Lancé en 2011, le festival organisé au Parc de Bagatelle à Paris, avant de déménager au bois de Vincennes en 2016, est passé de 13 000 à près de 100 000 participant·es en 2023 (soit 35 000 par jour). «On est à la bonne taille, le festival ne croîtra plus», assure à Vert Marianne Hocquard, directrice du développement durable de We love green. Mais la croissance de la jauge a aussi démultiplié les impacts. «C’est un changement de paradigme, relève Samuel Valensi, metteur en scène et coordinateur du rapport Décarbonons la culture du Shift project. Plus un festival croît et plus il a besoin du lointain pour se fournir en nourriture et faire venir le public, les artistes et leur matériel en avion. Il y a des effets de seuils».
Si une infime minorité (0,6%) se rend à We love green en avion, elle représente 60% des émissions de gaz à effet de serre (GES) du transport des festivaliers en 2022. 6% viennent en voiture (35% des émissions de ce poste). Le festival We love green présente l’avantage d’être facilement accessible en transports en commun et à vélo pour les habitant·es de région parisienne. Les concerts se terminent avant la fermeture des métros.
En revanche, beaucoup d’artistes et leurs équipes arrivent en avion. Le rappeur Pusha T, la chanteuse et violoniste de R&B Sudan Archives, ou la DJ électro Honey Dijon n’ont pas traversé l’Atlantique à la nage depuis les États-Unis. «Souvent, on s’accorde avec d’autres événements en France ou dans les pays limitrophes pour optimiser les tournées», explique Marianne Hocquard. C’est l’objet de l’initiative The Greener festival, lancée aux Pays-Bas, qui rassemble 42 festivals européens, dont We love green. «Moins de 25% des artistes viennent de l’international», souligne-t-elle, sans pour autant transmettre le chiffre exact.
«Le vrai chantier est d’avoir des shows moins énergivores, poursuit-elle. Cela veut dire moins de grosses scénographies pour limiter le nombre de camions, moins de son et de lumières». We love green demande aux artistes un niveau sonore maximal de 98 décibels, légèrement inférieur aux niveaux en vigueur. «Est-ce que vous êtes prêts à avoir des spectacles moins impressionnants ?, interroge la directrice du développement durable. Les publics en attendent beaucoup, les gens ont aussi envie de rêver, d’être émerveillés». Un point qui étonne Samuel Valensi : «La technique ne dicte pas l’émotion. La course à la montée en technique dans chaque show normalise énormément les concerts alors qu’on peut pleurer devant une chanson a cappella».
De la nourriture 100% végétale
Parmi les autres engagements notables : une alimentation 100% végétarienne cette année et qui permettrait de diminuer par quatre ce poste de dépense, qui représentait près de 18% du bilan carbone l’an dernier, selon les calculs du festival. «We love green est pensé depuis sa création pour avoir un impact le plus réduit possible et tester des choses qu’on diffuse ensuite auprès d’autres événements culturels», se félicite la directrice du développement durable.
Outre le CO2, le festival a aussi des impacts sur la biodiversité. Cette année, des associations locales ont fait entendre leur voix, par l’entremise d’une pétition intitulée «Sauvons le bois de Vincennes» et d’une manifestation à l’ouverture du festival. Elles contestaient les dates du festival, qui se déroule en pleine période de nidification. We love green l’assure : la Ligue de protection des oiseaux (LPO) a été chargée de conduire des études d’impact sur le bois de Vincennes. «Sans surprise, les gros oiseaux s’éloignent mais ils reviennent. Les petits restent», note Marianne Hocquard. Pour réduire les nuisances sur la faune et la flore, le montage et démontage se déroulent sur trois semaines. De quoi, notamment, limiter les opérations de nuit. «On interdit les détonations et les effets pyrotechniques, on limite l’éclairage la nuit et on limite la gène sonore en imposant des limites plus basses qu’on intègre dans les contrats des artistes, se défend encore Marianne Hocquard. C’est un combat avec toutes les productions car les techniciens ont l’habitude de diffuser fort. Ils veulent offrir une bonne expérience au public.»
Des efforts pour réduire les déchets
Depuis plusieurs années, l’association Aremacs aide We love green à limiter les déchets. «On travaille le plus tôt possible avec l’événement pour réduire en amont les déchets, et mettre en place des filières pour avoir une meilleure valorisation», explique Boris Voignier, chargé de projet chez Aremacs. Cette année, la vaisselle réutilisable a été testée et 13 catégories de déchets ont été triées, dont les déchets organiques, les mégots, ou les déchets industriels banals (moquettes, palissades cassées, etc.). Autre nouveauté : les déchets d’équipement électrique et électronique (DEEE) ont été récupérés. Des toilettes sèches sont installées partout par la coopérative Gink’oop qui en réutilise l’urine pour être dispersée dans des champs. Parmi les pistes d’amélioration à envisager : supprimer complètement les gobelets à usage unique, souligne Boris Voignier.
Questionner les modèles de réussite
À We love green, les imaginaires sonnent et dissonent : sur les grandes scènes défilent des artistes internationaux en tournée, pendant que sous un chapiteau s’enchaînent des interventions pointues pour alerter sur l’effondrement de notre monde. Parmi les invité·es, la climatologue et coprésidente du GIEC, Valérie Masson-Delmotte, l’économiste de la décroissance Timothée Parrique, le spécialiste des risques systémique Arthur Keller ou l’ingénieure géologue Aurore Stéphant. Vert était aussi invité pour parler des nouveaux médias écolos, aux côtés de Bon Pote et Climax.
«J’espère que l’impact social permet d’engager toutes les parties prenantes, les bénévoles, les partenaires, les prestataires à changer leurs habitudes : manger végé par exemple, et se sensibiliser avec les conférences», s’enthousiasme Marianne Hocquard. Les impacts positifs sont beaucoup plus difficiles à démontrer. Comment quantifier les changements de comportements ? Comment mesurer les effets d’une intervention inspirante d’un·e expert·e entre deux concerts ?
«En dehors des impacts physiques sur le monde, c’est la diffusion des modèles de réussite qu’il faut questionner. Il faut remettre en question l’idée que ce qui est cool c’est de remplir des Zenith et de faire des tournées internationales en avion, martèle le metteur en scène Samuel Valensi. Orelsan pourrait parler du climat à We Love Green. Mais est-ce audible juste après avoir assuré un concert au stand BMW de Cannes ? Ou si son compte instagram donne aux jeunes l’idée que réussir c’est tourner en avion et remplir des Zéniths toute l’année ? C’est cet imaginaire de la réussite que We Love Green pourrait aussi interroger dans sa programmation. C’est exactement la même chose quand Harrison Ford parle de climat et de jets privés dans la même phrase. Cela donne le sentiment que réussir c’est avoir des discours forts, peu importe sa consommation matérielle.»
Le village des initiatives positives, où opèrent les ONG Oxfam ou Greenpeace, la coopérative Sailcoop qui propose des traversées en voilier, Makesense, ou Mollow qui promeut les voyages bas-carbone en train, côtoie les mécènes de l’événement : la fondation Maisons du monde, le groupe de luxe Kering, ou celui spécialiste des spiritueux, Pernod Ricard. Un gigantesque SUV de la marque sino-suédoise Lynk & Co, partenaire de l’événement, trône au milieu du festival. Un modèle hybride qui vise à promouvoir «la location et l’autopartage, pas la vente de SUV», se défend la directrice du festival, Marie Sabot, qui met en avant la nécessité économique de ce partenariat. «Nous n’avons jamais eu de constructeur sur le festival alors que d’autres ont des scènes étiquetées Seat», insiste-t-elle.
Une solution : réduire la jauge ?
Les mécènes et les partenaires privés représentent entre 20% du chiffre d’affaires du festival, selon Marie Sabot, quand 60 à 70% du chiffre d’affaires provient de la billetterie. «Chaque choix de partenariat se fait avec un cahier des charges, on accompagne nos partenaires», poursuit-elle. Les subventions représentent moins de 5% du budget.
Pour réduire véritablement l’impact sur le climat et la biodiversité de We love green, ne faudrait-il pas réduire le nombre d’entrées ? «C’est un choix de politique culturelle. Si nous réduisons la jauge, nous n’aurons plus accès à la même programmation. Déjà cette année, nous l’avons baissée à dessein. La fréquentation est passée de 105 000 festivaliers en 2022 à 90 000 cette année», détaille Marie Sabot. La directrice assure aussi que le festival n’a pas de rentabilité financière : «nous avons perdu 500 000 euros cette année. Il va falloir repenser le festival et son modèle économique, nous devrons sans doute supprimer une ou deux scènes.»
À lire aussi
-
«Quand le climat et la société font leur révolution, la culture ne doit pas s’abriter ou rester muette, mais au contraire nous inspirer»
Si le secteur culturel ne peut pas s’extraire d’une transition écologique nécessaire pour préserver de bonnes conditions de vie sur Terre, l’écologie a aussi besoin de la culture pour «susciter l’envie et le désir», soutiennent les auteur·ices de cette tribune. -
Comment faire la fiesta sans ruiner le climat ? La carte de Vert des festivals écolos et indépendants de 2023
Rassembler des milliers de personnes pour faire la nouba n’est jamais anodin. Afin de mettre en lumière celles et ceux qui s’engagent, Vert publie pour la deuxième année sa carte des festivals écolos ET indépendants.