change

La Nouvelle-Zélande a tout intérêt à encadrer strictement son obligation de transparence climatique pour la rendre effective et efficace. En 2015, la France a cru faire preuve d'audace en introduisant l'obligation, pour 840 investisseurs institutionnels, de communiquer sur leur prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Mais, faute de sanctions, la loi est peu respectée et les grandes banques françaises ont à peine infléchi leur stratégie. Selon l'ONG Oxfam, les 7 500 milliards d'actifs qu'elles possèdent représentent 3,2 fois le produit intérieur brut (PIB) de la France, avec une empreinte carbone sept fois supérieure à celle du pays tout entier (Vert). 

Légendaire, mon cher Watson  

Icône des luttes écologistes, le canadien Paul Watson a raconté à Brut soixante années de combat pour la défense des écosystèmes marins. Ex-pionnier de Greenpeace en 1972, il a fondé Sea Shepherd en 1977 au célèbre Jolly Roger inspiré des pirates. Ses actions radicales à l'encontre des navires de braconniers lui ont en effet valu d'être arrêté à plusieurs reprises pour piraterie. Aujourd'hui sur la liste rouge d'Interpol, il ne peut plus sortir des États-Unis sous peine d'être extradé au Japon. Si c'était à refaire ? « Je serais bien plus agressif dans certaines circonstances ».

©  Brut

+ Tristan Saramon a contribué à ce numéro