Entretien

Major mouvement : «Ça n’a pas de sens de vouloir être en bonne santé dans un monde qui se casse la gueule»

Grégoire Gibault, 37 ans, est kiné (à bretelles). Sur les réseaux sociaux et dans ses livres, il raconte et vulgarise avec humour son métier auprès de ses deux millions de followers. Auprès de Vert, il raconte ses astuces pour sensibiliser à l’écologie sans se mettre à dos sa communauté, et ses contradictions en tant que créateur de contenus.
  • Par

Comment t’est venue l’idée de te lancer sur les réseaux sociaux ?

Je suis kiné depuis 14 ans et j’essaie d’utiliser les réseaux soci­aux pour dire au plus grand nom­bre ce que j’ai l’habitude de dire à mes patients. Je fais de la san­té publique pour que les gens se sen­tent bien dans leur corps et dans leur tête. Je me suis lancé il y a six ans sur Insta­gram et Youtube. Dès le départ, ça a bien pris. J’ai aus­si écrit deux livres. J’ai deux mil­lions d’abonnés sur les réseaux soci­aux.

Quel est ton rapport à l’écologie ?

Mon rap­port à l’écologie a beau­coup évolué avec la pater­nité. Jusque-là, je ne m’étais jamais pro­jeté loin, dans le futur. Avec l’arrivée de mes enfants, j’ai com­mencé à me pos­er des ques­tions pour savoir quel monde j’allais leur laiss­er. J’ai dimin­ué mon apport en viande, ma con­som­ma­tion de vête­ments et de choses inutiles. Main­tenant, avant d’acheter, je me demande si j’en ai vrai­ment besoin, si l’objet va dur­er dans le temps, s’il y a un sens à cet achat.

En suiv­ant des médias en ligne, je me suis ren­du compte qu’il y avait des ordres de grandeur dans nos actions et qu’il fal­lait agir de manière réfléchie et pro­por­tion­née en fonc­tion de notre impact. A l’échelle de l’individu, l’isolation des loge­ments, la baisse de la con­som­ma­tion, c’est impor­tant. Mais en tant que créa­teur de con­tenu, j’ai une respon­s­abil­ité plus grande.

Gré­goire Gibault, alias Major Mou­ve­ment. © Goul­ven Cornec

Y a‑t-il un lien entre la kiné et le réchauffement climatique ?

La data qu’on a est mal­heureuse­ment assez récente, assez biaisée, et les impacts sont surtout sur les con­séquences médi­cales. On sait par exem­ple qu’un air pol­lué va aug­menter les comor­bid­ités sur les patholo­gies res­pi­ra­toires. Mais je suis kiné et je me dois de rester à ma place. Je ne serai pas crédi­ble si je pre­nais la parole sur le chlordé­cone et la pré­va­lence du can­cer de la prostate. Je peux être un relai de la parole sci­en­tifique, mais pas un lanceur d’alerte.

Aujourd’hui, ça n’a pas de sens de vouloir être en bonne san­té dans un monde qui se casse la gueule. Si on a les out­ils pour aug­menter ton espérance de vie, on doit aus­si s’interroger sur le coût envi­ron­nemen­tal de ces out­ils. Je trou­ve que c’est un non-sens, par exem­ple, de pro­mou­voir des immer­sions en bain froid quand on voit la faible per­ti­nence de ce genre de pra­tique et le gaspillage d’eau et d’énergie. Ou aller chercher des super­al­i­ments à l’autre bout du monde. La san­té et le bien-être doivent se pos­er la ques­tion des impacts sur la planète.

Comment parles-tu d’écologie sur tes réseaux?

À la base, je ne suis pas con­nu pour sen­si­bilis­er à l’écologie, donc ce n’est pas facile. Car oui, c’est rel­a­tive­ment «facile» de con­va­in­cre des gens qui sont déjà con­va­in­cus. Si je dis à un sportif que c’est impor­tant de faire du sport, il va être d’accord ; mais ça ne fait pas pass­er le mes­sage en dehors. Com­ment entraîn­er un change­ment chez des gens qui sont con­va­in­cus de l’inverse ?

Quand je par­le d’écologie, j’essaie d’avoir une forme d’éducation bien­veil­lante, j’en par­le régulière­ment par petites piqûres de rap­pel. Après, j’observe que les gens sont prêts. La pre­mière brique est faite par vous, les médias. Il y a une prise de con­science et nous, ensuite, on peut accom­pa­g­n­er le mou­ve­ment.

Y a‑t-il un registre qui fonctionne plus qu’un autre?

Met­tre les deux pieds dans le plat, ça va créer de la fric­tion. J’essaie plutôt d’être dans une démarche d’exemplarité.

«Je ne vais pas for­cé­ment faire une vidéo pour dire que j’arrête l’avion ; je préfère mon­tr­er que je pars en vacances dans les Alpes.»

Dans la créa­tion de con­tenus de sport, de san­té ou de bien-être, il y a une mode de voy­ager beau­coup pour décou­vrir le monde, d’avoir une buck­et list [une liste de rêves, NDLR] de choses à voir. Cela envoie un mes­sage à des mil­lions de per­son­nes qu’on peut utilis­er la planète comme une carte de jeu, comme dans cette trend [ten­dance, NDLR] où les gens claque­nt des doigts et se retrou­vent sur une plage à l’autre bout du monde. Alors qu’on peut voy­ager en France, en train…

J’invite les autres créa­teurs de con­tenu à ne plus pro­mou­voir un lifestyle où on sera en jan­vi­er au Mex­ique, en févri­er à une con­férence en Suède, et en mars à New York pour des vacances. Je ne vais pas for­cé­ment faire une vidéo pour dire que j’arrête l’avion ; je préfère mon­tr­er que je pars en vacances dans les Alpes.

Le compte Insta­gram de Major mou­ve­ment.

Une phrase que j’aime bien, c’est : «plutôt que de se bat­tre sur les 2%, essayons de nous rejoin­dre sur les 98%». Pour pren­dre un autre par­al­lèle, si je fais des vidéos en dis­ant «faites du sport, sales merdes!», peut-être que 5 à 10% de mes abon­nés vont dire qu’ils avaient besoin de ça, mais ça va dégouter le reste. La com­mu­ni­ca­tion est un out­il qu’il faut savoir manier avec pré­cau­tion.

J’ai par­lé de l’écoanxiété que j’avais eue, de mes inco­hérences. Je ne suis pas de ceux qui essaient d’être le plus vert pos­si­ble en mode «T’es éco­lo, mais t’as un iphone». On a intérêt à être des mil­lions d’imparfaits plutôt que quelques-uns absol­u­ment par­faits. Quand je par­le de bien-être, de san­té, je m’inscris dans le sens de la nuance. En tant que créa­teur, on n’est pas par­faits et je dis : soyons impar­faits ensem­ble.

Tu as raconté à tes abonnés que tu avais traversé un épisode d’écoanxiété. À quel moment c’est arrivé ?

À un moment où j’essayais de con­cili­er ma vie per­so et pro : je ne voulais pas lâch­er mes patients dans le Sud, j’avais des plateaux télés à Paris et je voulais aus­si voir mes enfants. Ça créait une grande fric­tion en moi, car je devais pren­dre l’avion et ça venait en con­tra­dic­tion avec mes con­vic­tions écologiques. Ça a duré trois ou qua­tre mois, puis j’ai dû faire des choix.

J’ai choisi de ralen­tir le rythme, faire moins de plateaux, avoir moins de patients et faire ces déplace­ments en train. Ça a été un vrai renon­ce­ment, mais ça m’a per­mis de mieux gér­er mon écoanx­iété, car j’ai com­mencé à repren­dre le con­trôle. À regarder mes inco­hérences en face. Et j’en ai par­lé à mes abon­nés en me dis­ant que, peut-être, je n’étais pas le seul à pass­er par ces péri­odes de fric­tion. Ce que je perds aujourd’hui, ça me va.

Quelle a été la réaction de ta communauté ?

J’ai trou­vé de la réso­nance. À par­tir du moment où tu partages une vul­néra­bil­ité, ça ras­sure les gens. On a presque l’impression que l’écoanxiété, c’est un truc de jeune. Non, la peur peut être com­mune et on a le droit de l’exprimer.

C’est sûr que la peur crée de l’inconfort, mais je me suis dit que même si je savais ce qui allait arriv­er en 2050, je pou­vais quand même m’octroyer le droit de vivre et faire en sorte d’être le plus cor­rect pos­si­ble, de faire les choses au mieux. Je m’autorise à rester humain dans ce chemin-là.

Est-ce que tu as perdu des abonnés?

Non, j’ai un pub­lic mature dans la con­som­ma­tion de mon con­tenu, bien­veil­lant. Mais si jamais je tiens des pro­pos sur l’avion, cer­tains vont vouloir me défon­cer. J’ai vu Camille Eti­enne pass­er à Quo­ti­di­en. Elle dit qu’elle est ren­trée de Norvège en train ; ça a mis 41 heures. Quand tu regardes les com­men­taires, les gens ne sont pas prêts : ils dis­ent qu’elle a dépen­sé plus, qu’ils n’ont pas le temps, que c’est un dis­cours de bobo.

Comment réagissent les autres créateurs de contenus ?

Cer­tains sont très sen­si­bles, comme Swan Péris­sé. Ça fait du bien de voir des gens qui ont tes valeurs, partager une forme d’humanité. En tant que créa­teur, chang­er, c’est sou­vent à dou­ble tran­chant : d’un côté ta com­mu­nauté veut que tu apportes des choses nou­velles, mais pas que tu changes. Ils pensent que le change­ment, c’est de l’incohérence, que c’est un men­songe. Et tu seras cri­tiqué mas­sive­ment. Ce sont des con­ver­sa­tions qu’on a eues avec mes amis créa­teurs de con­tenus, et ils seront prêts à pren­dre la parole là-dessus. J’espère que ce sera comme une mode, il en suf­fit de 5 ou 10 pour embar­quer. L’enjeu est au-delà de nos egos.

Gré­goire Gibault, alias Major Mou­ve­ment. © Goul­ven Cornec

De mon côté, j’ai fait venir Hugo Clé­ment sur ma chaîne, j’aimerais avoir Jean-Marc Jan­covi­ci, Camille Eti­enne… Mes abon­nés, ce sont des gens qui ne con­nais­sent pas for­cé­ment Camille Eti­enne, ni des médias verts. Mais quand ils voient qu’Hugo [Clé­ment, NDLR] vient sur la page de Major, ils se dis­ent qu’ils vont peut-être l’écouter. Quand Hugo est venu, ça m’a fait du bien d’entendre qu’il aimait la viande et que son père était pêcheur.

Comment tu t’informes sur l’écologie?

Bon pote m’a énor­mé­ment aidé sur la prise de con­science. Gaë­tan Gabriele m’aide pour tourn­er le truc en déri­sion, et avec les bonnes vibes ; Claire Nou­vian sur ses com­bats et la clarté de ses pro­pos, vous aus­si, Vert le média, pour l’actu. J’essaie de me con­cen­tr­er sur ces per­son­nes. Quand j’en prends trop, ça finit par m’angoisser.

«Là où le men­songe prend l’ascenseur, il faut mon­ter l’escalier de la vérité»

J’accepte de ne pas pass­er mon temps à essay­er de tout remet­tre en ques­tion pour avoir la meilleure infor­ma­tion pos­si­ble. J’essaie d’avoir le juste dosage.

Dans le domaine médical, comme sur le réchauffement climatique, beaucoup de fausses infos circulent. Comment fais-tu pour donner les bonnes informations ?

J’utilise la vul­gar­i­sa­tion. Sans pren­dre les gens pour des cons, je leur donne accès à un niveau d’information élevé avec des codes de com­mu­ni­ca­tion acces­si­bles à n’importe qui. Il faut expli­quer sim­ple­ment des phénomènes com­plex­es et arriv­er à s’approprier des argu­men­taires. Ça prend du temps et de l’énergie.

La dés­in­for­ma­tion s’affranchit com­plète­ment d’une con­nais­sance didac­tique et offre des solu­tions sim­ples. Là où le men­songe prend l’ascenseur, il faut mon­ter l’escalier de la vérité. Par­fois je les tourne en déri­sion. L’humour, c’est ce qui fonc­tionne le mieux. Je m’autorise un peu de colère, mais pas trop, car c’est à dou­ble tran­chant : ça effraye et ça sus­cite d’autres colères.

Que penses-tu de la décroissance ?

C’est un mot que j’aime bien, car la ques­tion cen­trale, qui est plutôt d’ordre philosophique, c’est la ques­tion du bon­heur. Après le Covid, les gens en ont eu marre des injonc­tions ; que le monde parte en vrille et qu’on leur demande de redress­er la barre. Ils avaient envie de rester dans leur petit con­fort. C’est dif­fi­cile de rede­man­der des trucs en plus. On a bat­tu des records d’affluence en avion, l’achat de vête­ment de l’ultra-fast fash­ion a le vent en poupe : il y a une énorme dif­férence entre ce qu’on sait qu’on devrait faire et ce qu’on fait vrai­ment. On devrait tous être méga green.

Je suis un gamin des années 80, on nous a fait grandir en nous dis­ant que tout était pos­si­ble et qu’on pou­vait tout avoir. Mais les gens les plus rich­es ne sont pas tous heureux. Je con­nais des chanteurs qui tombent dans la drogue et la dépres­sion. Doit-on encore véhiculer l’idée que le suc­cès matériel est ce qui nous rend heureux ? Le mod­èle avec lequel on nous a biberon­né ne fonc­tionne pas. Au con­traire, nous avons besoin de joies sim­ples : être à table avec ses goss­es, voir ses potes, ça suf­fit.