Environ 170 personnes sont de sortie dans le bourg de Saint-Mars-la-Jaille (Loire-Atlantique), samedi 29 novembre à 10 heures. Sous des pancartes «Pas de mine dans mon jardin, ni chez mes voisins» ou «Stop Bélénos», la foule manifeste contre un projet d’exploration minière impopulaire dans le coin, porté par la start-up Breizh Ressources. Jonathane, ciré noir ruisselant, plante le décor : «Les mines ont des impacts indéniables sur l’environnement et engendrent de la violence économique, voire physique, dans de nombreux pays du monde. Plutôt que d’extraire de nouvelles ressources, occupons-nous de recycler celles déjà exploitées.»

Entre juillet et octobre 2023, Breizh Ressources, installée à Lorient, a déposé trois demandes de permis exclusifs de recherches minières (des PERM, dans le jargon) auprès du ministère de l’industrie. Révélées par l’association de protection de l’environnement Eau et Rivières de Bretagne, «les démarches sont passées en catimini, donc l’objectif aujourd’hui, c’est de faire du bruit», lance Nico, manifestant un brin remonté.
Quête de «métaux essentiels» ou ruée vers l’or ?
Breizh Ressources prévoit de sonder les sous-sols d’une partie de l’ouest de la France et dit être en quête de minerais courants et de métaux stratégiques : terres rares, tungstène, antimoine, zinc, étain ou or… La société s’intéresse à trois zones, chacune faisant l’objet d’un permis d’exploration. Il y a Epona (50 kilomètres carrés à l’est du Morbihan), Taranis (360 km2 entre le Morbihan, l’Ille-et-Vilaine et la Loire-Atlantique) et Bélénos (440 km2 entre la Loire-Atlantique et le Maine-et-Loire). Au total, le territoire de fouille couvre 42 communes et s’étend sur 850 km2 dans la zone géologique du cisaillement sud-armoricain, faille où les roches peuvent concentrer les ressources convoitées. Celles-ci «sont nécessaires à l’économie française et notamment à la transition énergétique ou à l’innovation numérique», juge Guillaume Mamias, géologue et responsable environnemental chez Breizh Ressources.
Suivant sa logique, on pense alors au lithium des voitures électriques ou au cobalt des smartphones. Il poursuit : «Nous menons ce projet pour la connaissance et la souveraineté.» La France hexagonale étant dépourvue de mines métalliques, «nous sommes dépendants de pays étrangers, comme la Chine, pour l’approvisionnement en métaux, ce qui pose aussi des questions éthiques. Nos études permettront de caractériser le potentiel de notre sous-sol», promet-il. Si un gisement est confirmé par Breizh Ressources, il sera ensuite revendu à une entreprise privée pour être déterré. Dans le secteur minier et dans la grande majorité des cas, la start-up à l’origine des demandes de PERM n’a pas vocation à développer son projet au-delà de l’exploration. Le Code minier lui permet de vendre le permis ou la concession qu’elle aura obtenue à un opérateur minier exploitant.
«Je ne connais pas de start-up philanthrope»
Sur les 850 km2, il pourrait donc y avoir une mine, ou plusieurs. «Ou aucune, tranche le géologue. L’exploration va durer 15 ans et, selon les statistiques mondiales, il y a moins de 5% de chances d’identifier un gisement économiquement exploitable.» Pas de quoi rassurer Jean Baranger : opposé au projet minier, il est membre du collectif Stop Taranis et de l’association Tous Unix. Nous le rencontrons dans sa commune, Brain-sur-Vilaine, entre Rennes et Nantes, dans une forêt jonchée de stériles – des roches extraites lors d’exploitations passées et abandonnées faute de valeur. «On est en plein dans la zone de fouille. Dans le coin, l’or a été extrait dès l’ère gallo-romaine et ce bois a abrité une mine artisanale jusqu’au 20ème siècle. C’est clairement ce minerai qui attire les équipes de Breizh Ressources», soutient cet ancien employé de l’industrie du luxe, parka rouge et dossier du permis Taranis en main.
Il alerte : «Mettre un doigt dans l’exploration, c’est mettre les deux pieds dans une mine. L’investissement est tel que Breizh Ressources ne fait pas tout ça pour rien. Moi, je ne connais pas de start-up philanthrope.» Breizh Ressources est une filiale d’Aurania Resources, société canadienne immatriculée aux Bermudes et dirigée par Keith Barron. Géologue et sosie spirituel d’Indiana Jones, il s’est fait connaître après un gros coup : la découverte en 2006 de la mine d’or équatorienne Fruta del Norte, revendue 1,2 milliard de dollars canadiens (environ 739 millions d’euros).

Marqué par la vision d’un caillou breton riche en or exposé au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, l’explorateur Keith Barron a fait de «la Gaule» son nouvel Eldorado, selon ses prises de position publiques. «C’est seulement pour appâter les investisseurs…», tempère Guillaume Mamias, de Breizh Ressources. L’opposant Jean Baranger en doute et met en avant la rentabilité de l’or. Un fragment de la taille d’un grain de riz vaut environ 115 euros, quand le gramme de cuivre, métal stratégique en voie de disparition, ne dépasse pas les 10 centimes. «Il n’est pas question de souveraineté, l’or ne sert qu’à 8% à l’industrie. Et même si les sous-sols appartiennent à l’État, Monsieur Barron vise son enrichissement personnel avant tout. Son but : transformer des terres “qui ne valent rien” en millions pour sa poche», lance l’habitant de Brain-sur-Vilaine.
«Mine un jour égale pollution toujours»
Changement de décor. À Renac, commune située sur le bassin versant du fleuve de la Vilaine, près de Redon, le projet Taranis ne passe pas. «C’est totalement fou et inconscient. Il faut trouver d’autres moyens d’extraction des minerais dont nous avons besoin, moins terribles pour l’environnement», s’indigne un anonyme à la sortie de la messe. Dans ses mains, un bulletin de refus de prélèvements, remis par un militant qui tractait sur le perron de l’église. Ce document permet à une propriétaire ou un locataire d’empêcher l’exploration sur ses terres. Environ 4 000 refus dans le secteur Taranis ont déjà été signés, et 18 maires sur 20 ont également interdit l’accès aux parcelles communales.
Pour Dominique Williams, d’Eau et Rivières de Bretagne, c’est la preuve que l’eau, l’air et la santé valent plus que l’or. «Mine un jour égale pollution toujours», souffle la bénévole, en s’appuyant sur les travaux de géologues et d’ingénieurs de l’association Systext. Terres contaminées, eaux polluées, sols stériles… Voilà ce qui pourrait attendre le territoire si l’exploration aboutissait à l’exploitation. «Les impacts sont tous azimuts», résume-t-elle. Dans un coin de sa tête, l’image des paysages désolés et intoxiqués autour de l’ancienne mine d’or de Salsigne, dans l’Aude.
Elle détaille : «Dans une mine, on fait d’abord exploser d’énormes volumes de roche contenant le métal ciblé, mais aussi d’autres substances métalliques telles que le mercure, le plomb, l’arsenic, l’antimoine ou l’uranium, qui ne seront pas exploitées car en trop faible concentration.» Ces stocks de stériles miniers toxiques affecteront le territoire pendant des siècles, voire des millénaires. Par ailleurs, l’extraction du métal ciblé se poursuit par des traitements chimiques avec des réactifs acides, basiques, métalliques – comme le cyanure pour l’or –, amplifiant la pollution qui «finit toujours, peu importe le chemin qu’elle prend, dans l’eau», s’inquiète Dominique Williams. «Les mines consomment aussi énormément d’eau. Elles accaparent une ressource qui se raréfie», ajoute-t-elle. Selon Systext, même avec les moyens industriels actuels, la «mine propre» est un mythe.
Risques d’exposition à la radioactivité
Début novembre, un autre risque a été mis en avant lors de deux réunions destinées aux maires et organisées par trois député·es : Jean-Claude Raux (Les Écologistes), Mathilde Hignet (La France insoumise) et Paul Molac (Régions et peuples solidaires). Il s’agit de la radioactivité. «La quasi-totalité des 42 communes concernées par le projet minier se trouve en zone 3 radon. Cela signifie que la radioactivité naturelle du secteur est plus élevée que la moyenne. L’exposition au radon, gaz issu de la désintégration de l’uranium, est la deuxième cause de cancer du poumon», déroule Julien Syren, codirecteur du laboratoire associatif Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité).

Selon lui, les risques d’exposition à la radioactivité naturelle, et notamment au radon, peuvent être accrus pendant une exploitation, pas une exploration. «Mais notre rôle est de sensibiliser dès maintenant, car ce danger n’est jamais mentionné, même pas dans l’avis consultatif de l’Autorité environnementale rendu en février 2025», précise-t-il.
L’État devrait décider d’autoriser ou non les fouilles d’ici fin 2025. Sur le terrain, «on ne baissera pas les bras», assure le député Jean-Claude Raux. Un slogan résonne fort : «Ni mine ici, ni ailleurs», et questionne plus profondément l’existence des mines et l’extractivisme de masse. Mi-novembre, une catastrophe dans une mine de cuivre et de cobalt en République démocratique du Congo a tué 70 personnes.

«Une mine chez nous ne rendra pas l’extraction plus éthique et n’empêchera pas que des mines ouvrent en Asie ou en Afrique. La vraie question est : quel monde voulons-nous habiter ?, s’interroge Dominique Williams. Toutes les ressources arrivent à épuisement. Les mines métalliques sont une fuite en avant. Il faut prendre une voie alternative, celle de la sobriété. Questionner le système économique, nos productions et consommations. Et ne pas oublier que, face à la pression industrielle, il y a celle du dérèglement climatique.»