Alors que la France doit changer de fond en comble tout son système énergétique pour répondre au défi climatique en assurant le bien-être de toutes et tous, Vert a tenté de démêler le vrai du faux lors d’une riche soirée de débats avec des expert·es du sujet à l’Académie du climat. Récit.
«Le débat se concentre au mauvais endroit», remarque d’emblée Thomas Veyrenc, directeur exécutif du gestionnaire du réseau électrique français RTE, sous les plafonds peints de l’Académie du climat. En France, les discussions politiques se focalisent sur l’électricité alors que celle-ci ne représente qu’un quart de toute l’énergie consommée. Moins visibles, les fossiles composent encore la majorité de notre énergie. «Un français en moyenne consomme près de 2 tonnes de ressources fossile par an», précise l’ingénieur et vulgarisateur Rodolphe Meyer, alias «Le Réveilleur».
Hélas, pour calmer le climat en atteignant la neutralité carbone (ne plus émettre davantage de CO2 que ce que l’on peut stocker) d’ici à 2050, la France va devoir réduire la part des énergies fossiles à près de zéro. «C’est-à-dire plus aucun carburant, aucun nouvel investissement dans les hydrocarbures», développe Anne Bringault, coordinatrice des Programmes au Réseau Action Climat (RAC).

Pour y parvenir, le gestionnaire du réseau RTE a imaginé plusieurs scénarios à la demande du gouvernement. Dans ces «futurs énergétiques» (notre décryptage), la part de l’électricité est vouée à croître fortement. Comment produire cette électricité supplémentaire ? C’est là que le débat blesse.
Les six scénarios de RTE vont d’un mix fait à 100% de renouvelables – possible, mais qui compte sur des technologies pas encore matures -, à une répartition 50/50 avec le nucléaire. Dans tous les cas, «on n’y arrivera pas sans les énergies renouvelables», explique Thomas Veyrenc. D’autant plus que les prochains réacteurs nucléaires ne devrait pas commencer à produire d’électricité avant la prochaine décennie.
Dans tous les cas, il faudra réduire notre consommation d’énergie de près de moitié d’ici à 2050 afin de réussir à décarboner notre production d’énergie.

D’importants choix de société s’imposent
Pour baisser la consommation, il faudra compter sur l’efficacité énergétique, qui consiste à améliorer un système pour le rendre plus économe : «Il va y avoir de grands sauts. Quand vous mettez un kilowattheure dans une voiture électrique, vous éliminez trois kilowattheure de pétrole», expose Rodolphe Meyer.
Mais aussi sur l’indispensable sobriété, qui «pose des questions bien plus difficiles sur le mode de vie», selon Thomas Veyrenc. Dans un contexte de crise énergétique, Anne Bringault estime que «le seul levier qui fonctionne tout de suite, c’est la sobriété». «On risque de tomber dans le socio-solutionnisme, c’est-à-dire parier très fort sur des changements sociaux incertains», argumente Rodolphe Meyer, qui plaide pour allier efficacité et sobriété.

Tous deux s’accordent à dire qu’un débat sur ces enjeux est nécessaire. «Ce n’est pas qu’une question technique, mais c’est avant tout un choix de société», résume Anne Bringault. Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme Europe de l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE) compare la situation avec celle du tabac. «Je me souviens que tout le monde fumait à l’intérieur quand j’étais jeune, jusqu’à ce que la loi vienne encadrer la pratique. Aujourd’hui, si j’allumais une cigarette devant vous, je serais d’abord condamné par vos regards, par la norme sociale». Les intervenant·es imaginent alors un encadrement de la publicité sur la viande ou les voitures les plus lourdes, qui pourrait entraîner une évolution des comportements et transformer la société. La sobriété, ce ne sont pas que des gestes individuels ; elle doit passer la transformation des normes sociales, et par les nombreux échelons politiques, du plus local à l’Europe. Difficile de lâcher sa voiture en l’absence de transports en commun ou de pistes cyclables.
Un immense défi pour nos sociétés
Cet hiver, la consommation d’énergie a diminué de manière inédite. Le résultat des messages du gouvernement ou de l’envolée des prix ? «On n’en connaît pas encore les raisons», indique Thomas Veyrenc. Dans tous les cas, au vu de l’urgence, il faudra activer tous les leviers à la fois pour diviser par deux la consommation en un si court laps de temps. «Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire d’une telle transformation en temps de paix», prévient Thomas Veyrenc. «Mais cela pourrait être un projet très fédérateur», ajoute-t-il aussitôt. Deux heures de discussion sur les renouvelables, le nucléaire et la sobriété, sans invectives ni caricatures, dans une salle comble de 300 personnes ; cette soirée en aurait-elle fait la preuve ?
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