Comment t’est venue l’idée de te lancer sur les réseaux sociaux ?
Je suis kiné depuis 14 ans et j’essaie d’utiliser les réseaux sociaux pour dire au plus grand nombre ce que j’ai l’habitude de dire à mes patients. Je fais de la santé publique pour que les gens se sentent bien dans leur corps et dans leur tête. Je me suis lancé il y a six ans sur Instagram et Youtube. Dès le départ, ça a bien pris. J’ai aussi écrit deux livres. J’ai deux millions d’abonnés sur les réseaux sociaux.
Quel est ton rapport à l’écologie ?
Mon rapport à l’écologie a beaucoup évolué avec la paternité. Jusque-là, je ne m’étais jamais projeté loin, dans le futur. Avec l’arrivée de mes enfants, j’ai commencé à me poser des questions pour savoir quel monde j’allais leur laisser. J’ai diminué mon apport en viande, ma consommation de vêtements et de choses inutiles. Maintenant, avant d’acheter, je me demande si j’en ai vraiment besoin, si l’objet va durer dans le temps, s’il y a un sens à cet achat.
En suivant des médias en ligne, je me suis rendu compte qu’il y avait des ordres de grandeur dans nos actions et qu’il fallait agir de manière réfléchie et proportionnée en fonction de notre impact. A l’échelle de l’individu, l’isolation des logements, la baisse de la consommation, c’est important. Mais en tant que créateur de contenu, j’ai une responsabilité plus grande.
Y a‑t-il un lien entre la kiné et le réchauffement climatique ?
La data qu’on a est malheureusement assez récente, assez biaisée, et les impacts sont surtout sur les conséquences médicales. On sait par exemple qu’un air pollué va augmenter les comorbidités sur les pathologies respiratoires. Mais je suis kiné et je me dois de rester à ma place. Je ne serai pas crédible si je prenais la parole sur le chlordécone et la prévalence du cancer de la prostate. Je peux être un relai de la parole scientifique, mais pas un lanceur d’alerte.
Aujourd’hui, ça n’a pas de sens de vouloir être en bonne santé dans un monde qui se casse la gueule. Si on a les outils pour augmenter ton espérance de vie, on doit aussi s’interroger sur le coût environnemental de ces outils. Je trouve que c’est un non-sens, par exemple, de promouvoir des immersions en bain froid quand on voit la faible pertinence de ce genre de pratique et le gaspillage d’eau et d’énergie. Ou aller chercher des superaliments à l’autre bout du monde. La santé et le bien-être doivent se poser la question des impacts sur la planète.
Comment parles-tu d’écologie sur tes réseaux?
À la base, je ne suis pas connu pour sensibiliser à l’écologie, donc ce n’est pas facile. Car oui, c’est relativement «facile» de convaincre des gens qui sont déjà convaincus. Si je dis à un sportif que c’est important de faire du sport, il va être d’accord ; mais ça ne fait pas passer le message en dehors. Comment entraîner un changement chez des gens qui sont convaincus de l’inverse ?
Quand je parle d’écologie, j’essaie d’avoir une forme d’éducation bienveillante, j’en parle régulièrement par petites piqûres de rappel. Après, j’observe que les gens sont prêts. La première brique est faite par vous, les médias. Il y a une prise de conscience et nous, ensuite, on peut accompagner le mouvement.
Y a‑t-il un registre qui fonctionne plus qu’un autre?
Mettre les deux pieds dans le plat, ça va créer de la friction. J’essaie plutôt d’être dans une démarche d’exemplarité.
«Je ne vais pas forcément faire une vidéo pour dire que j’arrête l’avion ; je préfère montrer que je pars en vacances dans les Alpes.»
Dans la création de contenus de sport, de santé ou de bien-être, il y a une mode de voyager beaucoup pour découvrir le monde, d’avoir une bucket list [une liste de rêves, NDLR] de choses à voir. Cela envoie un message à des millions de personnes qu’on peut utiliser la planète comme une carte de jeu, comme dans cette trend [tendance, NDLR] où les gens claquent des doigts et se retrouvent sur une plage à l’autre bout du monde. Alors qu’on peut voyager en France, en train…
J’invite les autres créateurs de contenu à ne plus promouvoir un lifestyle où on sera en janvier au Mexique, en février à une conférence en Suède, et en mars à New York pour des vacances. Je ne vais pas forcément faire une vidéo pour dire que j’arrête l’avion ; je préfère montrer que je pars en vacances dans les Alpes.
Une phrase que j’aime bien, c’est : «plutôt que de se battre sur les 2%, essayons de nous rejoindre sur les 98%». Pour prendre un autre parallèle, si je fais des vidéos en disant «faites du sport, sales merdes!», peut-être que 5 à 10% de mes abonnés vont dire qu’ils avaient besoin de ça, mais ça va dégouter le reste. La communication est un outil qu’il faut savoir manier avec précaution.
J’ai parlé de l’écoanxiété que j’avais eue, de mes incohérences. Je ne suis pas de ceux qui essaient d’être le plus vert possible en mode «T’es écolo, mais t’as un iphone». On a intérêt à être des millions d’imparfaits plutôt que quelques-uns absolument parfaits. Quand je parle de bien-être, de santé, je m’inscris dans le sens de la nuance. En tant que créateur, on n’est pas parfaits et je dis : soyons imparfaits ensemble.
Tu as raconté à tes abonnés que tu avais traversé un épisode d’écoanxiété. À quel moment c’est arrivé ?
À un moment où j’essayais de concilier ma vie perso et pro : je ne voulais pas lâcher mes patients dans le Sud, j’avais des plateaux télés à Paris et je voulais aussi voir mes enfants. Ça créait une grande friction en moi, car je devais prendre l’avion et ça venait en contradiction avec mes convictions écologiques. Ça a duré trois ou quatre mois, puis j’ai dû faire des choix.
J’ai choisi de ralentir le rythme, faire moins de plateaux, avoir moins de patients et faire ces déplacements en train. Ça a été un vrai renoncement, mais ça m’a permis de mieux gérer mon écoanxiété, car j’ai commencé à reprendre le contrôle. À regarder mes incohérences en face. Et j’en ai parlé à mes abonnés en me disant que, peut-être, je n’étais pas le seul à passer par ces périodes de friction. Ce que je perds aujourd’hui, ça me va.
Quelle a été la réaction de ta communauté ?
J’ai trouvé de la résonance. À partir du moment où tu partages une vulnérabilité, ça rassure les gens. On a presque l’impression que l’écoanxiété, c’est un truc de jeune. Non, la peur peut être commune et on a le droit de l’exprimer.
C’est sûr que la peur crée de l’inconfort, mais je me suis dit que même si je savais ce qui allait arriver en 2050, je pouvais quand même m’octroyer le droit de vivre et faire en sorte d’être le plus correct possible, de faire les choses au mieux. Je m’autorise à rester humain dans ce chemin-là.
Est-ce que tu as perdu des abonnés?
Non, j’ai un public mature dans la consommation de mon contenu, bienveillant. Mais si jamais je tiens des propos sur l’avion, certains vont vouloir me défoncer. J’ai vu Camille Etienne passer à Quotidien. Elle dit qu’elle est rentrée de Norvège en train ; ça a mis 41 heures. Quand tu regardes les commentaires, les gens ne sont pas prêts : ils disent qu’elle a dépensé plus, qu’ils n’ont pas le temps, que c’est un discours de bobo.
Comment réagissent les autres créateurs de contenus ?
Certains sont très sensibles, comme Swan Périssé. Ça fait du bien de voir des gens qui ont tes valeurs, partager une forme d’humanité. En tant que créateur, changer, c’est souvent à double tranchant : d’un côté ta communauté veut que tu apportes des choses nouvelles, mais pas que tu changes. Ils pensent que le changement, c’est de l’incohérence, que c’est un mensonge. Et tu seras critiqué massivement. Ce sont des conversations qu’on a eues avec mes amis créateurs de contenus, et ils seront prêts à prendre la parole là-dessus. J’espère que ce sera comme une mode, il en suffit de 5 ou 10 pour embarquer. L’enjeu est au-delà de nos egos.
De mon côté, j’ai fait venir Hugo Clément sur ma chaîne, j’aimerais avoir Jean-Marc Jancovici, Camille Etienne… Mes abonnés, ce sont des gens qui ne connaissent pas forcément Camille Etienne, ni des médias verts. Mais quand ils voient qu’Hugo [Clément, NDLR] vient sur la page de Major, ils se disent qu’ils vont peut-être l’écouter. Quand Hugo est venu, ça m’a fait du bien d’entendre qu’il aimait la viande et que son père était pêcheur.
Comment tu t’informes sur l’écologie?
Bon pote m’a énormément aidé sur la prise de conscience. Gaëtan Gabriele m’aide pour tourner le truc en dérision, et avec les bonnes vibes ; Claire Nouvian sur ses combats et la clarté de ses propos, vous aussi, Vert le média, pour l’actu. J’essaie de me concentrer sur ces personnes. Quand j’en prends trop, ça finit par m’angoisser.
«Là où le mensonge prend l’ascenseur, il faut monter l’escalier de la vérité»
J’accepte de ne pas passer mon temps à essayer de tout remettre en question pour avoir la meilleure information possible. J’essaie d’avoir le juste dosage.
Dans le domaine médical, comme sur le réchauffement climatique, beaucoup de fausses infos circulent. Comment fais-tu pour donner les bonnes informations ?
J’utilise la vulgarisation. Sans prendre les gens pour des cons, je leur donne accès à un niveau d’information élevé avec des codes de communication accessibles à n’importe qui. Il faut expliquer simplement des phénomènes complexes et arriver à s’approprier des argumentaires. Ça prend du temps et de l’énergie.
La désinformation s’affranchit complètement d’une connaissance didactique et offre des solutions simples. Là où le mensonge prend l’ascenseur, il faut monter l’escalier de la vérité. Parfois je les tourne en dérision. L’humour, c’est ce qui fonctionne le mieux. Je m’autorise un peu de colère, mais pas trop, car c’est à double tranchant : ça effraye et ça suscite d’autres colères.
Que penses-tu de la décroissance ?
C’est un mot que j’aime bien, car la question centrale, qui est plutôt d’ordre philosophique, c’est la question du bonheur. Après le Covid, les gens en ont eu marre des injonctions ; que le monde parte en vrille et qu’on leur demande de redresser la barre. Ils avaient envie de rester dans leur petit confort. C’est difficile de redemander des trucs en plus. On a battu des records d’affluence en avion, l’achat de vêtement de l’ultra-fast fashion a le vent en poupe : il y a une énorme différence entre ce qu’on sait qu’on devrait faire et ce qu’on fait vraiment. On devrait tous être méga green.
Je suis un gamin des années 80, on nous a fait grandir en nous disant que tout était possible et qu’on pouvait tout avoir. Mais les gens les plus riches ne sont pas tous heureux. Je connais des chanteurs qui tombent dans la drogue et la dépression. Doit-on encore véhiculer l’idée que le succès matériel est ce qui nous rend heureux ? Le modèle avec lequel on nous a biberonné ne fonctionne pas. Au contraire, nous avons besoin de joies simples : être à table avec ses gosses, voir ses potes, ça suffit.