Le vert du faux

La fin du ticket de caisse en papier est-elle vraiment une bonne idée pour la planète ?

Initialement prévue pour le début d’année 2023, la suppression du ticket de caisse en papier ne cesse d’être reportée. Les ambitions écologiques de cette mesure restent toujours à prouver.
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Pour lut­ter con­tre le gaspillage et les sub­stances dan­gereuses pour la san­té, l’arrêt de l’impression automa­tique des tick­ets de caisse est pro­gram­mé pour cette année. Les preuves d’achats devront désor­mais être envoyées par mail ou SMS, sauf si le client demande à en garder une trace imprimée. Un change­ment dif­fi­cile à faire pass­er en temps d’inflation où les client·es scru­tent leurs achats à la loupe, a jugé le gou­verne­ment, repous­sant la mise en appli­ca­tion de cette mesure à l’été. Entre ancien tick­et et envoi par mail, le match reste pour­tant dis­puté sur le plan de l’environnement.

D’un point de vue écologique «c’est du pareil au même»

«Un hyper­marché a recours annuelle­ment à 10 600 rouleaux de papi­er ther­mique, l’équivalent en dis­tance d’un Paris‑Montpellier», aler­tait Patri­cia Mir­ral­lès, députée de la majorité en intro­duc­tion du pro­jet de loi sur l’im­pres­sion des tick­ets de caisse à la demande en 2019. Bois coupés, eau, pro­duc­tion et trans­ports ; les tick­ets de caisse con­som­ment beau­coup de ressources et d’énergies avant même leur impres­sion à la caisse de super­marchés. Et si sur le papi­er, ils sont recy­clables, en réal­ité leur taille et leur poids les ren­dent sou­vent dif­fi­ciles à retraiter. «Le prob­lème des impres­sions, ce ne ne sont pas les émis­sions de gaz à effet de serre, c’est d’abord une con­som­ma­tion mon­strueuse d’eau douce en plus des rejets de ces élé­ments tox­iques dans la nature», appuie Frédéric Bor­dage, fon­da­teur de Green­IT, une plate­forme con­sacrée à l’in­for­ma­tique durable.

La dématéri­al­i­sa­tion des preuves d’achats avec un PDF en pièce jointe d’un e‑mail n’introduirait pour­tant qu’un sim­ple déplace­ment de l’impact envi­ron­nemen­tal, selon les expert·es. «La pol­lu­tion numérique engen­drée par le tick­et de caisse élec­tron­ique est équiv­a­lente à la pol­lu­tion engen­drée par le tick­et de caisse tra­di­tion­nel», énonce une étude réal­isée en 2020 par l’association Zéro Déchet Stras­bourg en col­lab­o­ra­tion avec des uni­ver­si­taires. Par la con­som­ma­tion de métaux rares et l’utilisation de don­nées, les expert·es de Green­IT — les seuls à s’être penchés sur le cycle de vie com­plet des deux options — esti­ment qu’«un mail avec un tick­et de caisse dématéri­al­isé, c’est 5 grammes de gaz à effet de serre et 3 cen­til­itres d’eau. Con­tre 2 grammes de gaz à effets de serre et 5 cen­til­itres d’eau pour le tick­et papi­er».

Au-delà, la numéri­sa­tion des preuves d’achats peut égale­ment entraîn­er cer­tains effets rebonds, comme l’installation de nou­veaux écrans pour affich­er le prix à la caisse ou encore l’ajout d’informations qui alour­dis­sent le poids de la pièce jointe envoyée. «Il y a sou­vent une mise en page, des liens vers des pro­duits et cer­tains com­merçants qui abusent un peu», recon­naît Lena Crolot dirigeante de Bil­liv, une entre­prise spé­cial­isée dans la dématéri­al­i­sa­tion du tick­et de caisse. «Au final, c’est du pur green­wash­ing, ça arrange l’industrie numérique qui insiste sur les bien­faits de la dématéri­al­i­sa­tion», dénonce auprès de Vert Frédéric Bor­dage.

Des effets positifs pour la santé

Mal­gré la men­tion «garan­ti sans bis­phénol A» (BPA) imprimée sur tous les tick­ets de caisse depuis 2015, les manip­uler régulière­ment pour­rait égale­ment présen­ter un risque pour la san­té. Con­sid­érée comme un per­tur­ba­teur endocrinien par l’Organisation mon­di­ale de la san­té (OMS), cet ingré­di­ent a depuis été rem­placé par des sub­sti­tuts (le bis­phénol S et F) dont les pre­mières études lais­sent à penser qu’elles pour­raient avoir des effets sim­i­laires. Des chercheurs de Toulouse ont notam­ment mon­tré que les sub­sti­tuts du bis­phénol S présen­tent une con­cen­tra­tion dans le sang supérieure à celle du A.

Le meilleur ticket de caisse est celui qui n’existe pas

Plus que le pas­sage d’un for­mat à un autre, l’idéal reste encore d’éviter com­plète­ment l’édition de tick­ets de caisse. «L’objet de la loi est de pro­mou­voir un “nou­veau geste”», pré­ci­saient ain­si les rap­por­teurs du pro­jet de loi sur l’im­pres­sion des tick­ets de caisse à la demande, en jus­ti­fi­ant la mise en place de plusieurs paliers pour par­venir à l’arrêt sys­té­ma­tique de leur impres­sion. «Il faudrait aller plus loin, en sup­p­ri­mant les tick­ets pour les petits achats et en oblig­eant les clients à créer un compte chez le com­merçant pour les plus gros mon­tants comme pour les fac­tures télé­phoniques», estime de son côté Frédéric Bor­dage. «Le fait que la loi arrive per­met tout de même une cer­taine prise de con­science de la part des com­merçants», nuance Lena Crolot. Avec quelques kilo­grammes de CO2* évités par per­son­ne et par an sur les 10 tonnes émis­es en moyenne par chaque Français, cette mesure reste avant tout rel­a­tive­ment sym­bol­ique.

*Si un tick­et de caisse papi­er équiv­aut à env­i­ron 2 grammes de CO2 équiv­a­lent, et que l’on con­sid­ère trois achats par jour avec tick­et, une per­son­ne pour­ra éviter au plus 2 190 g de CO2 par an [(2x3)x365].