Le vert du faux

Uber Green est-il vraiment écolo ?

Depuis quelques années, les plateformes de chauffeurs privés - dont Uber, le mastodonte du secteur - développent des services « green » avec des véhicules électriques ou hybrides. Mais ces alternatives sont-elles vraiment durables ? Décryptage.
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L’U­ber et l’argent d’Uber. « Pour une fois, le choix le plus écologique est aus­si plus économique » : en sep­tem­bre 2022, Uber a van­té les bien­faits de son ser­vice Uber Green dans une vaste cam­pagne de pub­lic­ité. Lancée à Paris en 2016 et présente dans 14 villes français­es à ce jour, cette option pro­pose aux client·es de rouler unique­ment avec un véhicule élec­trique ou hybride (c’est-à-dire qui dis­pose de deux motori­sa­tions : ther­mique et élec­trique). Depuis 2021, c’est le ser­vice le moins cher pro­posé par Uber (hors partage de cours­es).

L’entreprise s’engage à pro­pos­er 50% de véhicules élec­triques sur l’application dès 2025 et à inter­dire toutes les voitures diesel à hori­zon 2024. À l’heure actuelle, la plate­forme revendique 60% de véhicules éli­gi­bles à Uber Green par­mi sa flotte, soit plus de 22 000 voitures, a appris Vert auprès de l’entreprise. Cette dernière n’a pas souhaité pré­cis­er la part de véhicules élec­triques et hybrides dans cet ensem­ble.

« Quand on sait qu’Uber fait par­tie des flottes de véhicules les plus impor­tantes en ville, c’est impor­tant qu’ils tran­si­tion­nent vers l’électrique et qu’ils don­nent des tra­jec­toires claires à leurs chauf­feurs », estime Diane Strauss, direc­trice de la branche française de l’association Trans­port & envi­ron­ment (T&E), auprès de Vert. Son ONG avait fait cam­pagne en 2019 pour que la plate­forme s’engage vers 100% de voitures élec­triques à hori­zon 2030.

La cam­pagne de pub­lic­ité pour Uber Green en sep­tem­bre 2022. © Uber

L’explosion des plate­formes de chauf­feurs de VTC (véhicules de tourisme avec chauf­feur) depuis le début des années 2010 a entraîné un boom des émis­sions de CO2 dans les grandes villes. Dans un rap­port pub­lié en 2021, Trans­port & envi­ron­ment a cal­culé que le pas­sage à l’électrique de 50% des tra­jets Uber effec­tués à Paris, Ams­ter­dam, Lon­dres, Berlin, Brux­elles, Lis­bonne et Madrid économis­erait env­i­ron 500 000 tonnes d’émissions de dioxyde de car­bone par an. « Soit l’équivalent de retir­er 275 000 véhicules privés des routes », pré­cise l’ONG.

Sur le papi­er, la démarche d’Uber Green sem­ble louable. Mais dans la réal­ité, la mue éco­lo de la plate­forme est plus com­pliquée. Le choix de l’entreprise d’intégrer les voitures hybrides ne con­va­inc pas Diane Strauss : « ce sont certes des véhicules ther­miques effi­caces, mais qui restent pol­lu­ants et émet­tent des par­tic­ules [quand elles roulent] en mode essence ». Cer­taines plate­formes, comme Freenow, ne don­nent accès à leur ser­vice « green » qu’à des véhicules 100% élec­triques. Un chauf­feur Uber Green, pro­prié­taire d’un véhicule hybride, nous con­fie altern­er à peu près la moitié du temps entre le ther­mique et l’électrique.

Plusieurs con­duc­teurs soulig­nent la dif­fi­culté du pas­sage au tout-élec­trique et le manque d’infrastructures de recharge. « Pour verdir le secteur du trans­port de per­son­nes, les efforts d’Uber seul ne peu­vent suf­fire. Ils doivent être accom­pa­g­nés d’investissements publics, notam­ment pour les recharges en zones pri­or­i­taires et d’actions par les autres acteurs du secteur », avance un porte-parole d’Uber.

L’essentiel du coût de la transition pèse sur les chauffeurs

Pour aider ses chauffeur•ses à tran­si­tion­ner vers des voitures pro­pres, Uber a mis la main au porte-mon­naie avec un « plan pour la mobil­ité élec­trique » à hau­teur de 75 mil­lions d’euros. Depuis 2021, le prix de toutes les cours­es (sauf Uber Green) a aug­men­té de 0,03 cen­time par kilo­mètre pour les client·es. Une somme rever­sée aux conducteur•ices, et dou­blée par la plate­forme pour leur per­me­t­tre de chang­er de véhicule, avec une lim­ite de 8 000 euros d’aide par voiture. « À ce jour, plus de 50 mil­lions d’euros ont été cumulés par les chauf­feurs, soit un peu plus de 2 000€ par chauf­feur », explique-t-on chez Uber. Un mon­tant qui peut sem­bler dérisoire au vu du prix élevé des véhicules élec­triques. « On peut dire que l’accompagnement pour les con­duc­teurs est mod­éré, pour être polie », iro­nise Diane Strauss de T&E. De quoi faire peser sur les chauffeur·ses l’essentiel du coût de la tran­si­tion écologique de la plate­forme.

Inciter les chauffeur·ses à chang­er de véhicule alors que ceux-ci sont bien sou­vent récents et qua­si neufs pose aus­si la ques­tion de l’intérêt écologique de la démarche. Fin 2018, l’âge moyen des véhicules des VTC était de 3,6 ans, selon un rap­port de l’Observatoire nation­al des trans­ports publics par­ti­c­uliers de per­son­nes. Par leur con­struc­tion très gour­mande en matières pre­mières et en CO2, les véhicules élec­triques pos­sè­dent une « dette car­bone » supérieure aux voitures ther­miques avant même de com­mencer à rouler (notre arti­cle). Une sit­u­a­tion qui s’inverse au fil du temps et des kilo­mètres par­cou­rus, puisque ces auto­mo­biles ne con­som­ment pas de car­bu­rant et que l’électricité est en grande par­tie décar­bonée en France. Au vu des kilo­mètres avalés par les chauffeur•ses VTC chaque année (env­i­ron 60 000 kilo­mètres par an, selon T&E), l’électrification des VTC est une option intéres­sante, mais seule­ment à con­di­tion de faire dur­er les véhicules dans le temps.

Promess­es de façade ou engage­ment sincère, le virage écologique d’Uber ne se con­cré­tis­era qu’au prix de mesures con­crètes et appro­fondies pour accom­pa­g­n­er leurs chauffeur·ses vers une tran­si­tion juste et durable. Pour l’instant, plaisante un con­duc­teur Uber Green : « C’est surtout du mar­ket­ing pour attrap­er les clients éco­los ».

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.