Lorsqu’Odile et Édouard font leurs courses à l’Hyper U du Boiscany, à Grand-Quevilly (Seine-Maritime), ces Normand·es déposent leurs bouteilles en plastique dans une borne pour les faire recycler. Juste à côté, une grande boîte violette vient de faire son apparition. «À quoi ça sert, au juste ?», demande José-Luis, un autre client du magasin, en cette journée de la fin juin. À collecter des emballages en verre consignés pour leur donner une seconde vie.
Cette machine de récupération a été installée dans le cadre d’une expérimentation entamée en juin et portée par Citeo, un éco-organisme agréé par l’État. D’ici à septembre-octobre 2025, 750 supermarchés – Coopérative U, Intermarché, Auchan, Carrefour, Monoprix, Biocoop, E. Leclerc et La Brasserie du bout du monde –, répartis dans les régions Bretagne, Pays de la Loire, Hauts-de-France et Normandie, devraient être équipés.

Le dispositif doit être généralisé à l’ensemble du pays en 2027, date à laquelle 10% des emballages mis sur le marché devront être issus du réemploi, conformément à la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), votée en 2020. Du moins, c’est l’objectif. En attendant, la consigne fait progressivement son retour, après avoir été abandonnée en 1990, au profit de l’emballage à usage unique.
55 millions d’emballages réemployables
Dans les rayons concernés par l’expérimentation, certains produits tels que des eaux, jus de fruits, soupes, bières ou limonades – huit références au démarrage – sont identifiés par un logo violet portant la mention «Rapportez-moi». Au moment du passage en caisse, les client·es payent une consigne – dix centimes pour les petits emballages, vingt pour les grands –, restituée sur leur carte bancaire ou sous forme de bon d’achat lors du dépôt à la borne de récupération. «La première étape essentielle au fonctionnement du dispositif, c’est que le consommateur achète l’emballage réemployable», insiste Valentin Fournel, directeur Éco-conception et réemploi chez Citeo.
«Cela pourrait m’intéresser, à condition que ce soient des articles que j’ai l’habitude d’acheter», estime Odile. «Il faudra aussi voir au niveau du coût, pointe de son côté Michel, croisé au point de collecte. L’idéal, ce serait que ça concerne toutes les bouteilles en verre, comme quand j’étais petit. À l’époque, on les déposait dans un tourniquet à l’entrée, c’était simple.» Jeudi 26 juin, après avoir arpenté le supermarché U de Grand-Quevilly et interrogé deux employé·es, nous n’avons pas réussi à trouver les fameux produits réemployables – ils n’étaient sans doute pas encore installés en rayon.
«Nous allons monter en régime progressivement, assure Valentin Fournel. De huit références de produits au départ, on en attend plus de 55, voire une centaine, à terme [dont des pots et des bocaux, NDLR]. On table sur un volume de 55 millions d’emballages réemployables mis sur le marché dans les 18 prochains mois.»
«Je ne comprends pas bien le fonctionnement»
Les machines de récupération d’emballages en verre sont équipées d’un espace de stockage pouvant contenir «plusieurs centaines de bouteilles», d’après Citeo. Nul besoin de laver le contenant : il suffit de le vider et de le refermer avec son bouchon. Les emballages seront ensuite acheminés vers un site où ils seront triés et lavés. À ce jour, les deux principaux centres de lavage dans le quart nord-ouest de la France sont ceux de Bout’ à Bout’, à Carquefou (Loire-Atlantique), près de Nantes, et Haut la Consigne, à Neuville-en-Ferrain, à côté de Tourcoing (Nord).

«Après cette étape, l’emballage sera renvoyé vers un metteur sur le marché, qui pourra le reconditionner avec un nouveau produit, comme du jus de pomme, par exemple, illustre Valentin Fournel. Plus un emballage tournera, plus son avantage, d’un point de vue économique et environnemental, sera important. La performance du réemploi dépend du nombre de rotations. Cela est donc conditionné au taux de retour des emballages par les consommateurs.»
Dès trois à quatre cycles de réemploi, l’impact carbone devient inférieur à celui d’un emballage en verre à usage unique, et permet d’économiser jusqu’à 75 % d’énergie et 33 % d’eau, d’après des travaux de l’Agence de la transition écologique (Ademe) dévoilés en 2023.
Selon le directeur Éco-conception et réemploi chez Citeo : «Pour respecter l’Accord de Paris [sur le climat, signé en 2015, NDLR], il faudrait réduire de 80% les émissions de CO2 de la filière des emballages. Avec différents scénarios, on voit que l’on peut y arriver, en activant tous les leviers à notre disposition : la réduction de l’emballage, le réemploi et le recyclage.»
«Une habitude à reprendre»
D’après un sondage de 2022 réalisé par Ipsos et Citeo, «sept Français sur dix déclarent être prêts à adopter le réemploi s’il était disponible dans leur magasin habituel». «Oui, ça pourrait m’intéresser, il faut essayer, en tout cas ! affirme Christine, une cliente de l’Hyper U de Grand-Quevilly. À l’époque, la consigne, ça fonctionnait bien». «J’en ai entendu parler à la télé et j’ai demandé à l’accueil ; je ne comprends pas bien le fonctionnement pour l’instant. Les indications sur la machine ne sont pas très explicites. Mais si on nous explique comment ça marche, pourquoi ne pas tenter ?», lance Édouard.
À l’intérieur du magasin, un autre dispositif de réemploi de bouteilles de bière consignées préexistait à celui mis en place par Citeo. Élodie est venue y rapporter les vestiges d’un anniversaire arrosé. «C’est la première fois que j’utilise cette borne», reconnaît-elle. Pourrait-elle se laisser convaincre par des produits réemployables au quotidien ? Elle regarde son bébé, et tranche : «C’est pour eux que nous devons le faire. Nos parents le faisaient bien, c’est juste une habitude à reprendre.»