Débat

Quelles énergies pour le futur ? «Ce n’est pas qu’une question technique, c’est avant tout un choix de société»

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Alors que la France doit chang­er de fond en comble tout son sys­tème énergé­tique pour répon­dre au défi cli­ma­tique en assur­ant le bien-être de toutes et tous, Vert a ten­té de démêler le vrai du faux lors d’une riche soirée de débats avec des expert·es du sujet à l’Académie du cli­mat. Réc­it.

«Le débat se con­cen­tre au mau­vais endroit», remar­que d’emblée Thomas Veyrenc, directeur exé­cu­tif du ges­tion­naire du réseau élec­trique français RTE, sous les pla­fonds peints de l’Académie du cli­mat. En France, les dis­cus­sions poli­tiques se focalisent sur l’électricité alors que celle-ci ne représente qu’un quart de toute l’énergie con­som­mée. Moins vis­i­bles, les fos­siles com­posent encore la majorité de notre énergie. «Un français en moyenne con­somme près de 2 tonnes de ressources fos­sile par an», pré­cise l’ingénieur et vul­gar­isa­teur Rodolphe Mey­er, alias «Le Réveilleur».

Hélas, pour calmer le cli­mat en atteignant la neu­tral­ité car­bone (ne plus émet­tre davan­tage de CO2 que ce que l’on peut stock­er) d’ici à 2050, la France va devoir réduire la part des éner­gies fos­siles à près de zéro. «C’est-à-dire plus aucun car­bu­rant, aucun nou­v­el investisse­ment dans les hydro­car­bu­res», développe Anne Bringault, coor­di­na­trice des Pro­grammes au Réseau Action Cli­mat (RAC).

«Sobriété, nucléaire, renou­ve­lables : quelles éner­gies pour quel futur ?», table ronde organ­isée par Vert le 13 avril à l’Académie du cli­mat à Paris. © Vert

Pour y par­venir, le ges­tion­naire du réseau RTE a imag­iné plusieurs scé­nar­ios à la demande du gou­verne­ment. Dans ces «futurs énergé­tiques» (notre décryptage), la part de l’électricité est vouée à croître forte­ment. Com­ment pro­duire cette élec­tric­ité sup­plé­men­taire ? C’est là que le débat blesse.

Les six scé­nar­ios de RTE vont d’un mix fait à 100% de renou­ve­lables — pos­si­ble, mais qui compte sur des tech­nolo­gies pas encore matures -, à une répar­ti­tion 50/50 avec le nucléaire. Dans tous les cas, «on n’y arrivera pas sans les éner­gies renou­ve­lables», explique Thomas Veyrenc. D’autant plus que les prochains réac­teurs nucléaires ne devrait pas com­mencer à pro­duire d’électricité avant la prochaine décen­nie.

Dans tous les cas, il fau­dra réduire notre con­som­ma­tion d’énergie de près de moitié d’ici à 2050 afin de réus­sir à décar­bon­er notre pro­duc­tion d’énergie.

Dans le futur, on con­som­mera davan­tage d’électricité, mais beau­coup moins d’énergie. © RTE

D’importants choix de société s’imposent

Pour baiss­er la con­som­ma­tion, il fau­dra compter sur l’efficacité énergé­tique, qui con­siste à amélior­er un sys­tème pour le ren­dre plus économe : «Il va y avoir de grands sauts. Quand vous met­tez un kilo­wattheure dans une voiture élec­trique, vous élim­inez trois kilo­wattheure de pét­role», expose Rodolphe Mey­er.

Mais aus­si sur l’indispensable sobriété, qui «pose des ques­tions bien plus dif­fi­ciles sur le mode de vie», selon Thomas Veyrenc. Dans un con­texte de crise énergé­tique, Anne Bringault estime que «le seul levi­er qui fonc­tionne tout de suite, c’est la sobriété». «On risque de tomber dans le socio-solu­tion­nisme, c’est-à-dire pari­er très fort sur des change­ments soci­aux incer­tains», argu­mente Rodolphe Mey­er, qui plaide pour alli­er effi­cac­ité et sobriété.

À l’échelle mon­di­ale, la tran­si­tion énergé­tique n’a pas com­mencé. Extrait du nou­veau poster de Vert sur l’énergie. © Vert

Tous deux s’accordent à dire qu’un débat sur ces enjeux est néces­saire. «Ce n’est pas qu’une ques­tion tech­nique, mais c’est avant tout un choix de société», résume Anne Bringault. Thomas Pel­lerin-Car­lin, directeur du pro­gramme Europe de l’Institut de l’Économie pour le Cli­mat (I4CE) com­pare la sit­u­a­tion avec celle du tabac. «Je me sou­viens que tout le monde fumait à l’in­térieur quand j’étais jeune, jusqu’à ce que la loi vienne encadr­er la pra­tique. Aujourd’hui, si j’al­lumais une cig­a­rette devant vous, je serais d’abord con­damné par vos regards, par la norme sociale». Les intervenant·es imag­i­nent alors un encadrement de la pub­lic­ité sur la viande ou les voitures les plus lour­des, qui pour­rait entraîn­er une évo­lu­tion des com­porte­ments et trans­former la société. La sobriété, ce ne sont pas que des gestes indi­vidu­els ; elle doit pass­er la trans­for­ma­tion des normes sociales, et par les nom­breux éch­e­lons poli­tiques, du plus local à l’Europe. Dif­fi­cile de lâch­er sa voiture en l’absence de trans­ports en com­mun ou de pistes cyclables.

Un immense défi pour nos sociétés

Cet hiv­er, la con­som­ma­tion d’énergie a dimin­ué de manière inédite. Le résul­tat des mes­sages du gou­verne­ment ou de l’envolée des prix ? «On n’en con­naît pas encore les raisons», indique Thomas Veyrenc. Dans tous les cas, au vu de l’urgence, il fau­dra activ­er tous les leviers à la fois pour divis­er par deux la con­som­ma­tion en un si court laps de temps. «Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire d’une telle trans­for­ma­tion en temps de paix», prévient Thomas Veyrenc. «Mais cela pour­rait être un pro­jet très fédéra­teur», ajoute-t-il aus­sitôt. Deux heures de dis­cus­sion sur les renou­ve­lables, le nucléaire et la sobriété, sans invec­tives ni car­i­ca­tures, dans une salle comble de 300 per­son­nes ; cette soirée en aurait-elle fait la preuve ?